Un livre... une question : Comment gérer la diversité linguistique au Maghreb ?

Samedi 19 Juillet 2014

Un livre... une question : Comment gérer la diversité linguistique au Maghreb ?
Pour parler du paysage linguistique, Michel Quitout a dû passer par la sociolinguistique, l’histoire, l’anthropologie, la sociolinguistique, entre autres disciplines. Voilà donc un domaine où l’approche multidisciplinaire s’avère indispensable. Son ouvrage «Paysage linguistique et enseignement des langues au Maghreb» est ainsi le fruit d’un long travail qui met à profit les anciens travaux, mais propose de nouvelles pistes. Paru en 2007 aux éditions L’Harmattan, le livre nous désigne d’emblée la palette linguistique en question : l’amazigh, l’arabe et le français. La tâche n’est guère aisée. Deux facteurs en sont la cause. D’abord, l’étendue de l’espace et la diversité de ses parlers et langues (Maghreb) et ensuite le temps, puisque l’auteur a choisi d’en présenter une longue période : des origines à nos jours. 
L’auteur qui reste parmi les rares sociolinguistes maghrébins qui ont la chance de parler les trois langues à la fois, expose d’abord la référence théorique  de son travail, à savoir celle relative au modèle sociolinguistique de conflit. Une idée selon laquelle l’existence d’un bilinguisme effectif et pacifique n’est qu’une aspiration voire un mythe. «La coexistence de deux langues sur un même espace mène en définitive à la disparition forcée de la langue socialement moins compétitive», fait noter l’universitaire. C’est ainsi que dans le Maghreb, l’on allait vivre un chaos linguistique, notamment en l’absence de toute politique de gestion de la diversité. Le choix idéologique de prôner une seule langue au détriment des autres allait un déséquilibre flagrant ayant engendré un vrai séisme linguistique.
Le retour à l’histoire sera incontournable, étant donné la description du phénomène de l’arabisation d’un espace amazigh à l’origine. L’expédition militaire entreprise envers ce que les géographes appelaient «Jazirat du couchant» (l’île du Maghreb). La mort du prophète en 632 allait donner naissance au phénomène de conquête : les musulmans avaient le devoir de prêcher la nouvelle foi. L’islamisation se voulait normalement génératrice de l’arabisation, mais cela n’a pas été le cas, du moins durant une bonne période. «Bien qu’ayant adopté l’islam dans sa grande majorité, à partir du VIII siècle, la population amazighe se révolta contre les gouverneurs arabes qui ne tardèrent pas à les traiter en vaincus et en convertis. Mais islamisation ne veut nullement dire arabisation, celle-ci n’est toujours pas achevée au jour d’aujourd’hui, quatorze siècles plus tard».
Débuta ainsi une ère de fonctionnalité linguistique qui devait prendre les couleurs d’une préférence linguistique basée sur le facteur religieux. Une sorte de discrimination qui fera de l’arabe l’équivalent d’une ascension sociale, voire religieuse. «La langue du pouvoir devient l’instrument d’accession à la noblesse des origines et à la sainteté». Le Maghreb allait vivre au rythme d’une diversité inéluctable. La présence des maures andalous expulsés d’Espagne (bourgeoisie citadine), berbères arabisés, des Arabes berbérisés et des Espagnols, ainsi que des juifs aux différentes langues (portugais, espagnol, italien, arabe…) allait engendrer une riche mosaïque linguistique et vue aussi comme un héritage ingérable. «Toutes les langues vont participer à la constitution d’une «lingua franca» qui puise son originalité dans l’emprunt combiné qu’elle fait à toutes les langues en présence», écrit Quitout.
Cette diversité allait, par la suite, vivre différemment dans les systèmes scolaires. Cela aboutit à une diversité des systèmes éducatifs, et par conséquent à des cursus différents. Le marché linguistique au Maghreb évolue selon des systèmes variés, ce qui a accentué le «choc des langues». Ibn Khaldoun n’avait-il pas dit que la dominance d’une langue dépend du pouvoir de ses usagers ?
 

Mustapha Elouizi

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