Quand la religion est discutée sans voile


Par My Seddik Rabbaj
Jeudi 17 Décembre 2015

Quand la religion est discutée sans voile
La scène culturelle marocaine se voit enrichie par une nouvelle revue : Din Wa Dounia. Son premier numéro trace certainement le chemin qui depuis l’édito, superbement écrit par son directeur de la publication et de la rédaction, Souleimane Bencheikh, montre son ambition d’aller au-delà des tabous, de discuter les interdits religieux, de soulever les problématiques actuelles relatives au sacré… mais aussi de s’arrêter sur le profane, d’essayer de le bousculer et de l’analyser. C’est un magazine qui a choisi « de faire du sacré et du profane la matière brute de ses investigations et analyses ».
Le mensuel Din Wa Dounia ne se limite pas à discuter cette relation verticale qui lie l’être à son Créateur, il n’est pas une exégèse, il s’ouvre sur l’universel afin de permettre à tout un chacun de se repérer par rapport au monde. Il constitue un message de paix. C’est un moyen pour ne pas rester confiné dans sa région ou sa manière de penser et de se rendre compte de la diversité. Cette revue déclare son combat contre l’ignorance en se référant à Socrate et surtout à sa célèbre maxime dans laquelle il dit : « Il n’existe qu’une seule vertu, le savoir et un seul vice, l’ignorance». Elle s’oppose à ceux qui, suite à une mauvaise interprétation du Texte Sacré, font de leur religion une machine de guerre, un outil pour chercher à décimer tous ceux qui leur sont différents. On approche le Sacré d’une autre manière, loin de la ferveur aveugle ou le reniement de l’autre.
Les titres des rubriques qui composent le numéro touchent à la fois au régional comme à l’universel. Nous lisons dans Sacré Maroc par exemple : Différence entre jihad et terrorisme/ Maghreb. Touche pas à mes touristes/ Coopération religieuse. Les Imams de France se forment au Maroc/ Projet de loi. S’attaquer à la loi peut coûter cher  … et autres, autant d’articles aussi importants les uns que les autres.
On passe par l’agenda qui nous informe sur un nombre d’activités culturelles avant de passer à la rubrique Satané monde. Cette dernière contient deux pertinentes analyses. La première est faite par Olivier Roy et a pour titre : Les attentats à Paris révèlent les limites de Daech. Alors que la deuxième est signée par Stéphane M. Walt et s’intitule : ne pas tomber dans le piège de Daech.
Dans la rubrique Controverse, sous-titrée, tribune libre, les deux articles, celui de Salah El Ouadie – Pas de contrainte en religion ! - et celui de Mehdi El Kadiri – Des origines de l’intolérance – se complètent et s’expliquent. Ils montrent que le chauvinisme provient le plus souvent de l’éducation.
Le brillant reporter, Hicham Houdifa, fidèle à son sérieux dans le travail ouvre Ici et maintenant par un excellent reportage sur les « Marabouyate » de Midelt qui ne sont autres que les sœurs franciscaines. Celles-ci occupent une place importante dans la vie des habitants de Midelt et alentour. C’est une leçon de tolérance qu’il nous offre par son travail. Un autre reportage non moins important réalisé par Ali Lamrabet, sous le titre : Les oubliés d’Allah, parle de l’existence d’un cimetière au nord de l’Espagne et qui est réservé aux soldats marocains, morts lors de l’offensive franquiste sur Oviedo. Ce lieu oublié montre le respect de l’autre même après sa mort.
Les mots pour le dire est un long entretien avec Makram Abbès. Il parle de la traduction de Al-Mawardi, le juriste irakien (974 – 1058) qui trouve que le Coran n’est pas une constitution absolue. « Pour lui, la politique exige formation, expérience et mobilisation de toutes les ressources cognitives de l’homme, notamment la raison et l’imagination ».
Le dossier de ce numéro est réservé à l’Islam et les Lumières. Il traite du changement positif du regard  de l’Europe qui pour longtemps considère l’Islam comme une religion de violence. Il explique comment l’ouverture sur le monde arabe va créer la Nahda, la renaissance. Cette dernière qui, comme tout nouveau concept, se trouve entre détracteurs et partisans.
Des hommes et des Dieux est une rubrique qui oriente le débat de Din Wa Dounia vers Din Wa Dawla. C’est pour dire que les affaires religieuses ne se limitent pas seulement à la relation de l’être avec son Créateur mais la transcende pour toucher la politique, l’économie et la culture. L’article d’Abdou Filali-Ansary donne l’exemple d’Abdeslam Ben Hamdouch, ce alim qui s’oppose au tout-puissant Moulay Ismail au point de le payer de sa vie.
La rubrique Livres s’ouvre sur une excellente lecture de l’éminent professeur universitaire Mustapha Bencheikh dans le livre de Boualem Sansal : 2084, la fin du monde. Le critique finit son article par une superbe phrase : « Boualem Sansal nous livre une réflexion assumée, des convictions personnelles dont on appréciera ou pas la justesse, mais nul doute qu’il interpelle et ose penser tout haut ». Une proposition de livres pour meubler la bibliothèque clôt cette partie.
Dans la partie culture du monde, Histoire et civilisations offre trois articles d’une splendeur inégalable. Le premier montre comment le peuple Karaïsmes, une communauté religieuse et culturelle de Lituanie, devient le témoin d’un passage du judaïsme vers le christianisme et l’islam. Le deuxième parle du mythe de l’Atlantide créé par le philosophe grecque Platon au quatrième siècle avant J-C. Le troisième ferme la rubrique par l’histoire d’un grand amiral chinois musulman, un des plus grands explorateurs du monde.
La revue se termine sur une note rebelle, mais très logique de l’indomptable journaliste Sanaa El Aji. Elle traite de cette question du partage de l’héritage dans la société musulmane.  Ce bref aperçu sur les rubriques ne traduit pas le contenu de ce précieux document, car on peut le considérer ainsi, tant les matières qui le composent sont très intéressantes, parfois d’une grande érudition. C’est  donc une revue à ne pas manquer pour combler les manques dans certains domaines.       


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