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Entretien avec Otmane Gaire : «Il y a nécessité de renforcer les filets de protection sociale»


Propos recueillis par Montassir SAKHI
Samedi 19 Juin 2010

Entretien avec Otmane Gaire : «Il y a nécessité de renforcer les filets de protection sociale»
Otmane Gaire
est professeur
d’économie
et de gestion à l’Ecole normale supérieure de
l’enseignement technique
(ENSET)
à l’Université Hassan II
de Mohammedia.
Il est aussi
chercheur
en économie sociale et auteur de plusieurs articles parus dans des
journaux
et revues
nationaux.
Dans cette
interview,
ce jeune cadre
de la Chabiba Ittihadia
évoque, entre autres,
la question du pouvoir d’achat,
des syndicats
et du chômage.

Libé : Quelle est votre appréciation des décisions prises par le gouvernement au début de cette année pour soutenir le pouvoir d’achat?

Otmane Gaire : Il faut dire que les aménagements fiscaux opérés par le gouvernement dans le cadre de la loi de Finances 2010, et touchant essentiellement l’impôt sur le revenu viennent en application des engagements pris par l’Etat dans le cadre du dialogue social et qui visent l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages.
Ces aménagement ont concerné l’ensemble des tranches de l’impôt sur le revenu et des taux y afférents. Ainsi, le taux marginal qui était de 40% après la baisse intervenue en 2009, est  ramené à 38%. A partir de l’année 2010, le taux marginal (38%) concerne les revenus dépassant les 180 000 DH/an alors qu’en 2009 le taux marginal de 40% s’appliquait aux revenus se situant au-delà de 150 000 DH par an ; la tranche exonérée est ramenée à 30 000 DH/an alors qu’elle était de l’ordre de 28000 DH/an; ce qui veut dire que toutes les personnes percevant un revenu annuel égal ou inférieur à 30 000 DH ne paient plus d’impôt sur le revenu (IR).
Il s’agit bien sûr d’une décision nécessaire, positive et très importante dans le contexte actuel de crise, notamment en direction des classes moyennes. Ces dernières bénéficieront d’une revalorisation de leurs revenus qui se traduira par une dynamisation  de la consommation et par voie de conséquence de la croissance.

Ces décisions de nature fiscale sont-elles suffisantes à votre avis?

Je ne pense pas que ces décisions soient suffisantes  dans la mesure où d’une part, il y a des catégories sociales à revenu très faible ou irrégulier et qui ne sont donc pas concernées par cet impôt ni encore par la baisse de son taux, et d’autre part, parce que l’impact de ces aménagements fiscaux a été différemment ressenti par les catégories des salariés. Ce sont les moyens et hauts salaires qui ont bien pu en profiter le plus, alors que l’impact sur les autres catégories reste minimal. Cela nécessite de la part de l’Etat un effort de soutien massif en direction de ces catégories vulnérables à travers la baisse de la T.VA, ou une augmentation pure et simple des bas salaires et des petites pensions. C’est donc la réforme de la T.V.A  qui s’impose dans la mesure où l’impact de sa baisse se ressent immédiatement sur le pouvoir d’achat.

En parlant de dialogue social, que pensez-vous du projet de loi sur les syndicats ?

Le chantier de réforme des syndicats à travers l’instauration d’une législation spécifique constitue, à côté du projet de lois sur la grève, l’un des chantiers les plus importants qu’a lancé le gouvernement dans le but de mettre à niveau  l’action sociale collective, allant dans le sens de plus de transparence, de démocratie et d’efficacité organisationnelle des syndicats. C’est aussi un chantier difficile à concrétiser et qui nécessite une vraie volonté politique de la part de l’Etat pour le faire aboutir.
Cela est d’autant plus crucial aussi pour la pérennité de l’action syndicale, le renouvellement de ses élites et par voie de conséquence sa continuité, et notamment à la lumière des résultats des dernières élections professionnelles ayant montré la montée en puissance des représentants de salariés sans appartenance syndicale.

Les organisations syndicales ont-elles encore un avenir dans le contexte actuel ?

Absolument. Les syndicats avaient et auront toujours une raison d’être comme défenseurs des intérêts des travailleurs, mais aussi comme partenaires de l’Etat et du patronat pour la création de richesses et la mise en œuvre d’un pacte social. Cela est conditionné d’une part, par la nécessaire modernisation de l’action syndicale, de ses modes d’organisation et de ses mécanismes de fonctionnement, et d’autre part par l’accompagnement des nouvelles formes de revendication et de contestation sociale (forums sociaux, coordinations, etc) et l’élargissement de leurs bases d’adhérents en s’ouvrant aux travailleurs précaires et cadres, moyens et supérieurs, par l’innovation de nouveaux outils de recrutement et d’encadrement de ces catégories particulières qui restent négligées jusqu’à maintenant.

Peut-on envisager une réorientation dans la logique d’action des syndicats ?

Bien sûr, je pense que le contexte actuel de mondialisation et de concurrence mondiale impose aux syndicats, comme à tous les autres partenaires sociaux, de revoir l’échelle de leurs priorités, de revoir aussi leurs modes et logiques d’action. Dans ce sens, je pense, qu’à côté bien évidemment de la dimension revendicative des syndicats pour l’amélioration des conditions des travailleurs, il faut œuvrer dans le sens de les rendre aussi une force de proposition pour l’amélioration de la législation du travail, pour la préservation des emplois et surtout pour la qualification juridique des adhérent à travers l’axe formation.

Les taux annoncés par le Haut commissariat au Plan ne cessent de susciter les débats. Reflètent-ils le niveau réel du chômage?

Tout d’abord, il faut dire que ce débat sur les taux de chômage n’est pas seulement un débat national. Le même débat occupe les spécialistes en France et dans pas mal d’autres pays en raison de la sensibilité sociale du chômage, mais aussi à cause de la tentation d’instrumentalisation politique des chiffres de chômage.
Premièrement, il faut dire que ces chiffres émanent d’un établissement public mais  indépendant de l’Exécutif, et donc qui dispose de toute la liberté d’action possible dans la production des chiffres qui peuvent servir de base pour la définition et l’évaluation des politiques publiques que le gouvernement peut mener. Et donc, je ne crois pas que le HCP, soit amené à présenter des chiffres incorrects ou minimisant l’ampleur du chômage.
Deuxièmement, il faut signaler que le HCP dans ses enquêtes périodiques sur le marché de l’emploi, se base dans sa définition du « chômeur» sur la définition du Bureau international du travail (BIT). On peut par la suite être d’accord ou pas avec la pertinence de cette définition, mais il faut aussi dire que l’adoption de ce standard offre la possibilité de réaliser des comparaisons internationales, et donc de se conformer aux standards internationaux en la matière.
Cela dit, la définition présente une limite principale, c’est qu’elle « cache » ce que l’on appelle le « halo » du chômage et qui correspond aux différentes situations intermédiaires entre activité et chômage, instables, incertaines et précaires  et qui sont devenues de plus en plus fréquentes avec le développement des emplois atypiques ou précaires.

L’emploi précaire est-il l’avenir du marché de l’emploi ?

Je crois que la nécessité de flexibilité qui a donné lieu aux emplois précaires ou atypiques ne cesse de s’installer pour de nombreuses considérations, mais en même temps il ne faut pas oublier que le marché est par essence aveugle, inhumain …et donc il faudrait aussi allier à la flexibilité offerte aux employeurs, une certaine sécurité aux employés qui passe par la nécessité du renforcement des filets sociaux de protection.


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