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Mustapha Ramid réformé sans avoir rien réformé

Les réformettes tentées par le gouvernement Benkirane s’étant avérées illusoires, l’USFP milite pour une réforme en profondeur du secteur de la justice


Hassan Bentaleb
Vendredi 30 Septembre 2016

Surpopulation carcérale importante, réforme à la traîne, prévarication omniprésente, personnel réduit et inefficace, etc. Tel est le bilan de Mustapha Ramid à la tête du ministère de la Justice et des Libertés. L’ancien avocat qui s'est illustré par son soutien aux prisonniers salafistes et au Mouvement du 20 Février ainsi que par sa liberté de ton, quittera ce département dans quelques jours les mains aussi vides que lorsqu’il y est entré en 2012.
Tel est le cas concernant la réforme initiée dans le cadre du dialogue sur la réforme de la justice et de ses recommandations qui tardent encore  à voir le jour et à produire des effets réels dont, à titre d’exemple, le Code pénal et le Code de procédure pénale, ainsi que la loi régissant la profession d’avocat.
Certains experts reprochent même au ministre d’avoir fait du neuf avec du vieux comme ce fut le cas du projet de loi n° 10¬16 modifiant et complétant les dispositions du Code pénal adopté dernièrement par le Conseil de gouvernement.  
Nombre d’entre eux précisent qu’il ne s’agit en aucun cas d’une révision du Code pénal mais plutôt de la modification et la complétion de certaines de ses dispositions et qu’on est très loin du discours tenu, il y a deux ans, lors du lancement  du dialogue national sur la réforme de la justice où il a été question de revoir les 400 articles de ce texte de loi. Sa révision complète a été reportée, selon eux, à une date ultérieure à l’inverse de celle du Code de la procédure pénale qui a été maintenue.
Des défenseurs des droits l’Homme ont également critiqué ce corpus  à cause de  l’absence d’une référence universelle aux droits de l’Homme au niveau du son préambule et la prééminence d’un référentiel conservateur qui a balayé  d’un revers de la main l’ensemble des revendications du mouvement associatif. Tel est le cas concernant le maintien de la peine de mort et de certains articles attentatoires à la liberté du culte et aux libertés individuelles ou les dispositions relatives à l’emprisonnement des journalistes ainsi que le maintien de l’article 288 pénalisant les grèves.
Les réformes de Mustapha Ramid ont suscité l’ire au sein même de son propre camp.  Slimane El Amrani, numéro deux du PJD, est ainsi allé jusqu’à dire que son parti s’est fourvoyé en votant la fin de la tutelle du ministre de la Justice et des Libertés sur le Parquet, farouchement défendue par le ministre de tutelle. «Malheureusement, la loi organique relative au statut des magistrats a stipulé  l’indépendance du Parquet et nous avons été roulés dans la farine », a-t-il confié dernièrement lors d’une réunion de la commission de la justice et de la législation à la Chambre des représentants.     
En fait, dès l’entame du débat de cette loi, les députés de la majorité ont affiché leur farouche réticence.  Ils ont estimé que la tutelle sur le Parquet doit revenir au ministre de la Justice, notamment en cette période de réformes et ils ont espéré amender son projet de loi dans le sens du maintien de cette tutelle. Abdellah Bouanou, président du groupe parlementaire du PJD, est même allé jusqu’à exprimer des doutes sur l’utilité de garantir au Parquet général une totale indépendance. «Qui en est le réel bénéficiaire ? Et pourquoi insister autant sur cette indépendance ?», a-t-il lancé lors d’une conférence de presse en juillet dernier.
L’échec de la mission du ministre est également patent au niveau de la lutte contre la prévarication qui a été érigée comme slogan de la campagne électorale du PJD en 2011. En fait, les quelque 18.000 dossiers de prévarication dont 17.225 affaires de corruption, 479 de détournement, 91 de déloyauté, 19 d’abus de pouvoir et 154 de dilapidation de biens publics soumis au Parquet ne signifient pas grand-chose aux yeux de beaucoup de spécialistes. Ils savent pertinemment que, souvent, les affaires soumises à la justice n’aboutissent pas, car  nombre d’entre elles débouchent sur des non-lieux ou sont tout simplement classées.  Le même constat est dressé par l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) qui a indiqué, dans l’un de ses rapports, que le département de la Justice et des Libertés classe souvent les affaires de corruption  faute de preuves ou pour cause de dénégation des inculpés, de prescription, d’incapacité à auditionner l’ensemble des parties ou d’absence d’éléments à caractère pénal.    
Pour eux, plusieurs affaires qui sont en instruction tardent à aboutir. Tel est le cas de cet ancien ministre poursuivi dans 59 affaires et qui n’a pourtant pas été inquiété jusqu’à aujourd’hui. Idem pour Mohamed El Faraa, ancien directeur de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques (MGPAP) qui a été acquitté le 11 mai dernier par la Chambre correctionnelle de Rabat chargée des crimes financiers malgré le fait qu’il a été poursuivi avec d’autres personnes pour  détournement de deniers publics s’élevant à 1,17 milliard de dirhams, usage de faux, corruption, abus de confiance, trafic d’influence, blanchiment d’argent et complicité.
Le cas du procès de la CNSS demeure également sur toutes les lèvres. En effet, après 13 ans de procédure, la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca a décidé d’infliger quatre ans de prison avec sursis et une amende de 40.000 DH aux 13 personnes poursuivies dans cette affaire dont Rafiq Haddaoui, principal inculpé en sa qualité d’ancien directeur général de ladite Caisse.
La moralisation du secteur de la justice fait également partie des défaillances de  Mustapha Ramid. Selon plusieurs professionnels du secteur, les mesures  disciplinaires prises à l’encontre de 28 fonctionnaires des tribunaux  dont 12 greffiers, 7 copistes, 8 huissiers et un ingénieur et les 47 plaintes instruites sur les 661 déposées demeurent insignifiantes au regard des données sur la prévarication et la corruption dans le secteur de la justice. Lequel a toujours frayé avec la police, la santé, les parlementaires, le monde des affaires, les associations, les médias et l'enseignement en matière de corruption.  Pour 79% des Marocains sondés en 2013 par Transparency International, la police vient en tête du peloton des secteurs les plus corrompus, suivie par la santé d’après 77% des personnes sondées. Quant à la justice, elle vient à la troisième place avec 70% des enquêtés.  
Les professionnels considèrent que les mesures disciplinaires prises sous l’ère Ramid ont été insuffisantes pour endiguer le fléau de la prévarication au sein du secteur. Sa moralisation ne passe pas uniquement par des sanctions ; lesquelles doivent être accompagnées par d’autres mesures telles que l’amendement des lois y afférentes, l’amélioration de l’accès au secteur, la formation professionnelle continue, le contrôle, l’amélioration des conditions de vie des fonctionnaires. Un autre chantier que le ministre de la Justice et des Libertés n’a eu ni la volonté, ni le courage politique de mener à bon port.  

