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Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?


Mercredi 3 Septembre 2014

Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?
Devant cet état de faits, il ne faut pas que les libéraux deviennent des adeptes du gémissement et qu’ils imputent à l’Occident les causes de leur faiblesse. Ils doivent faire connaître et populariser la séparation des pouvoirs, donc faire oeuvre politico-pédagogique et ne pas déplorer l’indifférence des pays occidentaux à leur cause. 
Si l’Occident renonce à défendre le droit sur d’autres territoires que le sien, on ne peut l’accuser de ne tenir compte que de ses intérêts géopolitiques, car cette règle est invariable et la même pour tous. On ne peut le blâmer de vouloir plaire à ceux qui détiennent le pouvoir et qui peuvent agir contre lui (en favorisant un pays contre l’autre) au lieu de soutenir des opposants divisés et meurtris par des décennies de répression. 
C’est aux Marocains qui veulent moderniser leur pays d’en tenir compte et de ne pas croire que des Etats vont agir dans le sens d’une providence fantasmée. Pour aboutir, la réforme démocratique doit surmonter les contraintes géopolitiques. Il ne faut donc pas céder à la rancoeur et se lancer dans un discours démystificateur au sujet de l’hypocrisie de l’Europe ou du Nouveau monde. 
C’est inutile. La séparation des pouvoirs s’obtient par un militantisme inlassable et par un travail méthodique et patient de conscientisation. Il faut compter sur soi et veiller aux bonnes relations avec les pays qui sont favorables à la cause du Sahara marocain.  
 IX. UNE OEUVRE DE LONGUE HALEINE 1. 
La construction démocratique en Occident: patience et longueur de temps… Voici une dizaine de pages que le lecteur marocain peut méditer pour mieux appréhender les lacunes du régime marocain et les voies possibles de la réforme. Il peut voir que de l’Antiquité jusqu’au XIIe siècle la vertu fut impuissante contre la tyrannie. Il peut aussi ajouter l’expérience des peuples musulmans pour ne plus envisager que l’établissement d’institutions démocratiques. 
Le chemin sera, n’en doutons point, difficile ; mais, il ne faut pas croire que l’Occident était en lui-même, de toute éternité destiné à la démocratie : les régimes tyranniques, monarchies absolues et dictatures y prévalurent plus longtemps que ceux de séparation des pouvoirs et les libertés continuent à y être fragiles, c’est dire l’importance d’un effort permanent pour les sauvegarder. 
Quant aux Marocains, ils doivent méditer le parcours cahoteux et le lent apprentissage de la démocratie en Europe pour maintenir fermement le cap vers les libertés. En Grèce ancienne, la démocratie fut tout d’abord une mesure de protection déployée par une aristocratie qui finit par redouter la tyrannie après en avoir longtemps minimisé les dangers. 
Le tyran, souvent un aristocrate lui-même, prétendait servir les classes défavorisées et briser la suprématie de l’aristocratie; il s’alliait au peuple pour s’emparer du pouvoir et se soustraire aux lois qui réglementaient l’exercice de l’autorité. L’usurpation était combattue parce que grands et petits subissaient l’arbitraire du tyran. La révolution démocratique clisthénienne libéra dans cette perspective le citoyen de l’assujettissement aux eupatrides et lui accorda plusieurs droits politiques: se réunir en Assemblée (Ecclesia), proposer les lois, dénoncer les magistrats corrompus, faire partie également de la Boulê et contrôler l’exécutif (les stratèges). 
L’essence de la démocratie grecque n’était pas la représentation mais l’égalité devant l’acte de gouverner. On supposa que tous les citoyens étaient également qualifiés pour diriger l’Etat. Cette fulgurance grecque de l’égalité devant l’acte de parler et de gouverner avait ses côtés sombres : l’utilisation du pouvoir d’Etat dans un sens partisan, pour combattre un adversaire politique, semble avoir été la règle plutôt que l’exception. 
