Dr. Zineb Benamour Khoungui : Il serait approprié de dédier des parkings aux tests, avec des kiosques pour chaque laboratoire


Nombre allant crescendo de personnes contaminées au Covid-19, appréhension de l’automne qui arrive, difficulté à effectuer les tests, contraintes rencontrées par le corps médical dans la lutte contre la pandémie…tels sont, entre autres, les points abordés dans cet entretien accordé à Libé par le Docteur Zineb Benamour Khoungui, diabétologue et médecin du travail.

Mohamed Bouarab
Mardi 22 Septembre 2020

Libé : Avec cette montée en flèche des cas Covid au fil des jours, quelle évaluation faites-vous de la situation ?
Dr.Zineb Benamour Khoungui :
A vrai dire, la situation est assez inquiétante et ne prête pas à un semblant d’optimisme avec ce nombre de cas de contamination qui ne cesse d’aller crescendo au quotidien. Il y a lieu de souligner que dans une métropole comme Casablanca, l’on peut faire plus ou moins une évaluation et, hélas, les chiffres sont là pour sonner l’alarme et pour nous rappeler cette triste réalité. Sauf que dans d’autres villes, il faut reconnaître qu’il est difficile de se faire une idée précise sur la situation. Cela s’explique par le fait que beaucoup de personnes ne se font pas tester, estiment qu’il s’agit d’une rhinite saisonnière, appréhendent les longues files d’attente ou tout simplement ne peuvent se déplacer.

Il y aurait même une autre catégorie de personnes qui, tout en étant consciente qu’elle doit faire le test, a peur de se déplacer dans les transports publics et de se trouver en grand nombre dans les lieux de dépistage. Je crois que la résolution en quelque sorte de ce problème passe par la multiplication des centres de tests et les laboratoires privés homologués devraient aider à réduire le nombre de patients désireux de se faire tester. Aujourd’hui, les laboratoires privés doivent bien entendu obéir à un cahier des charges, et ce en disposant entre autres d’espaces aérés.

A cet effet, il serait approprié de dédier des parkings aux prélèvements et aux tests, avec des kiosques pour chaque laboratoire. Une mesure qui garantira davantage de sécurité pour tout le monde.

A l’approche de l’automne ne doit-on pas craindre que la situation s’aggrave davantage ?
Il ne faudrait pas nourrir de faux espoirs. La situation va s’aggraver et il faudrait se préparer pour y faire face. A l’heure actuelle, on commence déjà à recevoir des patients qui souffrent de rhinites allergiques, qui présentent des symptômes grippaux, qui ont le nez qui coule. Alors, l’option qui se présente consiste à ce qu’ils se fassent tester. Le Covid-19 peut se manifester via d’autres signes comme la fatigue, les courbatures, la diarrhée… Chacun doit être sur ses gardes. Et je tiens à rappeler une expérience personnelle à ce propos. Dans une entreprise dans laquelle je procède en tant que médecin du travail, j’ai pu relever que les trois premiers cas de personnes atteintes du nouveau coronavirus ne présentaient pas les symptômes classiques.

Ils souffraient juste de douleurs abdominales, c’est dire la difficulté de diagnostiquer le Covid. Tout le monde peut être porteur du virus sans le savoir. La maladie est multifacette, d’où la difficulté pour les praticiens.

Quels sont les conseils que vous pourriez donner aux malades asymptomatiques devant se faire soigner chez eux ?
Dans un premier temps, on a jugé bon d’opter pour la téléconsultation, mais la tâche s’était avérée pas simple du tout. Les gens n’ont pas accroché. Il y avait des patients suspectés d’être porteurs du virus, mais ils venaient quand même, ce qui n’était pas fait pour nous faciliter les choses. Pour les malades asymptomatiques, on doit les conforter et leur dire que ce n’est pas grave. Ils doivent juste prendre le traitement chez eux, respecter le protocole prescrit par les autorités sanitaires et c’est un protocole, d’ailleurs, qui a donné ses fruits. Le hic, dans bien d’autres cas, c’est que l’on se trouve face à des malades qui refusent le traitement. Ils oublient qu’il est le seul moyen qui va diminuer rapidement leur charge virale. Partant de là, le sujet devient beaucoup moins contagieux et non contagieux au bout de très peu de temps. Ce qui ne peut que satisfaire tout le monde dans cette campagne de lutte en vue d’endiguer la propagation du nouveau coronavirus. Il faut dire que celui qui prend le traitement se protège et protège les autres. Toujours à propos des personnes infectées par le Covid et qui doivent rester à la maison, il faut qu’elles se confinent dans des chambres isolées, avec, faut-il le rappeler, port de masque, lavage des mains, ustensiles de cuisine et tout ce qui peut être touché ou approché par les autres qui partagent la même demeure.

