Entretien avec l'écrivain et journaliste palestinien, Wassif Mansour

“La chair palestinienne est le produit électoral par excellence en Israël”


Propos recueillis par Amina SALHI
Vendredi 2 Janvier 2009

Pour Wassif Mansour, Israël a obtenu ses galants à l'époque de Bush. Aujourd'hui, et alors qu'un nouveau président s'apprête à prendre les rênes aux Etats-Unis, il importe beaucoup aux Israéliens d'assurer leurs bases-arrière et de créer des situations visant à mettre le nouveau venu devant le fait accompli.

Libé: Cela fait un an et demi que la Bande de Gaza est siégée. La trêve adoptée n'a pas réussi à maintenir une paix fragile. Mais est-ce que cette offensive israélienne était attendue?

Wassif Mansour: Cette offensive était attendue depuis plus d'un mois, dans la mesure où la trêve devait prendre fin le 19 décembre. D'ailleurs, les discussions étaient déjà engagées sur le prolongement ou non de cette trêve. A l'approche de ce délai, les responsables israéliens ont commencé à parler d'une éventuelle attaque de la Bande de Gaza. Certes, les raisons divergeaient, puisque certains d'entre eux voulaient faire de cette offensive un  moyen d'anéantir Hamas, d'autres de protéger les colonies israéliennes, ou encore de redéfinir les règles du jeu dans la région, mais les dirigeants israéliens étaient tous unanimes sur un fait, le bombardement de la Bande de Gaza.  Après le 19 décembre, et suite aux tirs de rockets   sur quelques colonies juives, les Israéliens ont  rehaussé le ton. Le 25 décembre, les avions israéliens ont lancé des tracts sur la frontière entre la Palestine et l'Egypte dans lesquels ils affirmaient avoir pris la connaissance de l'existence de 600 passages entre Gaza et l'Egypte et qu'ils allaient les bombarder. Ils ont alors demandé aux Palestiniens de vider les lieux dans un délai de 48 heures. De plus, le vendredi 26 décembre, le journal électronique israélien «Haart» a publié les détails de l'attaque israélienne. Il a affirmé qu'Israël allait bombarder les institutions gouvernementales civiles et militaires ainsi que les usines ou plutôt les petits ateliers établis dans la Bande de Gaza et ce par tous les moyens, aérien, maritime et terrestre.  L'attaque était donc attendue, ceux qui ont le contrôle de la Bande de Gaza étaient censés prendre leur précaution. Mais qu'est-ce qui s'est passé en réalité? Le jour du bombardement, on a effectué une tournée militaire à laquelle ont participé 80 militaires dans une place découverte, laquelle a coïncidé avec l'opération israélienne. Soixante d'entre eux ont été tués sur le champ. Les écoles sont restées ouvertes, c'est ce qui explique le nombre élevé de morts parmi les élèves. De même, les institutions civiles et militaires devaient être vidées et les documents protégés, mais rien de cela n'a été fait.

C'est donc une erreur stratégique?

Probablement, je dis bien probablement, que Hamas ait reçu des informations selon lesquelles ces manœuvres ne seraient que de simples menaces et qu'Israël n'irait pas jusqu'à les exécuter. En plus de cela, Hamas a fait l'erreur de croire qu'Israël n'effectuerait pas son raid par un samedi, jour du «Chabat».

Ce  bombardement survient à la veille des élections israéliennes et de l'investiture de Barak Obama. Quelle lecture faites-vous du moment choisi par Israël pour passer à l'offensive ?

C'est un point crucial. Le plus important volet de notre discussion reste la date de l'attaque. Cette dernière est survenue à un moment où trois événements coïncident. Le premier événement est l'approche des élections israéliennes, le deuxième est la fin du mandat de George Bush et l'investiture de Barak Obama et enfin le dernier, est la fin du mandat du président Abou Mazen. Pour ce qui est des élections israéliennes, on a pris l'habitude que la chair palestinienne soit le produit électoral en Israël. Plus tu excelles dans le massacre des Palestiniens, plus tu montes dans les sondages. Pour ce qui est de la deuxième donne, il va sans dire que Bush est le président le plus agressif dans l'histoire américaine à l'égard de la question palestinienne. Israël a obtenu ses galants à l'époque de Bush. Aujourd'hui, et alors qu'un nouveau président s'apprête à prendre les rênes aux Etats-Unis, il importe beaucoup aux Israéliens d'assurer leurs bases-arrière et de créer des situations visant à mettre le nouveau venu devant le fait accompli. Et puis il y a la fin du mandat d'Abou Mazen et la longue et approfondie discussion autour de la présidence de Gaza, la séparation  de Gaza de la Cisjordanie, et la création d'un petit Etat pour Hamas à Gaza.

