Quelle société civile au Maroc ?


Par Siham Mengad Docteur en droit public
Lundi 20 Octobre 2014

Quelle société civile au Maroc ?
Conçue comme contre-pouvoir, force de proposition, acteur de changement, la société civile est l’interface entre l’Etat et les individus. Au Maroc, loin d’être organisée sans être récupérée, neutralisée ou réprimée, la « société civile » est loin de jouer son rôle en tant qu’acteur du changement politique. Comment expliquer une telle faille ?
La société civile comprend toutes les structures intermédiaires entre l’Etat et les individus, organisant le champ social de manière volontaire, telles que les associations, les syndicats, les chambres de commerce et d’industrie, les média, etc.
Au Maroc nous avons une action citoyenne plus au moins active. Le mouvement citoyen existe depuis des décennies. La première association féminine a été créée dans les années 40 du siècle passé. De 17.000 associations en 1997 on est passé à 60.000 associations en 2014. Les associations marocaines sont actives dans tous les domaines allant du sport à la culture. Ces dernières années, leur domaine d’intervention a été élargi. Il s’agit de la scolarisation et l’alphabétisation, particulièrement des filles et des femmes. La Santé de base à travers l’assistance primaire, l’éducation pour la santé, la nutrition, la santé reproductive, maternelle et infantile. L’amélioration de la capacitation professionnelle des ressources humaines et services d’appui aux activités productives de création et de développement de micro entreprises.
Durant les années 1990 « la société civile » a connu une certaine effervescence grâce à la tentative d’ouverture politique initiée par le pouvoir. On a alors vu le développement de nombreuses associations et ONG à vocation économique et sociale se caractérisant par une certaine autonomie par rapport aux pouvoirs publics.
L’accroissement du nombre d’associations à partir de ces années-là s’explique également par la présence  au Maroc de programmes d’aide et de développement initiés par des organisations internationales telles que le PNUD ou l’UNESCO.
A vrai dire, nous avons assisté à l’émergence de nouvelles associations et ONG qui constituent la trame d’une « société civile » cooptée. La nature exécutive de la monarchie, le mélange entre le business et le politique ne laissent pas de place  aux acteurs de la société civile, à savoir les associations, les partis politiques, et les syndicats. Les réformes ne sont pas impulsées par les partis politiques mais bien davantage par le Souverain et ses conseillers ; et de facto, ce sont des acteurs non politiques, des technocrates qui les mettent en œuvre. Le régime politique marocain n’accepte pas un acteur politique concurrent. En revanche, il admet le développement d’associations de services  et de prestations. Le jeu politique est contrôlé et organisé d’en haut. La société civile peine à peser efficacement, elle ne représente donc pas un enjeu stratégique à l’intérieur du jeu politique.
Au Maroc, le champ associatif est un tremplin réel d’ascension social pour une partie importante de ses adhérents. Par son mode de fonctionnement et de financement, une grande partie de l’action associative est le champ de l’occupation et l’encadrement de la bourgeoisie. Le rôle accru de l’entrepreneur dans les affaires sociales et politiques fait aujourd’hui l’affaire d’un vaste consensus social qui n’est pas indissociable d’une perte impressionnante de légitimité des structures politiques traditionnelles. Corruption, favoritisme, clientélisme font partie des règles du jeu de pouvoir y compris dans la société civile. « Des maux qui, sans déloger pour autant la force contraignante des textes de loi, savent très bien négocier avec les défaillances et les angles morts du système ».
Ce constat concerne aussi le fonctionnement de certains partis d’opposition et même certaines ONG, qui sont à l’image des partis au pouvoir et qui sont loin d’avoir une vie démocratique. Il n’y pas d’alternance interne, pas de débats, pas de vraie reddition des comptes.
Ainsi en est-il du cadre légal qui, bien qu’en voie d’assouplissement depuis vingt ans, n’empêche guère l’arbitraire politique et administratif de s’appliquer dans les faits. Les frictions qui se sont multipliées ces derniers mois entre les autorités marocaines et des ONG, locales et internationales, sont un exemple de cet arbitraire. L’association marocaine des droits humains (AMDH), la principale organisation indépendante du pays, avait dénoncé une "campagne" à son égard, publiant une liste d'une vingtaine de membres emprisonnés ou "poursuivis en liberté provisoire".
Une vive polémique avait éclaté entre des associations (dont l'AMDH) et le ministre de l'Intérieur, Mohamed Hassad, après que ce dernier eut accusé des ONG de servir un agenda étranger, et d'affaiblir la lutte contre le "terrorisme".
En plus des causes exogènes, qui relèvent de la volonté politique, il y a  des causes endogènes, qui sont inhérentes à la nature de la société marocaine. Elles sont essentiellement liées à la culture dominante. C’est ainsi qu’on peut constater le manque d’une culture citoyenne. L’individu est toujours considéré comme un sujet et non comme citoyen, qui a des droits et obligations.
Egalement, le manque d’une bonne gouvernance dans la gestion administrative, l’incapacité économique et l’absence de l’autonomie financière, la défaillance d’encadrement, et de transparence, sont des  facteurs qui nuisent à  la crédibilité de la « société civile » au Maroc, et par conséquent dissuadent les citoyens de croire à leurs actions.
La société civile devient plutôt un alibi dans le discours officiel, plus qu’une réalité tangible, parce qu’il est très difficile, dans des sociétés où les libertés d’expression et d’association font l’objet de dérogations, de voir éclore une société civile cohérente et vertébrée.
Au Maroc, on peut parler d'une vie associative au lieu d'une véritable société civile. Faut-il alors attendre un développement par le bas, c'est-à-dire via la société civile ? Pas sûr!

Docteur en droit public


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