Tapis et tissages : l'art des femmes berbères du Maroc


Par Abdeslam Khatib
Samedi 10 Juillet 2010

Tapis et tissages : l'art des femmes berbères du Maroc
Ce qui est remarquable dans notre patrimoine culturel, c'est que souvent à des amoureux du Maroc que nous devons le récit des recherches riches et profondes de notre substrat et ce genre d'ouvrage, outre son immense apport pour nous éclairer sur le passé et le présent glorieux du Royaume, sert de références pour toute recherche approfondie.
Amoureux du Maroc jusqu'à la moelle, Fréderic Damgaard vient de publier deux superbes ouvrages intitulés  " Tapis et tissage l'art des femmes berbères du Maroc " et " Couleurs berbères " d'Essaouira à Agadir.
" Tapis et tissages, l'art des femmes berbères du Maroc ", est le nom d'un superbe ouvrage signé Fréderic Damgaard.
 Fruit de plusieurs années d'investigations et de recherches, ce nouveau livre vient s'ajouter à une série de publications toutes consacrées au Maroc et notamment au Sud, selon une approche ethnologique, anthropologique et qui ne s'éloigne jamais de l'histoire et de la critique d'art, domaine de prédilection de Fréderic Damgaard.
Dans son nouvel ouvrage, l'auteur nous déroule un Maroc aux différentes mosaïques et aux influences diverses. C'est une façon de mettre le lecteur dans le contexte géographique et historique de manière à lui permettre de comprendre l'évolution des choses. Cette démarche, pour scientifique et académique qu'elle soit, offre plusieurs voies vers la compréhension car, il est vrai qu'à contempler l'évolution de l'histoire de ce Maroc séculaire, on risque de se perdre dans les dédales des textes. Mais, Damgaard s'est bien gardé de montrer son côté savant, préférant être plus proche des différentes strates de la société et s'éloignant au maximum de la tentation exotique.
Et bien sûr, pour comprendre l'historique du tapis et des tissages, il nous invite à parcourir le Maroc profond aussi bien dans son côté territorial que dans celui de l'existence. Et de rappeler les différentes époques de l'histoire du pays et leur imbrication avec les différents pouvoirs et dynasties qui ont gouverné et ce, depuis des siècles avant JC. En effet, ce n'est qu'en creusant dans les méandres de l'histoire qu'on peut trouver des explications à certains phénomènes. Sauf que le cas du Maroc est très spécial. Mais cela, Damgaard ne le sait que trop et c'est pour cette raison qu'il a étoffé sa recherche en parcourant l'histoire des Phéniciens aux Alaouites et en disséquant la géographie qui a permis tout ce brassage du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest et qui a donné naissance à cette magnifique expression artistique qu'est le tapis.
Ainsi, des idées exhaustives nous sont données sur le tapis de selle, le tapis Boucharouite, les sacs et les sacoches, les coussins, les couvertures, haîk, handira, vêtements, voiles de tête, capuchons et bonnets, bottes, babouches, ceintures, les tapis tableaux, etc…Tout cela bien illustré et expliqué. Ces chapitres arrivent après des introductions sur l'art des femmes berbères, l'origine des tapis et tissages au pays berbère, l'histoire et origines des berbères sans oublier un passage consacré aux artistes européens inspirés par les tapis et tissages berbères.      
Et comme le tapis et les tissages sont une expression culturelle par excellence, ils sont les premiers à donner des éléments d'information. Ainsi, la richesse de ce tapis et de ces tissages trouve son explication dans le brassage des civilisations depuis la nuit des temps. Ouvert sur tous les points cardinaux, le Maroc a, en effet, toujours été au centre de l'intérêt de la communauté internationale. Et si les Phéniciens sont venus d'Orient et ont apporté leurs influences et que  les Européens d'Occident ont toujours eu avec le Maroc une relation dialectique, plus d'une dynastie marocaine provient du Sud et avec elle ses caractéristiques.
C'est pour cela qu'on n'a encore jamais réussi à déterminer l'origine des berbères et avec elle, celle de leurs créations. D'ailleurs, l'auteur pose le problème en  termes audacieux : de quels berbères parlons-nous ? De ceux du Nord, blonds aux yeux bleus,  de ceux du Centre, de genre asiatique avec des yeux bridés ou, des berbères du Sud qui dégagent une ressemblance prononcée avec le type sémite de la péninsule arabique, voire d'Ethiopie. Damgaard évoque un exemple très significatif d'une tribu appelée les Ait Bousbaâ dont on dit qu'elle est originaire  d'Ethiopie et dont les tapis renferment des motifs assez particuliers. C'est la même question à laquelle Ibn Khaldoun que cite l'auteur très souvent, d'ailleurs, n'est jamais parvenu à répondre se résignant à dire que les Berbères appartiennent aux terres où on les a trouvés. Ce n'est certes pas une solution de facilité ou une tentation de se dérober, mais c'est le cas non seulement des Berbères mais de toutes les populations du monde. Personne n'arrive, même de nos jours, à tracer les chemins migratoires avec précision. Et ce qui est valable pour les Berbères, l'est aussi pour les Indiens d'Amérique.
Le tapis, une œuvre d'art ? Qui peut le contester. Seulement en ethnologue averti, l'auteur de peur peut-être de verser dans des épanchements lyriques, souligne d'entrée que les Berbères, étant donné leurs conditions de vie difficiles, ne pouvaient se permettre le loisir de se livrer à des travaux de décoration. On ne peut concevoir, en effet, de voir un tapis accroché au mur, quelle que soit la valeur artistique des dessins et motifs qui s'y trouvent. Mais, il se trouve, néanmoins, que dans la confection de ces objets fonctionnels et utiles, la création est omniprésente. N'a-t-on pas tenté, rappelle Fréderic Damgaard, de tisser des tapis à partir de dessins fait par des artistes peintres ? Sauf, précise-t-il à juste titre, que quand la femme, car c'est un domaine réservé exclusivement aux femmes, tisse, elle introduit des motifs à partir de sa créativité. Ce n'est pas pareil que quand elle doit reprendre des motifs dessinés par autrui et les introduire dans son tissage. Ce n'est pas du tout la même chose, même si, rappelle encore Damgaard,  cette expérience avaient été tenté par des artistes peintres connus.  
Le nouvel ouvrage de Frederic Damgaard est une leçon d'histoire d'abord, d'art ensuite et de découverte enfin. Il est très bien conçu, bien illustré et s'étale sur plus de 300 pages. C'est dire qu'il est volumineux. L'éditorial est de l'éditeur  Abdekader Retnani  (La croisée des chemins) et la préface a été confiée à Ali Amahan, professeur d'anthropologie à l'INSAP et membre du Conseil d'administration de l'IRCAM.              