Les propositions de l’USFP pour la réforme de la justice

- Garantie du droit en une justice équitable sur la base de lois ordinaires découlant de textes adaptés et harmonisés  avec les mutations que connaît la société, avec les Conventions internationales ratifiées, ainsi qu’avec la Constitution de 2011; textes qu’il convient de revisiter intégralement en vue d’en actualiser les lois et procédures devenues obsolètes;
- Révision du Code de procédure pénale qui organise les conditions et les garanties d’une justice équitable, tout en reconsidérant le texte du Code pénal qui détermine les orientations générales de la politique pénale lequel doit s’inspirer de la culture des droits de l’Homme, de la pertinence du recours à des sanctions alternatives ainsi que de la mise en place de mesures préventives contre les crimes et délits ;
- Reconsidération des textes du Code du travail, du Code de la famille et du régime de la kafala en tant que textes  juridiques fortement liés à la vie privée  et sociale, ainsi que les textes relatifs à l’investissement tels le Code du commerce, la loi sur la concurrence et la loi sur la propriété intellectuelle et industrielle ;
- Révision de la loi de procédure civile et d’organisation de la justice ;
- Renforcement du rôle de la justice dans la protection des droits et des libertés par le biais d’une  application équitable et égalitaire de la loi pour tous les justiciables en conformité avec le principe de la suprématie du droit et de celui de l’égalité devant la justice ;
- Garantie de l’équité et de la suprématie de la justice afin d’assurer la paix sociale,  la stabilité politique et l’instauration de la confiance parmi les individus et dans la société et acquérir la crédibilité hors des frontières en vue d’attirer les investissements extérieurs pour lesquels la justice et l’appareil judiciaire dans son ensemble constituent la meilleure incitation pour le montage de tout projet économique à même d’impacter le développement économique ;
- La non réduction des garanties de l’indépendance de la justice aux mesures relatives à la hausse des salaires, à l’amélioration des conditions matérielles, au renforcement des inspections, à la promotion des juges et à leur radiation le cas échéant, mais de les étendre également aux solutions à apporter aux problèmes de la formation, du renforcement des compétences, à la consolidation des savoirs, de la dissémination de la culture des droits de l’Homme, et la prise en compte des Conventions internationales en tant que l’une des sources de la législation;
- Ancrage de la réforme de la justice dans le cadre d’une réforme globale de l’ensemble des métiers judiciaires et non judiciaires dépendant des dispositifs de la justice, notamment par le biais de l’octroi d’une meilleure considération au rôle de la défense durant toutes les étapes et procédures en vue d’assister judicieusement les citoyennes et les citoyens, au corps des greffiers à travers la création d’une école nationale pour la formation sur ce métier, ainsi qu’aux fonctionnaires  judiciaires et aux experts de toutes disciplines.

 


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