Le sort fatalement tragique du cinéma marocain

Le film marocain restera un film orphelin sans le film père qui pourrait le légitimer


Par Mohamed Mouftakir
Mercredi 31 Mai 2017

L’une des forces et des faiblesses du cinéma marocain est qu’il n’est ni totalement tourné vers l’Orient ni totalement vers l’Occident. Il n’est pas tout à fait maghrébin non plus. D’où cette distinction dont ce cinéma bénéficie mais qui le dessert plus qu’il ne le sert. Si on considère que le cinéma algérien a commencé comme un cinéma engagé politiquement, le cinéma tunisien l’est socialement et le cinéma libyen est pratiquement inexistant, on peut dire que le cinéma marocain, délaissé un peu par l’Etat à ses débuts, n’est engagé en rien. Aucune particularité ne pourrait le caractériser ni lui donner cette identité et ce cachet qui pourrait l’aider à être facilement repérable et à bien voyager. Depuis 1958, date de la première diffusion du film marocain, "Le Fils maudit" de Mohamed Ousfour, viennent après en 1968 "Vaincre pour vivre" de Ahmed Mesnaoui et Mohamed Tazi , 1969 "Soleil de printemps" de Latif Lahlou "Quand Mûrissent les dattes" de Hamid Ramdani et Larbi bennai et, juste après, en 1970 le film "Wachma" de Hamid Bennani, quatre films et quatre cinéastes qui diffèrent l’un de l’autre, le cinéma marocain continue à vivre tragiquement, et jusqu’à nos jours, cette vaine tentative de vouloir sortir et d’échapper à ce début/départ bloquant. Cette naissance timide, tâtonnante et espacée dans le temps lui a fait rater la chance ou l’occasion de se repérer ou de s’identifier à un film référence ou à un cinéaste fédérateur autour duquel pourraient s’articuler son vrai départ et son développement, et devenir ainsi un cinéma actif, utile, nécessaire et productif. Si l’Egypte a son Yousef Chahine, la Tunisie son Nouri Bouzid, l’Algérie son Lakhdar Hamina, l’Espagne son Almodovar, la France son Godard, la Serbie son Kusturica, la Suède son Bergman et j’en passe, le cinéma marocain ne se reconnait en aucun de ses cinéastes, qu’ils soient vieux ou jeunes, et peine à trouver cette figure et ce film fédérateur. Il reste, selon le point de vue des critiques et des intéressés, un cinéma bâtard et faussement varié sans cette référence paternelle et référentielle qui pourrait lui donner cette légitimité dont il a vraiment besoin. Le cinéma marocain reste malheureusement un cinéma sans son cinéaste symbole et le film marocain restera un film orphelin sans le film père qui pourrait le légitimer. Personnellement, et j’en suis même convaincu que c’est là, l’un des problèmes majeurs qui empêche et empêchera notre cinéma de rayonner ailleurs et de jouer son rôle de représentant de notre imaginaire, malgré le talent incontestable de certains de nos cinéastes, jeunes et moins jeunes. Tant que ce cinéma, toujours hésitant, refuse de s’ouvrir sur son passé et à travers lequel s’ouvrir par la suite sur l’avenir, il continuera à vivre éternellement ce sort tragique qui l’emprisonne dans des tentatives vaines et répétitives pour sortir de ce blocage qu’il porte dans ses gènes ; un facteur handicapant interne plutôt qu’externe. Le cinéma marocain restera, de ce fait, un cinéma non structuré qui ne se construit pas dans le temps, en termes de continuité et de cumul d’expériences, un cinéma qui porte en lui-même son propre ennemi et son propre handicap ainsi que son dénigrement . Chose qui en fait de lui un cinéma souvent maladroit et dispersé. Ni le cinéma marocain en général ni le cinéaste marocain en particulier ne cumulent les expériences et ne construisent dans le temps pour donner à ce cinéma une sorte d’homogénéité, une cohérence et un cachet qui les aident plus ou moins à se répandre et à s’exporter, par le fait d’être facilement identifiables et repérables par l’autre. Chaque cinéaste marocain, même s’il est au bout de son 10ème film, vit cette récurrente souffrance de n’avoir rien réussi et refait la tentative comme s’il s’agissait toujours d’un premier film. Cette perte et cette fatale et permanente non reconnaissance des cinéastes marocains, les uns vis-à-vis des autres, crée un climat tendu, jonché de dénigrement et de méfiance où chaque cinéaste reste cloitré dans son petit coin, croyant être le meilleur et le seul ayant raison et étant sur la bonne voie. Pire encore, cet état de chose a donné naissance à des cinéastes en herbe qui prétendent être les meilleurs sans avoir rien prouvé sur le terrain ni avoir fréquenté, à travers leurs films, le grand public dans les grandes salles. Je pense que le cinéma marocain, le long de sa petite histoire, n'a pas réussi à installer cette hiérarchie symbolique, voire spirituelle nécessaire à sa croissance et à son développement et qui pourrait être source de dialogue et de paix entre ses cinéastes. Il n'a produit, et ce jusqu'à nos jours, que des étalons égarés qui courent un peu partout et n'importe comment croyant chacun qu'il est le vrai étalon. Quel constat triste et révélateur!


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