​La responsabilité des progressistes dans la lutte contre le changement climatique


Par Gérard Fuchs *
Samedi 20 Décembre 2014

​La responsabilité des progressistes dans la lutte contre le changement climatique
Face aux risques que fait courir à l’humanité un réchauffement climatique à l’origine anthropique de moins en moins contestée, la responsabilité des forces progressistes mondiales apparaît à la fois décisive et historique : elles seules, à la différence des ultralibéraux, peuvent apporter les réponses évitant la catastrophe. 

Une responsabilité 
sociale évidente

La responsabilité des progressistes apparaît évidemment d’abord comme sociale. La Présidente du Chili, Michèle Bachelet, l’a dit excellemment, à l’occasion du récent sommet des Nations unies sur le climat à New York : « En période de désastres naturels, les plus affectés sont toujours ceux qui sont le moins bien équipés ». Et qui peut nier en effet qu’une maison de bidonville résiste moins bien aux inondations qu’une maison en dur, ou qu’une ville moderne, dotée d’une eau courante venue de loin, soit moins affectée par une sècheresse récurrente qu’un village dont l’approvisionnement dépend d’un puits où le niveau de l’eau ne cesse de descendre, jusqu’à finalement se tarir.
Mais les progressistes se doivent d’aller au-delà de ce constat. Si le premier devoir des responsables politiques est aujourd’hui d’arriver à convaincre leurs concitoyens que beaucoup de leurs comportements devront changer pour limiter le réchauffement en cours, encore faut-il que les concitoyens en question aient véritablement des alternatives. Comment empêcher un paysan du Sud de couper à regret les arbres de la dernière forêt voisine, si ce bois lui sert à cuire sa nourriture et qu’aucune autre solution financièrement accessible n’existe pour lui ? Comment faire en sorte que le salarié du Nord, qui paye avec difficulté les intérêts des emprunts de la maison qu’il vient d’acheter, s’endette encore plus pour que cette maison soit mieux isolée, même s’il a été convaincu que cela serait une économie pour lui à moyen terme ? 
Le combat contre le réchauffement climatique est inséparable du combat contre les inégalités, qui est l’une des raisons d’être des progressistes. Et ce n’est certainement pas par hasard que les leaders de la droite américaine la plus dure nient encore la réalité même du réchauffement : ils ont bien compris, et avant d’autres, quelles étaient les conséquences logiques d’une reconnaissance qui entraînerait une redistribution des richesses et mettrait nécessairement en cause leurs privilèges. 

Une responsabilité 
économique à réaffirmer

Plus profondément, beaucoup des mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique mettent à mal la doxa ultralibérale établie dans les années 80, dont le principe de base est que le libre fonctionnement du marché apporte la réponse à tous les problèmes qui peuvent être rencontrés. 
Il n’est pourtant pas nécessaire d’être docteur en économie pour se convaincre que, les horizons du débat climatique se situant en 2020, 2050, et même 2100, alors même que les marchés à terme les plus aventureux ne concernent que les quelques années devant nous et que les générations concernées ne sont même pas nées, d’autres outils économiques que le seul marché doivent être utilisés pour que les décisions d’aujourd’hui permettent d’atteindre les objectifs fixés à ces horizons. 
Plus profondément encore, le cœur de la difficulté à laquelle nous sommes confrontés est que les biens publics qui deviennent aujourd’hui de plus en plus les objets de notre attention – un air pur, c’est-à-dire non chargé exagérément de produits carbonés, une eau propre, c’est-à-dire en particulier pas trop acide – ces biens fondamentaux sont encore trop souvent considérés comme dénués de valeur car librement accessibles en quantités illimitées. Or nous savons bien que rien n’est plus faux et, si j’ose dire, de plus en plus faux ! 
Il faut donc donner une valeur à ces biens et, en l’absence de marchés appropriés, cela ne peut être qu’un centre de décision politique qui la définit, sur la base de la notion d’un intérêt collectif ; introduire dans la gestion de l’économie cette notion d’un intérêt collectif, en plus de la notion d’intérêts individuels, a toujours été un élément distinctif de la pensée des progressistes et cet élément doit une fois de plus être réaffirmé. 
Mais c’est là que nous nous heurtons aujourd’hui à une difficulté fondamentale : les centres de décision politique existants sont, pour les plus élevés d’entre eux, au niveau des Etats, un niveau où la pression de marchés financiers mondialisés étrangle toute velléité de politique économique déviant de la doxa évoquée plus haut. Ce constat apparaît évidemment particulièrement vrai pour les Etats trop endettés, les plus nombreux dans la crise actuelle, dont les équilibres financiers dépendent de façon cruciale des taux d’intérêt auxquels il leur faut réemprunter. Face à ce défi, les progressistes se doivent alors, c’est la thèse que je veux défendre, de hausser leurs ambitions politiques.