Couleurs berbères " d'Essaouira à Agadir "
 " L'intérêt porté au Maroc par l'historien et critique d'art, Fréderic Damgaard, n'en finit pas de nous inciter à nous pencher davantage sur une grande partie de notre patrimoine relative à la culture berbère, notamment dans ses expressions plastiques. Ainsi, après avoir signé, il n'y a pas longtemps, son nouvel ouvrage, " Tapis et tissage, l'art des femmes berbères du Maroc ", un ouvrage qui est venu s'ajouter à d'autres publications toutes relatives à l'histoire et à l'art berbères au Maroc, voilà qu'il édite un nouveau livre intitulé " Couleurs berbères d'Essaouira à Agadir ".
Dans ce livre, il apporte, une fois de plus, beaucoup d'enseignements et renseignements sur cette partie du Maroc, après un aperçu historique qui rappelle les plus importantes étapes de l'histoire du Maroc et les flux migratoires qui en ont découlés pour nous donner ce mélange de cultures savamment dosé entre Arabes, Berbères, Noirs et Andalous. C'est pour situer le lecteur que l'auteur a procédé de la sorte mettant toutefois l'accent sur la région sujet de son investigation, à savoir la partie qui se trouve entre Essaouira et Agadir aussi bien au niveau du littoral que de l'arrière-pays.
Après la préface et l'avant-propos, l'auteur nous invite à son voyage à travers le pays de Haha, puis à Taghazout et son village de pêcheurs berbères, une randonnée dans la région d'Imouzzer des Ida-Outanane, puis il nous fait découvrir des objets d'art berbère, tapis, broderies, tissages, cuirs, vanneries et poteries. Ensuite, il nous mène dans une excursion vers la région de Tafraout avant de nous donner une idée sur le mobilier et les portes berbères et, enfin, les arts contemporains au pays berbère. Vinrent à la fin, la bibliographie, le glossaire et les traditionnels remerciements.
Lorsqu'on lit cet ouvrage, on est vite frappé par cet amour jamais démenti  de Fréderic Damgaard pour les couleurs. Rien ne lui échappe même pas les motifs qui semblent perdus sur des portes ou des demeures perdues dans des endroits très reculés. Mais là réside peut-être le secret de ces motifs très hauts en couleur. Car face à l'austérité de la nature et de l'éloignement des centres urbains, les habitants de ces régions n'avaient pas les couleurs pour s'affirmer et se distinguer. L'auteur nous fait d'ailleurs  découvrir une série de photos, de dessins et de motifs appliqués soit sur des objets, soit sur des portes ou à l'intérieur des maisons et qui sont d'une beauté remarquable, bien  que tirés des éléments les plus simples et qu'on trouve facilement à portée de main dans ces régions. Là justement réside le savoir-faire des habitants de ces régions qui ont réussi non pas des œuvres, comme le souligne l'auteur, mais carrément des chefs-d'œuvre. Que ce soit les  couleurs noir, bleu, vert, rouge, souvent utilisées pour agrémenter  les entrées et les intérieurs ou tout simplement le noir et blanc, il y a effectivement matière à  réflexion. Certains dessins, affirme Damgaard, n'ont rien à envier à des œuvres d'artistes très célèbres. Les couleurs font ainsi partie de la vie de ces populations et ce dans tout ce qui concerne leur quotidien. Disons, d'une autre manière, que  les couleurs font partie de l'existence même de ces gens qui arrivent à les décliner à leur guise et avec beaucoup de maestria. Et à chaque détour, l'auteur en profite pour expliquer l'histoire de tel ou tel endroit, de tel ou tel sanctuaire en allant toujours fouiner dans les signes et les symboles. Le village des pêcheurs berbères de Taghazout a pris lui aussi une bonne  partie de l'ouvrage car l'œil scrutateur de l'auteur est toujours à l'affût des signes, des symboles et des couleurs.
Et autant les barques sont un supports artistique en soi vu leurs couleurs. Il y va de même pour les habits des pêcheurs, notamment les bonnets soigneusement tissés par leurs femmes et qui sont d'une beauté et d'une richesse artistique indéniables.