Quel est le lien avec ce dernier carnage israélien ?  

 Il est communément connu que dans toute stratégie, chaque nouveau tournant a un prix élevé. Le prix payé actuellement à Gaza, ce sont les massacres commis par Israël et dont on ne parlera pas puisque les gens s'enquièrent à tout moment de ce qui se passe là-bas. Ce prix, c'est le prétexte qui sera utilisé  par celui qui va signer les nouveaux accords, pour dire, ne m'incriminez-pas, j'y suis obligé du fait de la cruauté du massacre et de la pauvreté qui règne dans cette région. Aussi, l'on craint fortement que tout ce qui se passe actuellement soit le prix à payer pour la prochaine étape. Et la prochaine étape que j'appréhende particulièrement est la séparation entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie. Et dans ce cas de figure, nous aurons résolu le problème d'Israël. Ma crainte en effet est la création d'un petit Etat qui s'érigera en Emirat pour le mouvement des frères musulmans.
 
Qu'est-ce qui vous pousse à nourrir ces craintes?

Le 14 décembre dernier, Hamas a célébré son 21ème anniversaire. Lors d'un grand meeting organisé à l'occasion, Abderrahmane Addakhane, l'un des fondateurs du mouvement Hamas, s'est adressé au public et lui a demandé de jurer obéissance au mouvement des frères musulmans et à ses dirigeants. C'est pour cette raison que j'affirme  que ce qui naîtra à Gaza, c'est un émirat du mouvement des frères musulmans. L'autre enjeu, de taille également, est l'ouverture du passage de Raffeh. Une chose qui ne dépend ni de l'Autorité palestinienne, ni de l'Egypte, puisque ce passage est géré en vertu d'une convention dont les parties prenantes sont l'Egypte, Israël et l'Autorité palestinienne, en plus de la commission quadripartite où siègent les USA, la Russie, l'Union Européenne et les Nations Unies. Donc, la décision d'ouverture du passage Raffeh ne dépend nullement de l'Egypte. Certes, elle peut l'ouvrir pour quelques heures ou quelques jours pour des raisons humanitaires, mais pas d'une manière permanente. Je crains donc que tout ce massacre conduise à la création d'un Etat dans la Bande de Gaza et à la participation de Hamas auprès l'Instance qui gère le passage de Raffeh.

Est-ce que vous ne pensez pas que la dislocation qui caractérise les groupuscules palestiniens a facilité la tâche d’Israël et favorisé le déclenchement de l'offensive?

Je ne partage nullement cette thèse. Certes, les divergences et les conflits qui caractérisent le champ palestinien sont condamnables à plusieurs titres et aucun Palestinien, arabe ou musulman ne peut l’accepter. Car dans une période de mouvement de libération nationale, il faut nécessairement que  le front intérieur national soit uni et fort. Cette scission est catégoriquement réfutée. Cela dit, il faut remarquer qu'Israël ne cherche pas des motifs et des justificatifs pour agresser le peuple palestinien. Il nous attaque alors qu'on est unis ou  désunis, forts ou affaiblis. Mais, cela ne fait aucun doute que si les Palestiniens étaient unis, l'offensive israélienne n'aurait pas été aussi monstrueuse et la résistance palestinienne aurait été plus forte.

L'Autorité palestinienne a invité Hamas au dialogue pour examiner la situation à Gaza et tenter de trouver une issue à cette impasse, mais en vain.

C'est le même problème depuis toujours. Nous affirmons tous que l'unification nationale est notre souhait le plus ultime, mais au moment de passer à l'acte, chacun aspire à l'unification dont il a spécialement tracé les contours et avec les conditions qu'il exige. L'une des revendications posées par Hamas est un dialogue sans conditions. Actuellement et après le carnage, Abou Mazen a invité tout le monde au dialogue et sans conditions préalables, alors qu'aujourd'hui, c'est Hamas qui commence à poser ses conditions. Ceci dénote une chose, son refus de s'engager dans le dialogue.

