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Lutte contre la corruption, le slogan creux d’un gouvernement sur le départ

La soumission de centaines de dossiers à la justice en trompe-l’œil


Hassan Bentaleb
Mercredi 20 Juillet 2016

“La raison d'être des statistiques, c'est de vous donner raison ». La citation d’Abe Burrows, un humoriste américain, semble bien correspondre à la manière avec laquelle le gouvernement Benkirane exploite les données chiffrées.   Ces dernières sont souvent livrées bricolées et détournées de leur véritable sens.  Le cas des dernières statistiques sur la lutte contre la prévarication ne déroge pas à cette règle. 
Selon le département de la Justice et des Libertés, l’Exécutif a soumis au Parquet 18.000 dossiers de prévarication dont 17.225 affaires de corruption, 479 de détournement, 91 de déloyauté, 19 d’abus de pouvoir et 154 de dilapidation de biens publics. 
La même source a également indiqué que 40 dossiers relatifs aux rapports de la Cour des comptes établis entre 2012 et 2014 ont été soumis à la justice dont 16 affaires concernent les établissements publics et 24 sont relatives à la gestion des collectivités locales. En outre, le département de Ramid a révélé que l’Inspection générale des finances a mené 209 missions d’audit,  404 examens de rapports  et 156 contrôles de gestion administrative et financière des collectivités territoriales. 
« Les chiffres avancés par le gouvernement épatent, sonnent bien et donnent l’impression que l’Exécutif travaille d’arrache-pied pour lutter contre les méfaits de la corruption. Pourtant, la réalité est autre », nous a déclaré Tarek Sbaï, président de l'Instance nationale de protection des biens publics (INPBPM). Et de préciser : « Ces chiffres sont plutôt destinés à donner au reste du monde une bonne image de la soi-disant efficacité gouvernementale en matière de lutte contre la prévarication et de faire taire les critiques relatives à l’inefficacité de celle-ci au niveau national. Mais tout le monde sait pertinemment que, souvent, les affaires soumises à la justice n’aboutissent pas puisque  nombre d’entre elles sont soit classées soit débouchent sur des non-lieux».  Même constat observé par l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) qui a indiqué dans l’un de ses rapports que le département de la Justice et des Libertés classe souvent les affaires de corruption  pour cause d’absence de preuves, de dénégation des inculpés, de prescription, d’incapacité à auditionner l’ensemble des parties ou pour absence d’éléments pénaux.   
Notre source ne mâche pas ses mots. Elle estime que le nombre de dossiers occultés ou passés sous silence au cours du mandat de l’actuel gouvernement en dit long sur l’absence de volonté politique de l’Exécutif de mettre un terme à ce fléau.  « Aujourd’hui, plusieurs affaires sont en instruction devant la justice mais tardent à aboutir comme celle de cet ancien ministre dont le nombre de dossiers où il est poursuivi s’élève à 59 et qui n’a pourtant pas été inquiété jusqu’ici ». Et d’ajouter que « le cas de Mohamed El Faraa, ancien directeur de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques (MGPAP), demeure édifiant puisque ce dernier a été acquitté le 11 mai dernier par la Chambre correctionnelle chargée des crimes financiers à Rabat lui et les autres personnes poursuivies dans cette affaire de détournement de fonds publics dont le montant s’élève à 1,17 milliard de dirhams, d’usage de faux, de corruption, d’abus de confiance, de trafic d’influence, de blanchiment d’argent et de complicité». Mohamed El Faraa avait pourtant été condamné en avril 2011 à quatre ans d’emprisonnement, dont 30 mois avec sursis, et à une amende de 10.000 dirhams  par la Chambre criminelle chargée des crimes financiers de la Cour d’appel de Rabat.  En 2012, la Chambre criminelle avait même alourdi cette peine d’un an suppélementaire.  
Le cas du procès de la CNSS est également sur toutes les lèvres. En fait, après 13 ans de procédure, la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca a décidé d’infliger quatre ans de prison avec sursis et une amende de 40.000 DH aux 13 personnes poursuivies dans cette affaire dont Rafiq Haddaoui, principal inculpé en sa qualité d’ancien directeur général de la Caisse. Elle a également requis deux ans de prison ferme pour trois personnes, en sus d’une amende de 50.000 DH alors que 10 autres personnes poursuivies dans ce dossier ont été acquittées, dont notamment Abdelmoughit Slimani, ancien secrétaire général de ladite Caisse, et Driss Aouad, responsable de la gestion des mutuelles.
Les affirmations de Sbaï ont été confirmées par plusieurs rapports nationaux et internationaux qui considèrent que la lutte contre la prévarication n’a pas dépassé le stade des bonnes volontés et des slogans et que les mesurettes prises par le gouvernement ont été inefficaces et ont péché par manque d’implication de tous les acteurs concernés.  Lesdits rapports ont également souligné que cette lutte a été marquée par la faible coordination institutionnelle entre les autorités et les instances d’inspection, de reddition des comptes et de suivi, les difficultés d’accès à l’information, la faiblesse des moyens de lutte et les tergiversations en matière d’application de la loi relative à la protection des témoins et des victimes des affaires de prévarication. 
Le président de l’INPBPM pense aussi que la lutte contre ce fléau  ne dépasse pas le stade du discours chez le gouvernement et que le lobby des corrompus est plus fort que la justice, le Parlement et le gouvernement réunis. « Alors comment peut-on expliquer que des personnes impliquées dans des affaires de corruption soient de hauts responsables de l’Etat ou même des ministres ? », s’est-il interrogé.
Et de conclure : « Pis, le ministre de la Justice et des Libertés, lui-même président du Parquet,  a donné des instructions pour que les recherches en cours dans des dossiers de prévarication soient arrêtées à cause des prochaines élections. Du coup, le mandat de l’actuel gouvernement va prendre fin sans que les grands dossiers ne soient examinés et que les inculpés soient condamnés».


   
    

    

 


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