" A Taghazout, précise Damgaard, la plupart des gens sont berbérophones et les pêcheurs communiquent en tamazight. Leurs barques sont également peintes aux couleurs franches spécifiques de la berbérité : de belles rayures jaunes, vertes, rouges et bleues ornent avec force et vigueur l'extérieur, les bords et tout l'intérieur des bateaux.
Après Haha et Taghazout, l'auteur fait un détour par Imouzzer Ida-Outanane, une région qui change un peu mais où l'on trouve également l'arganier et presque les mêmes tendances picturales et plastiques dans le Haha avec cependant une végétation luxuriante et des oiseaux tellement variés que l'une des vallées de cette région est appelée "  La vallée du paradis ".
Dans la partie consacrée aux objets d'art berbère, l'auteur insiste un peu plus sur le côté illustration pour donner toutes leurs significations aux couleurs et aux formes. Il y a de tout ; des objets usuels aux costumes en passant par le tapis et même l'art des bottes et babouches en cuir. La poterie, la vannerie comme la tapisserie trouvent dans ce chapitre toute leur splendeur.
Ensuite, l'auteur nous mène vers la région de Tafraout comme pour nous indiquer la frontière entre l'axe Essaouira-Agadir, aux expressions artistiques spécifiques à un autre milieu qui diffère complètement tant de par sa géographie que par sa population et son histoire. Là, indique l'auteur, on retrouve les premières expressions de tamazighité dans son interaction avec la négritude. D'autres formes, d'autres couleurs et surtout un apport toujours vivace des Noirs venus d'Afrique. Dans cette même région, le lecteur est invité à la rencontre d'un village un peu énigmatique appelé Tizrgane. C'est pour l'auteur "  un autre trésor d'architecture berbère (…) très étonnant par sa forme circulaire et sa situation au sommet d'une grande colline également circulaire ". Au milieu de ce village, les ruelles, les maisons et les portes portent  toutes  des motifs artistiques très bien travaillés. Dans cette région, l'auteur relève un autre phénomène : les rochers teintés par les minerais…un spectacle aussi naturel qu'original.  
Le mobilier et les portes berbères sont également à l'honneur dans cet ouvrage, ce qui paraît tout à fait logique eu égard à la beauté qu'ils referment. " Chez les Berbères, précise l'auteur, le mobilier est rare, les demeures ne sont généralement pourvues que de nattes ou de tapis au sol et, au long des murs, des banquettes couvertes de tissages colorés ( … ) dans les maisons des familles aisées, on peut admirer de superbes plafonds en bois peint : aussi bien les poutres que les traverses et toutes les planches sont décorées de motifs berbères, généralement géométriques, aux couleurs traditionnelles. Ces plafonds peints, soutient-t-il, nous montrent encore une fois une grande fertilité dans la création ". L'auteur ne pouvait terminer sans faire un rappel des peintres souiris qui ont défrayé la chronique. Dans le chapitre intitulé " Les arts contemporains au pays berbère", il relate l'apport de certains peintres d'Essaouira dont notamment le doyen Boujemâa Lakhdar. Il n'omet cependant pas de souligner les travaux de Rachid Amarhouch, Hamou Ait Tazarine, Reguragui Bouslai  ou encore Abdelaziz Azzoubir. Tous les travaux de ces artistes recèlent, en effet, un très grand talent ; un talent reconnu d'ailleurs par les musées européens les plus prestigieux. " Couleurs berbères", constitue ainsi, un ouvrage très riche aussi bien au niveau des textes et des enseignements qu'ils renferment qu'au niveau des illustrations qui en disent long sur l'amour que porte Fréderic Damgaard au Maroc et à l'intérêt qu'il porte à sa culture notamment amazighe.
L'ouvrage est édité par " la Croisée des chemins ", présenté par Abdelkader Retnani et préfacé par Abderrazak Benchaâban. La conception graphique est réalisée par Asmâa Mounir.