Est-ce que Hamas appréhende la perte  de son pouvoir sur la Bande de Gaza ?

Permettez-moi de revenir à cette question des frères musulmans. Ces derniers n'ont réussi à prendre le pouvoir dans aucune région du monde, à l'exception de Gaza. C'est pour cette raison que Hamas s'accroche au pouvoir par tous les moyens dont il dispose et il n'est pas prêt de lâcher prise. Et partant, il s’oppose avec fermeté à toute action pouvant déstabiliser sa position.

Est-ce qu'Israël  pourrait mettre en exécution ses menaces d'offensive terrestre?

Je ne pense pas qu'Israël puisse s'introduire énormément dans la Bande de Gaza. Jusqu'à présent, Israël n'a pas perdu grand-chose sur le plan humain, alors que l'offensive terrestre l'expose à des pertes humaines. Sachant qu'il garde toujours les séquelles de sa guerre contre le «Hezbollah», Israël va réfléchir à deux fois avant de tenter le coup. Il peut s'introduire deux kilomètres ou trois au plus, d'autant plus que l'attaque aérienne et maritime a rempli sa mission. Les observateurs, et on en fait partie, ont relevé qu'Israël, durant ces deux derniers jours, a  bombardé des parties désertes frontalières. C'est en fait une manière de préparer une modeste offensive terrestre et de détruire les mines anti-personnel et les fosses existantes dans cette partie de Gaza. Il y a également la question des 600 passages entre Gaza et l'Egypte où circulaient les personnes et les produits dont les armes. Israël était au courant de ces mouvements. C'est un secret de polichinelle, ces passages se constituaient avec l'accord de l'Egypte et de Hamas. Israël s'est fixé pour objectif de détruire ces passages et il en a déjà détruit quelques dizaines, selon les dernières informations.

La réaction des pays arabes n'a pas dépassé le stade de la condamnation. La machine arabe toujours en panne, qu'attendent aujourd'hui les Palestiniens des pays arabes ?

 Primo, les intellectuels et écrivains de par les pays arabes ne ratent aucune occasion pour condamner avec vigueur les systèmes arabes. Cependant, à chaque problème, on les interpelle à nouveau et on s'attend à ce qu'ils réagissent et prennent des initiatives. Secundo, je n'innocente aucun des pays arabes, ils sont tous impuissants. Pour la simple raison qu'ils peuvent faire énormément de choses pour la Palestine, et disposent de moyens et d'armes, pas uniquement militaires, mais  diplomatiques, économiques et stratégiques. L'on apprend par monts et par vaux les innombrables contrats d'armement des pays arabes pour des milliards de dollars. Où sont tous ces armes et pourquoi ils ne l'utilisent pas? Il n'est pas honteux pour les pays arabes de se limiter à la condamnation, autant que le Chili, le Mexique ou les Philippines, mais il faut arrêter de faire dans le verbiage et de se lancer des pierres à tout bout de champ. Il suffit d'envoyer un camion rempli de quelques médicaments, pour considérer qu'on a rempli son devoir. C'est vrai que nous avons besoin de ces produits, et nous en remercions les pays qui nous les envoient, mais est-ce tout ce que ces derniers peuvent faire pour la Palestine? Concrètement, on demande que ces pays utilisent tout ce dont ils disposent comme moyens en vue d'amener la communauté internationale à prendre en considération nos objectifs et nos priorités.

Voyez-vous aujourd'hui un intérêt dans la tenue d'un sommet arabe ?

Si c'est un sommet qui se contentera de condamner, autant chaque pays le fasse de son côté. Mais s'il va permettre de sortir avec des décisions concrètes, ce sommet s'impose.

Qu'en est-il des réactions internationales dont celle des Etats-Unis?

On n'attend rien des Etats-Unis, si ce n'est de se solidariser avec Israël. L'Amérique lui donne droit dans son offensive contre la Palestine. Elle ne l'a même pas rappelé à l'ordre pour lui dire qu'il a exagéré dans l'usage de la force ou le sommer d'atténuer son attaque. En revanche, la position européenne est relativement satisfaisante et on note la bonne position de la Turquie. Certes, la communauté internationale commence à bouger, mais celui qui peut faire pression sur Israël, c'est l'Amérique. Aussi, l'opinion publique internationale et les réactions des différents pays doivent s'adresser aux Etats-Unis en vue d’imposer à Israël l'arrêt de son offensive.




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