Près de neuf décennies, depuis la guerre du Rif, qu’en est-il de la place occupée, aujourd’hui, par la guerre du Rif et Mohamed Abdelkrim El Khattabi, dans les mémoires collective et individuelle espagnoles ? Le nombre de livres et écrits publiés, chaque année, en Espagne est impressionnant. Le nombre de sites Internet qui s’y réfèrent tout autant. De même que les travaux de recherches académiques, les films et documentaires de télévision. Jusqu’aux associations et députés espagnols qui n’hésitent pas à mettre à l’ordre du jour des questions aussi sensibles que la guerre chimique contre le Rif. Si d’aucuns reconnaissent la responsabilité historique de l’armée espagnole, d’autres se refusent à y croire et à en discuter. C’est dire si la question est encore aujourd’hui d’actualité. Outre la présence dans les livres, on a pu se rendre compte, également, de l’intérêt des médias audio-visuels, des chaînes de télévision espagnoles et des radios espagnoles pour la question. Un grand nombre d’émissions y ont en effet été consacrées et /ou sont en cours.
Un petit tour sur le Web permet de se rendre compte du nombre impressionnant de sites en espagnol (9460) sur «Abdelkrim – Rif» ou en catalan (26.600) qui portent sur «Abdelkrim Khattabi» et 151.000 sur «guera del Rif». Abdelkrim a marqué les esprits et continue de les marquer. Les uns l’encensent et se solidarisent avec lui, tandis que d’autres le diabolisent et le haïssent. La radio nationale espagnole (RNE) «Radio nacional de españa» vient encore, récemment, de réaliser un reportage élaboré par Juan Carlos Brazques sous le titre de «l’ombre d’Abdelkrim : la guerre du Rif» (la sombra de Abdelkrim : la guerra del Rif), diffusée le 13/10/2007. L’épopée d’Abdelkrim demeure présente et vive dans la mémoire et conscience des Espagnols.
Mais il n’y a pas que les médias qui s’y intéressent. Des politiques et des militants associatifs aussi. Je ne parle pas des nationaux, mais des Espagnols, Catalans et autres. Ainsi, la «plataforma de la marañosa», qui représente une plate-forme regroupant plusieurs associations espagnoles militent pour la fermeture de la «marañosa», cette fabrique qui avait servi à produire une partie des armes chimiques de destruction massive qui ont été utilisées contre le Rif. Dans leurs actions, ce mouvement qui souhaite la fermeture de la « marañosa », qui soit dit en passant, continue à produire des armes prohibées par les conventions internationales rappelle le rôle de cette fabrique contre Abdelkrim, le Rif et les Rifains.
Sur un tout autre plan, celui des politiques, le Groupe de recherche sur la guerre chimique contre le Rif a trouvé auprès de l’ERC, (Esquierda républicana per catala), un grand soutien dans l’affaire de la guerre chimique contre le Rif. Des députés catalans se sont déplacés dans le Rif, ils ont pu visiter le Rif, rencontrer des personnes, entendre, écouter et comprendre ce qui s’est passé, les souffrances passées et présentes, l’injustice commise à l‘égard du Rif, en violation des préceptes les plus élémentaires… C’est à partir de là que nous avons rédigé avec les amis catalans un texte destiné aux Cortès, qui rappelle ce qui s’est passé, exige reconnaissance officielle et réparations. Nous avons été invités et introduits aux Cortès.
J’ai pu personnellement, et au nom du Groupe de recherche sur la guerre chimique contre le Rif, prendre la parole, au sein du parlement espagnol, devant les députés et les caméras de télévision espagnoles et expliquer les tenants et aboutissants de cette grave affaire.
* Groupe de recherche sur la guerre chimique contre le Rif
La question de la reconnaissance, de la condamnation et de la réparation
Les médias espagnols ont relié l’information. Force est de préciser, ici, qu’au même moment les médias marocains avaient été informés sans que cela produise un quelconque intérêt. Le texte déposé par les députés Maria Bonas et Juan Tarda a été publié au Bulletin officiel des Cortès. La discussion de ce texte a fait l’objet de plusieurs reports. Et finalement, en raison d’un vote d’alliance contre nature, regroupant le PSOE et le Parti populaire, le texte a été rejeté et n’a pas passé le cap de la discussion. Vous imaginez la campagne, les insultes, injures et intimidations auxquelles ont dû faire face les députés en question. Sur la question de la réparation, au-delà des suites ayant été réservées, jusqu’à présent, à l’affaire de la guerre chimique contre le Rif, les principes et règles démocratiques d’un Etat de droit ont permis de poser, sans ambages, le problème et de le porter dans le saint des saints démocratiques, à savoir le parlement espagnol.
Lorsqu’on examine les archives espagnoles, la conservation qui se fait dans les bibliothèques espagnoles des faits, actes et évènements en rapport avec le Rif et Abdelkrim, force est d’affirmer que les institutions espagnoles restent l’un des grands dépositaires d’une partie importante de l’histoire de notre pays. Les archives sont ouvertes aux chercheurs et personnes intéressées sans limites. Il n’y a pas longtemps, un rapport essentiel, le rapport Picasso, du nom du général espagnol, qui avait été chargé de rendre compte des évènements et responsabilités de la bataille d’Anoual a été publié. Nous avons encore beaucoup à apprendre en termes de démocratie, de liberté, de droits de l’Homme,… des pays occidentaux. En dépit du caractère honteux et scandaleux de l’histoire, et des crimes commis, les institutions concernées ne cachent pas ce qui s’est passé. Les archives ne sont pas détruites, elles ne sont pas dérobées à l’examen du chercheur, elles sont au contraire conservées et mises à sa disposition. Elles font partie d’un patrimoine historique.
Le regard que l’on peut porter sur la mémoire espagnole, au sujet d’Abdelkrim et de la guerre du Rif est dual. Cette mémoire espagnole est aussi bien matérielle qu’immatérielle. L’oralité, les témoignages de ceux qui ont vécu l’évènement ou certaines parties de l’évènement, est consacrée par les documents écrits et autres supports matériels.