La cité platonicienne est l’antithèse de la cité clisthénienne; la souveraineté y est assignée à une élite, celle qui possède les facultés rationnelles. Platon propose une réforme politique en dehors des contraintes de son temps : il s’épargne d’examiner en profondeur les causes de la crise de la démocratie athénienne et de penser à une amélioration graduelle du système. Mais il est vrai qu’il fut tellement bouleversé par le châtiment « démocratiquement » infligé à Socrate qu’il jugeait la démocratie comme une calamité. 
Plus que Platon encore, Aristote est le défenseur d’une monarchie stabilisatrice mais fondée sur la loi. Pour lui, si la loi n’est pas souveraine, il n’y a pas de Constitution; il se défierait même d’un gouvernant éclairé, si son action n’obéissait pas à la loi : la subjectivité, même douée d’une bonne intention, doit être écartée car rien n’est plus sûr que le terrain de la loi. Une loi inspirée par la vertu et la bienveillance et qui permet l’épanouissement de l’homme. 
Aristote rejette également les formes corrompues de pouvoir sans loi établie, ou ne prenant en considération que l’intérêt de quelques-uns et usant de contrainte vis-à-vis des autres (tyrannie, oligarchie et démocratie), et leur préfère la monarchie et l’aristocratie. Mais le meilleur régime est la politeia : une démocratie fondée sur la vertu. Rome ne fut jamais sensible à la démocratie ; elle évolua d’un régime où les patriciens étaient seuls les maîtres à une république oligarchique après une intégration totale de la plèbe dans l’ordre politique. 
La corruption généralisée précipita la faillite institutionnelle. Gardien des lois, le Sénat les transgressait toutes : les magistrats étaient élus avant l’âge légal, la corruption électorale aidant ; en cas de plainte, les juges les acquittaient très souvent. La politique antisociale du Sénat ne laissait à la plèbe que deux voies pour améliorer ses conditions de vie: soit de s’attacher à des ambitieux, soit de faire allégeance aux généraux qui la commandaient en temps de guerre. César réaffirma la puissante tendance autocratique du système politique romain (l’oligarchie peut plus facilement évoluer en autocratie qu’en un pouvoir démocratique), d’où l’évolution vers une légitimité monarchique-impériale. 
D’Auguste à la chute de l’Empire romain rares furent les empereurs se souciant des classes populaires, les humiliores. Après l’effritement de l’Empire romain, l’Occident reprit péniblement le chemin de la centralisation : celle-ci se heurta à un Etat patrimonial pur qui impliquait la division du territoire entre les héritiers du souverain. 
Cette centralisation fut ralentie également par une organisation féodale, sans solidarité réelle en son sein, et qui exprimait un pouvoir de proximité, en raison des invasions qui perturbaient le commerce et rendaient dangereux les déplacements. Mais avant que les bourgeois et la classe moyenne ne se mirent à réclamer des droits, en soumettant l’imposition royale à la représentation parlementaire, les féodaux obtinrent du roi d’Angleterre une déclaration des droits de l’Homme en plein Moyen-Age : il s’agit de la Grande Charte (1215) et des Provisions d’Oxford; celles-ci stipulaient que le roi avait l’obligation de respecter la loi comme tous les Anglais et réaffirmaient l’indépendance de l’Eglise et son droit de nommer les évêques dans le royaume, de même qu’elles reconnaissaient l’autonomie des cités, des bourgs, des villes et des ports. 
S’il est une oeuvre qui discrédite subtilement la légitimité monarchique, en ce qu’elle ne se justifie que par un désir d’assujettissement de la part du peuple, c’est bien le Discours de la servitude volontaire de La Boétie, rédigé en 1548 et étroitement contemporain d’Henri II. 
La Boétie présente la servitude du peuple comme un bien ardemment recherché; refusant la liberté, il se satisfait plutôt de sa sujétion. Le philosophe n’envisage ni rébellion ni attentat contre le tyran ; une désobéissance civile ou une abstention de concours est suffisante ; il affirme que le refus de servir est le plus sûr moyen de mettre un terme à la tyrannie.  


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