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Le rêve brisé des nomades aux portes d'Oulan-Bator


Libé
Lundi 21 Août 2017

Elle est née dans les steppes qui s'étendent à perte de vue sous le soleil mongol. Aujourd'hui, Olzod a pour vis-à-vis un bidonville embrumé par la pollution, où s'entassent des centaines de milliers de nomades venus comme elle chercher une vie meilleure à Oulan-Bator.
Dans les collines qui entourent la capitale mongole, les gratte-ciel cèdent la place à des quartiers de yourtes, les tentes circulaires traditionnelles, sans eau courante ni système d'évacuation.
Olzod, une couturière de 35 ans, vit là depuis une quinzaine d'années.
"C'est très dur, mais la vie à la campagne l'est encore plus", dit-elle, couchée dans la yourte qu'elle partage avec ses trois enfants.
La rigueur de l'hiver pousse chaque année de nouveaux nomades vers la ville. L'hiver dernier, une vague de froid particulièrement vif doublée d'un épisode de sécheresse, a tué plus de 40.000 têtes de bétail.
Avec le changement climatique, les experts estiment que la fréquence de ce phénomène, appelé "dzud", ne cessera d'augmenter.
Aujourd'hui, près de la moitié de la population de Mongolie, soit 1,5 million d'habitants, vit à Oulan-Bator, dont la majorité dans ces bidonvilles qui ont grossi en périphérie. Des quartiers reliés par des chemins boueux, sans électricité, où s'alignent tentes et bicoques misérables.
La croissance rapide de ces zones a conduit en début d'année le maire de la ville à limiter les arrivées de migrants et à bloquer l'expansion du réseau d'électricité.
Le nouveau président Khaltmaa Battulga, un homme d'affaires populiste qui a remporté les élections au début du mois, a promis d'éradiquer la pauvreté dans ces taudis, où lui-même a grandi. En héritant d'un prêt de 4,8 milliards d'euros sous l'égide du Fonds monétaire international (FMI), il a juré de faire redécoller l'économie.
Selon la Banque mondiale, au moins 60% des habitants des bidonvilles sont au chômage.
Chez Olzod, un four à charbon trône au milieu de la tente afin de résister à l'hiver, lorsque la température tombe sous les -40°C; la toile de tente est doublée de vêtements colorés, offrant une couche d'isolation dérisoire avec l'extérieur.
A Oulan-Bator, "on croyait obtenir une bonne éducation", raconte Olzod, qui est venue avec sa soeur dans la capitale. Mais leur activité de couturière était insuffisante pour payer les frais de scolarité.
Aujourd'hui, son revenu principal vient de la vente de robes traditionnelles qu'elle coud à la main. Des robes qui se portent durant les deux principales fêtes nationales: le Nouvel An lunaire en hiver et le Naadam en été.
Avec le Nouvel An, Olzod a gagné 4 millions de tugriks (environ 1.500 euros). En comptant l'allocation mensuelle du gouvernement pour les enfants, Olzod a tout juste assez pour tenir jusqu'au Naadam.
"Tout ce que je veux, c'est une nouvelle machine à coudre", dit-elle. Dans cette famille qui ne peut se permettre qu'un repas par jour, le bonheur d'Olzod est que ses deux filles adolescentes et son fils de 10 ans puissent aller à l'école -- un trajet de trois kilomètres qu'ils parcourent à pied.
Chassée de la steppe par le "dzud", Shagdur Purevsuren, une laitière de 57 ans, est arrivée à Oulan-Bator il y a 17 ans. Endettée par l'achat de trois vaches, elle utilise sa retraite pour rembourser son crédit. La vente de ses produits est tout juste suffisante pour joindre les deux bouts, mais elle s'inquiète surtout pour sa fille au chômage et ses petits-enfants.
"Ma fille a fait beaucoup de petits boulots en ville", explique-t-elle, en remuant une crème onctueuse. "Ses patrons ne lui donnaient jamais l'argent qu'ils lui devaient. Parfois les enfants n'ont rien à manger, ils tombent malades", dit-elle.
Bien souvent, les nomades ne savent pas ce qui les attend dans la capitale, observe la directrice d'une branche de la Croix-Rouge américaine à Oulan-Bator, Damdinsurengiin Gerelmaa. "Ils ne sont pas au courant des risques".
Malgré tout, Purevsuren, elle, a appris à aimer cet environnement bizarre où la steppe se fond dans la ville. C'est là qu'elle a rencontré son mari et que grandiront ses petits-enfants.
"De toute façon", dit-elle, "je suis trop vieille pour élever des animaux à la campagne".


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