Ce qui fait terriblement mal au cœur, c’est l’inconscience et l’irresponsabilité de certaines personnes infectées qui n’arrivent pas à saisir la gravité de la situation. Personnellement, j’ai pu voir des malades asymptomatiques qui suivent le traitement et qui sortent de leurs domiciles. Le moins que l’on puisse dire, c’est ahurissant ; il y a un déni de la maladie.

En tant que médecin du travail, pourriez-vous nous faire un état des lieux ; nous parler des mesures sanitaires prises au sein des entreprises, et nous faire part du comportement et des attitudes des employés ? 
En ma qualité de médecin du travail, j’ai saisi dès le 2 février dernier bon nombre d’entreprises pour leur signifier via un premier mail qu’il faut qu’elles prennent les premières mesures. Par exemple, je pensais déjà à l’éventualité du télétravail en appelant les employeurs à se procurer des ordinateurs au profit de leurs employés, à doter les entreprises des gels hydroalcoliques, à initier le personnel aux gestes barrières… Malheureusement, aucune réponse n’avait suivi, mais c’était normal, le 2 février c’était trop tôt de prévoir ce que nous vivons, hélas, aujourd’hui. Néanmoins, les choses ont été rectifiées par la suite une fois la crise arrivée. Je dois reconnaître que j’étais agréablement surprise par l’attitude des employeurs qui n’ont pas lésiné sur les moyens pour sécuriser leurs lieux de travail. Sauf que le problème qui persiste est le non-respect par certains du port du masque et des gestes barrières, à entendre par là distanciation sociale et physique.

Tout le monde disait au préalable que notre pays a pu bien gérer la situation. Sauf que le fait de lâcher prise (Aid), nous a été fatal.
C’est clair, tout rassemblement ne peut être que fatal dans ce contexte pandémique. Il ne fallait pas lâcher les mouvements de population, que ce soit à l’occasion de l’Aïd, ou lors des vacances scolaires. Même s’il est toujours aussi difficile que pénible de priver des enfants de prendre l’air après un peu plus de deux mois de confinement.

Jusqu’à quel point les tests restent viables ? Se complètent-ils ou l’un peut se substituer à l’autre ?
Le PCR témoigne de la présence du virus dans la gorge, sauf que la méthode par écouvillonnage (long coton tige ou bossette) est très difficile à réaliser. Donc, on peut avoir beaucoup de résultats erronés, du moins de mauvaises lectures. Lorsque le nombre des personnes qui veulent faire des tests réalisés par du personnel peu expérimenté est important, l’on court le risque d’avoir de faux négatifs. Quant aux tests sérologiques, c’est l’avenir qui tranchera pour pouvoir se faire une idée sur leur qualité.

Les laboratoires privés vont-ils alléger la pression pour ce qui est des tests? Jusqu’à quel point la contribution des médecins du privé peut être salutaire ?
Bien évidemment, plus on a de bras chevronnés, mieux c’est. On doit s’entraider, on a besoin de la contribution des médecins privés, des laboratoires, des pharmacies et des cliniques. On a besoin de toutes les compétences sanitaires de notre pays pour contrer la pandémie.

Un mot sur les patients qui souffrent d’autres pathologies et qui estiment que ce n’est pas du tout le moment d’aller chez leurs médecins
Je vais évoquer mon expérience personnelle. Dans ce contexte difficile, je tiens à demander à mes patients de venir à l’heure, tout en espaçant les rendez-vous. Le port du masque est obligatoire de même que le respect des gestes barrières, même si cela n’est pas fait pour plaire à certains. Mais pour ce genre de situation, j’ai trouvé l’astuce, en demandant à mes patients de porter le masque, pretextant que c’est moi qui pourrais présenter un éventuel danger au cas où je serais porteuse du virus.

Pour les rendez-vous, là c’est toute une acrobatie car il faut éviter que le cabinet soit bondé surtout qu’il nous arrive souvent d’accueillir des personnes gravement malades et qu’il faudrait préserver de tout contact avec autrui. Et là, je tiens à souligner que les médecins ont dû faire des efforts et des dépenses supplémentaires et qu’eux seuls supportent les frais pour ce qui est de l’acquisition de tout le matériel de protection sanitaire.
Propos recueillis par Mohamed Bouarab

 


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