Une légitimité sociale qui rejoint une légitimité artistique de plus en plus confirmée à travers une reconnaissance dans différents rendez-vous internationaux. Cependant, cela donne lieu à des situations insolites qui dénotent les limites souvent de nature culturelle de ce débat vécu le plus souvent comme une polémique aux finalités politiciennes avérées.
C’est ainsi que nous avons assisté ces dernières semaines à l’émergence d’une nouvelle école de critique de cinéma, celle de parler d’un film sans l’avoir vu. Deux éminentes personnalités du paysage politico-religieux se sont illustrées par des sorties médiatiques, catastrophiques pour leur image en termes de communication.
L’un dirigeant d’une association religieuse, l’autre nouveau numéro un d’un parti situé officieusement dans la mouvance islamisante (jusqu’à nouvel ordre tout parti religieux est en principe anti-constitutionnel), les deux personnalités ont choisi d’intervenir à propos de deux films marocains, Casanegra sorti en décembre dernier, encore à l’affiche ayant rencontré un immense succès public, et Amours voilées qui sort cette semaine.
Pour dire ce qu'ils pensent de ces films et lancer leur fatwa d'anathème, l'un fonde son discours sur cette référence "d'après ce que l'on m'a raconté" -sic- et l'autre affirme dans le reportage de France télévision sans avoir froid aux yeux qu'il n'a pas vu les films mais d'après ce qu'il a lu, "ces films visent à semer la dépravation et à la sionisation -sic" de la société et que ces deux films font partie de la stratégique qui a pour objectif de contrecarrer la vague islamiste". Tout cela était dit d'un air sérieux terrible qui en dit long sur le projet de société de ses amis. Plus tard, se rendant compte de cette bévue passible d'une poursuite judiciaire, le politique de l'attaque contre les films a tenté de se rétracter lors d'une interview accordée à un hebdomadaire.
Trop tard, le mal est fait. Ce n'est pas la première fois. La mouvance religieuse ne cesse de sortir son artillerie lourde contre le cinéma marocain; un cinéma qui la met mal à l'aise car il lui renvoie une image de la société marocaine qui bascule ses schémas idéologiques qu'elle tente de plaquer sur une réalité mouvante et en perpétuelle mutation. C'est la confrontation de deux représentations du réel. Une représentation qui passe par la fiction pour dire une certaine réalité à partir de sa reconstruction filmique et une autre représentation qui transcende la réalité des rapports sociaux pour les reproduire en fonction d'une lecture idéologique qui se trouve être d'inspiration religieuse.
En fait, nous sommes en présence, d'un côté, d'un projet de dévoilement, de mise à plat et de l'autre, d'un projet qui rêve d'un cinéma voilé, réduit à une pratique de propagande reproduisant un discours prêt à porter sur le réel. Un réel qui continue, lui, à fonctionner selon sa propre logique, celle de cette merveilleuse jeunesse qui a fait un triomphe à “Casanegra” et qui se réapproprie de plus en plus le langage cinématographique pour exprimer son désir de vie et dire la complexité du monde.