Relever un nouveau 
défi politique

Je vais, pour illustrer ce propos, revenir à la question climatique. Parmi toutes les politiques suivies ces dernières années pour lutter contre le réchauffement climatique qui nous préoccupe, l’une d’elles me paraît particulièrement réussie, et pour dire le fond de ma pensée, presque exemplaire : celle de la Suède. Je renverrai ici ceux qui veulent en savoir plus à un article à paraître de Claude Henry, professeur à la Columbia University et à Sciences Po Paris. En résumé donc, la politique suédoise a été, il y a près de vingt-cinq ans maintenant, d’introduire une taxe significative sur les rejets des principaux émetteurs de gaz carbonique et, c’est là que réside l’originalité et l’efficacité de cette taxe, d’annoncer qu’elle serait croissante dans le temps à un rythme aux modalités de définition explicites. L’objectif de départ était de lutter contre les pluies acides, le charbon utilisé en Suède contenant beaucoup de soufre. Un résultat secondaire, devenu au fil des années essentiel, a été de réduire de plus en plus substantiellement les émissions de gaz à effet de serre. Les rythmes de l’évolution de la taxe étaient discutés avec les émetteurs et les plus exposés à la concurrence étrangère pouvaient se voir accorder un traitement préférentiel. Le résultat alors est que, selon toute probabilité, en 2050, les émissions suédoises de GES (gaz à effet de serre) ne seront plus que de 10 % de celles de 1990 ! 
Ayant une certaine expérience politique, je mesure bien que les succès, actuels et plus encore futurs, de la politique suédoise, reposent sur deux éléments à ce jour non reproduits au niveau mondial : 
L’existence d’un centre de décision gouvernemental juridiquement en droit de lever une nouvelle taxe ; 
Le fait que ce centre soit perçu comme assez légitime pour que sa décision soit acceptée par tous, citoyens et entreprises. 
Etant un progressiste volontariste mais non irréaliste – il n’existe pas aujourd’hui de gouvernement mondial –, je voudrais alors conclure mes considérations en avançant quelques suggestions pour que les conférences de Lima cette année et de Paris en 2015 permettent cependant de prendre les décisions nécessaires afin que reste possible l’atteinte du fameux objectif de « pas plus de +2 degrés d’élévation de température à partir de 2100 par rapport à l’ère préindustrielle ». 

Un cadre nouveau 
pour la COP 21

Comme progressiste, j’adhère évidemment aux deux concepts fondamentaux qui ont été admis, parfois non sans difficultés, pour guider les négociations internationales sur le climat : celui d’« équité » – à terme, le niveau moyen d’émission de tous les citoyens de la planète devra être du même ordre – et celui de « responsabilité commune mais différenciée » – les pays actuellement développés ont été les principaux pourvoyeurs des GES actuellement dans l’atmosphère, ils doivent donc être ceux qui feront le plus d’efforts à l’avenir pour inverser la tendance actuelle.
Il me semble cependant qu’une mise en œuvre trop mécanique de ces principes a contribué à instituer entre groupes de pays aux délimitations discutables des rigidités excessives, génératrices des échecs rencontrés ces dernières années : selon les catégories, des engagements de réduction des émissions de GES doivent être pris de façon contraignante, ou bien aucun engagement de ce type n’est obligatoire ; des mécanismes de vérification parfois intrusifs doivent être acceptés par ceux qui ont besoin de l’aide internationale pour réaliser des projets utiles à la diminution des émissions ; un dialogue de sourds est trop souvent engagé entre, d’une part, ceux qui n’acceptent de donner de l’argent, hier au Fonds d’adaptation, aujourd’hui au fameux Fonds Vert, que s’ils savent précisément pour quel projet il va être utilisé, et d’autre part, des récipiendaires potentiels qui attendent de connaître les sommes éventuellement disponibles pour préciser la nature et l’ampleur des projets qu’ils aimeraient engager... Arriver dans ces conditions à réunir l’unanimité requise pour toute décision apparaît, et l’expérience passée l’a bien montré, du domaine de l’impossibilité ! 
La philosophie mise en avant par l’un des grands penseurs de tous ces débats, Nicholas Stern, celle d’une approche beaucoup plus coopérative, me paraît alors devoir en effet être prise en considération. 
Quelques exemples : 
Pourquoi ne pas demander à chaque Etat d’annoncer les mesures qu’il peut prendre, soit pour réduire ses émissions, soit pour réduire le rythme de leur accroissement par rapport au passé, soit pour accroitre sa capacité de « pompage » du carbone, dans des termes tels que l’addition de tout cela permette de définir la trajectoire du moment et de mesurer les efforts supplémentaires à accomplir dans les années suivantes pour rester dans la limite des fameux 2 degrés ? 
Autre exemple dans le même esprit : pourquoi ne pas différencier davantage la nature des vérifications concernant la mise en œuvre des annonces, en fonction de celles-ci et de la nature des engagements pris par les pays concernés ? J’avoue n’avoir jamais vraiment compris en quoi la signature d’un traité international rendait plus probable l’atteinte d’un objectif, que si celui-ci résultait du vote d’une loi nationale voire, pour les pays aux engagements les plus modestes, de la déclaration publique d’un Président. 
Enfin, la création, dans tous les pays receveurs de fonds à finalité climatique, d’une institution du type de celles qui reçoivent les fonds d’aide au développement (ou, pourquoi pas, l’élargissement des missions de l’institution chargée de gérer cette aide si cette institution est reconnue par des organismes internationaux et leur donne satisfaction), devrait pouvoir suffire à satisfaire les donateurs les plus exigeants. 
L’adoption de telles méthodes, plus souples, plus différenciées, plus coopératives, pourrait alors aider à faire naître dans chaque Etat le sentiment de ses citoyens qu’ils contribuent au mieux-être à la fois d’eux-mêmes et de tous. Et là serait le germe indispensable pour que naisse un jour pas trop lointain le centre politique mondial, juridiquement et démocratiquement légitime, dont l’existence apparaitrait logique pour résoudre efficacement, rapidement et exclusivement, les problèmes globaux non solubles aux niveaux aujourd’hui existants. Certainement mais pas exclusivement celui du climat.

  * Ancien député français, directeur du secteur International 
de la Fondation Jean-Jaurès


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