Les clés 

Fréderic  Damgaard est né le 29 mars 1937, à Svendborg, Danemark. Il a fait des études d'histoire de l'art à l'école du Louvre et à la Sorbonne avec comme spécialité : l'art islamique. Auteur de nombreux textes et publications sur les artistes d'Essaouira et la culture marocaine, l'histoire du Maroc et les rituels des Gnaoua, Regraga et d'autres confréries.
Il est organisateur de nombreux expositions et a rédigé des textes pour les catalogues de :
" Souffles d'Essaouira " Musée Anatole Jarkovski, Nice, France
" Essaouira, une ville magique " Musée de Landau, Allemagne
" Vols d'âmes " Musée royale des Beaux Arts, Anvers, Belgique
" Souffle d'Essaouira sur Rabat " Galerie Bab Rouah, Rabat
" Vision et création dissidentes " Musée Création Franche, Bègles, France
" Les artistes singuliers d'Essaouira " Manoir de Martigny, Suisse.
" Invitation au voyage ", Galerie Triade, Babizen, France
" Essaouira, artistes singulier ", Catalogue de 10 expositions officielles de l'Année du Maroc en France 1999-2000
Auteur du livre " Essaouira, histoire & Création ", 1ère édition " Traces du présent " 1998, 2ème, 3ème, 4ème édition " La porte Rabat ".
Il a participé au livre d'art  " Les Gnaoua et Mohamed Tabal " ED LAK International, Milan
" Trace du présent ", revue d'art numéro spécial sur Essaouira, 1994
" Lettre des musique et des arts africains " 1995 et 1998, ED. l'Harmattan, Paris.
" D'un marabout l'autre ", ED. Atlantica, Biarritz, France.
" Tapis et tissage, l'art des femmes berbères du Maroc " Ed. La Croisée des chemins, Casablanca, 2008.
Il est aussi traducteur de danois en français des livres :
" L'histoire de l'Empereur Sidi Mohamed Ben Abdallah " par Georg Host et " Relations sur les Royaumes de Marrakech et Fès, recueillies dans ces pays de 1760 à 1768 " par George Host.
Depuis décembre 2001, Fréderic Damgaard a été élu membre de l'Académie du Var à Toulon à titre de correspondant étranger.
L'académie " Art-Science-Lettre " à Paris lui a décerné sa médaille d'or, puis sa Grande Médaille de Vermeil.
En avril 2007, Fréderic Damgaard fut décoré par Sa Majesté le Roi Mohammed VI d'Officier de l'ordre du Wissam Alaouie.


Lu 4670 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










services