Mémoire d’outre-ombre

A propos de «Vers le large» de Jaouad Mdidech

Jeudi 22 Mai 2014

Mémoire d’outre-ombre
«Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir». Cette assertion de René Char, semble tenir lieu de principe d’existence pour le narrateur de ce récit qui est à la fois un exercice de remémorations de tourments et d’émerveillements, un hymne à l’âge des commencements et une litanie sur des lieux ébréchés par le ressentiment du temps.
Dans un style tantôt finement ouvragé, tantôt sobrement narratif, cette histoire de sentiments retrace de part en part les empreintes de la moiteur carcérale sur le corps et la mémoire. Condamné à savourer les charmes de la liberté retrouvée, la figure centrale de cette histoire s’adonne à l’exploration de ses jours en égrenant les éblouissements de l’adolescence, le désir songeur de révolution, les saisons toutes glauques à l’ombre de ténèbres inlassables, la tendresse de la main maternelle, le chagrin impalpable du père que trahit à peine la dignité, les plaintes du cœur, les brefs bonheurs amoureux, les amitiés au fil des rivages et des destins entrecroisés. Ce chapelet d’évocations scintille d’une même blessure que l’auteur met à nu avec une conviction restée intacte et une affectueuse pudeur : celle d’avoir été arraché au bel âge pour délit de rêve. Alors que le futur détenu songe plutôt à  tendre, à l’instar de Robert Desnos, «ses poignets aux menottes délicates  des femmes» en fleur, une main de fer, rôdant sur le pays du soleil or jaune et de la lune pourpre, s’abat sur lui. C’est ce Maroc de «La fourgonnette », que sonde avec une lucidité inquiète, le Kafka des lettres marocaines, Abdeljebbar Shimi, qui est au cœur de la destinée décrite par la plume de l’auteur. Avec une sensibilité vive que n’effleure pas la rancœur, «Vers le large» donne à vivre des émotions parfois avec force détails, et à méditer sur le sens et  la conscience d’un idéal contredit dans le prolongement de «La chambre noire» qui est un récit soigné des meurtrissures de ténèbres sans frontières et des frissons de lueur. Libre, l’ex-hôte des ténèbres se met d’emblée à chérir le chant intime de l’océan, à humer, à aimer, à flâner. En promeneur à l’affût de nostalgies, il fait du lecteur le convive de ses souvenirs.  Dans cette mémoire subjective, le partageur complice reconnait la sienne. Hôtel de Nice et ses joies furtives, la taverne Victoria et ses sangrias, La Comédie et sa convivialité enfumée, le Trésor et ses tapas, Stade d’Honneur, l’inoubliable Stade Philippe et ses matinées dominicales,…autant de noms propres qui étaient des lieux communs d’initiation au partage des joies, des mélancolies, à l’écoute de chansons des astres de l’Orient d’alors, des disputes au sujet des derbys casablancais et d’élans éphémères aux traces indélébiles. Le goût du football était immanquablement mêlé à celui des sandwiches à la sauce pimentée consommés avant les matches, savoir avait de la saveur, rêver une odeur bleue d’été. En déambulant dans des rues débaptisées et rebaptisées comme pour dépouiller Casablanca de son nom et de sa superbe, le flâneur arpente des regrets aux couleurs de deuil. Dans les débits de boisson, il n’y a plus de juke-box qui frissonnèrent d’appels aux féaux. Y règnent des mines cupides, des regards défaits, des nuages âpres et quelques lueurs. La mer poursuit ses hautaines ondulations, indifférente, à la ville lugubre.
«Vers le large» est une traversée. Grâce au vertige d’être, l’homme libre au corps supplicié, survit au cauchemar. La parole digne, si étroite soit-elle, est son gouvernail. Comme l’écrit Emmanuel Roblès : «Vivre, ce n’est pas exister à n’importe quel prix».
Par RédouaneTaouil 
Le Club de tennis USM organise un café littéraire, le vendredi 24 mai à 19h30, avec Jaouad Mdidech autour de ses livres «La chambre noire» et «Vers le large».


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