Aux origines de l'inertie du processus électoral en Côte d'Ivoire


PAR HICHAM EL MOUSAOUI *
Vendredi 5 Mars 2010

Aux origines de l'inertie du processus électoral en Côte d'Ivoire
Alors que le mandat du président Gbagbo devait prendre officiellement fin en 2005, le processus électoral en Côte d'ivoire a été déjà repoussé à cinq reprises plongeant les Ivoiriens dans l'impasse politique. La dernière en date a été provoquée par la dissolution le 12 février dernier, par Laurent Gbagbo, de la Commission électorale indépendante (CEI) et le gouvernement, suite à laquelle de vives tensions ont agité la rue ivoirienne. Grâce à la médiation du président burkinabé Campaoré, les différents acteurs de la crise politique ivoirienne ont trouvé un compromis en vue duquel ils ont fixé une date pour le scrutin présidentiel qui devrait avoir lieu d'ici fin avril-début mai 2010. S'agit-il là d'une énième date qui sera reportée ou la donne a-t-elle suffisamment changé pour croire enfin à la tenue des élections ?
Pour beaucoup d'observateurs, en décidant la dissolution de la CEI et du gouvernement, Gbagbo cherchait à reporter les élections présidentielles aux calendes grecques. Si cette lecture apparaît évidente, elle ne reflète peut-être pas entièrement les vraies motivations de Gbagbo. Tout d'abord, si le chef d'Etat ivoirien a dissous le gouvernement, c'est parce qu’à l'approche des élections, il ne voulait pas que sa campagne soit entachée de scandales liés aux ministres compromis dans des affaires de détournement et de malversations. Alors, pourquoi ne s'est-il pas débarrassé de Guillaume Soro ? Car, il a besoin de lui pour garder les rebelles sous contrôle de la même manière que Soro a besoin de Gbagbo pour gouverner et peut-être lui succéder.
Ensuite, il ne faut pas oublier que Gbagbo est issu d'une ethnie minoritaire, les Krou (Bété) au Sud-Ouest. Il sait qu'il doit non seulement gagner les voix de son camp, mais également engranger le maximum de voix du camp de ses deux principaux rivaux, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Or il semble que les sympathisants de l'opposition se soient massivement inscrits ; ce qui ne serait pas le cas des partisans de Gbagbo, ce qui explique pourquoi des partisans du chef de l'Etat tentent en effet d'obtenir la radiation par les tribunaux d'un certain nombre d'Ivoiriens qu'ils accusent d'avoir usurpé la nationalité ivoirienne. Ainsi, en dissolvant la CEI, accusée d'avoir enregistré 430.000 faux électeurs sur les listes électorales, Laurent Gbagbo cherche à maintenir le statu quo et gagner du temps afin de mettre toutes les chances de son côté. Pendant ce temps-là il garde son « trône ». Mais pourquoi le chef des ex-rebelles Guillaume Soro et l'opposition se satisfont d'une telle situation?
Guillaume Soro, le Premier ministre, a sans doute intérêt à ce que le statu quo perdure. En effet, en temps de paix, il n'aurait jamais rêvé d'hériter d'un poste aussi prestigieux à cet âge-là. Pour lui, c'est une vraie aubaine d'être aux commandes du pouvoir sans avoir à passer le test aléatoire des élections. Il sait pertinemment que s'il quitte le gouvernement, sa carrière politique sera condamnée. La loyauté des petits chefs rebelles envers lui en dépend. Ces derniers, qui ont pris les armes contre le président afin d'apporter le changement, ont eux-mêmes intérêt à maintenir le statu quo actuel. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela leur permet de continuer d'engranger l'argent du trafic de cacao, de bois et de marchandises. Nombre d'entre eux, dit-on, ont acheté des demeures luxueuses à l'étranger, notamment au Burkina Faso voisin. Les anciens rebelles continuent donc de spolier sans impunité les populations du Nord, qui est sur le point de devenir un no man's land de fait.
Enfin, Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara, ancêtres du landernau politique ivoirien, règnent tranquillement, respectivement sur le PDCI et le RDR. Les deux opposants les plus sérieux de Laurent Gbagbo essayent de tirer leur épingle du jeu en agitant la rue pour faire entendre leur voix. Il est plus facile d'obtenir des ministères en faisant pression et du chantage via la rue que par la voie des urnes. S'ils disent aux jeunes manifestants de l'opposition aujourd'hui de ne plus reconnaître Laurent Gbagbo comme le président ivoirien, ils changeront naturellement d'avis une fois que l'un des leurs sera accepté dans le gouvernement.
Pour le pouvoir, ex-rebelles du Nord, Commission électorale indépendante, ministres de l'opposition, fonctionnaires onusiens, aux cabinets en passant par les institutions, le statu quo est devenu une rente de situation et une source de profit génératrice de blocages où chacun trouve finalement son compte. Cela est d'autant plus vrai que la Commission électorale indépendante «bis» ressemblera à l'originale, à la nuance près que Robert Beugré-Mambé n'en sera plus président. Le chef d'Etat ivoirien comme l'opposition obtiendrait la tête du président de la CEI et du vice-président, et l'opposition conserverait la main-mise sur la commission.
Somme toute, il est légitime de penser que les acteurs de la scène politique ivoirienne n'ont pas franchement envie d'aller aux élections. Cela s'explique par cette situation de «ni guerre ni paix» qui existe depuis 2002 entre le nord du Premier ministre Guillaume Soro et le sud de Laurent Gbagbo qui n'ont pas vraiment la volonté de changer le statu quo actuel car ils se partagent les rentes du pays. En témoigne le fait que la plupart des seize ministres déjà nommés sont des «sortants», reconduits poste pour poste.
Tant que les problèmes de fond qui ont conduit les Ivoiriens dans cette crise restent toujours présents, notamment le problème d'"ivoirité", la tenue des élections n'en sera que plus hypothétique. Le désarmement, les problèmes fonciers et constitutionnels comptent également parmi les questions auxquelles il faut trouver des réponses.

 * Analyste sur www.UnMondeLibre.org



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