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Le calvaire des migrants irréguliers de la capitale spirituelle : «Ah ! Si nous pouvions partir ?» Oui mais où ?


Régularisés ou pas, les migrants continuent à lorgner l’Europe


Mustapha Elouizi
Lundi 25 Mai 2015

Le calvaire des migrants irréguliers de la capitale spirituelle : «Ah ! Si nous pouvions partir ?»  Oui mais où ?
Fès au centre-ville à 10h30 du matin. L’ambiance commence à chauffer. Le nombre de véhicules en circulation augmente. Les différents feux de circulation sont envahis par les ressortissants subsahariens. Une dizaine de Subsahariens s’entassent du coup dans chaque feu. Une scène quasi habituelle, désormais. 
L’objectif ? Solliciter l’aide des conducteurs. L’on est dans les zones les plus multinationales de la ville. Camerounais, Maliens, Sénégalais, Congolais, Ivoiriens, Guinéens, Nigérians, Burkinabés… en plus de Marocains et souvent même de Syriens. Chacun y va de ses techniques et astuces. Tout se passe au vu et au su des forces de l’ordre. 
Pays de passage, au début, le Maroc n’avait jamais pensé aux capacités d’accueil de ces flux migratoires. Devenu pays d’installation plus ou moins longue, la tolérance est de mise. La régularisation n’est pas un moyen, et n’intéresse pas tous ceux et celles qui y vivent. Tout le monde rêve de partir un jour. L’on ne fait que gérer un problème qui ne s’est pas encore totalement affiché. 
Michel et Traoré caressent depuis leur enfance ce rêve de rejoindre les aînés en Europe. Agés respectivement de 21 et 22 ans, ils ont vécu tout ce qu’un immigré illégal peut vivre : refoulement, traque, faim, regard méfiant, sympathie et compassion, solidarité. Bref, ils ne vivent pas, ils endurent. Avec un niveau bac, le premier, Michel, a la communication facile et les idées plus ou moins claires. Quant à Traoré, il est sans niveau d’instruction. Il répond à demi-mot. Ses yeux disent tout. 
Ils passent la journée à côté de l’un des feux de signalisation du centre-ville. Ils ne rentrent qu’à onze heures du soir, parfois au-delà. Plus le temps d’un feu rouge est long, plus grande sera la chance de collecter des sous supplémentaires. La collecte  est réservée aux besoins individuels, car d’autres « camarades », près la gare de la ville, où ils logent dans des chamboulas de fortune, apportent de quoi faire le dîner du soir.  
« Après nous avoir chassés de la forêt de Gourougou, près de Nador, nous avons fait beaucoup d’autres villes comme Rabat et Meknès, mais finalement nous avons choisi de s’installer à Fès », disent-ils, ajoutant que « certes nous ne gagnons pas beaucoup d’argent de l’aumône, mais nous préférons d’autres modes, comme la vie simple, calme et permissive ». La sympathie des gens à l’égard de leur question et la compréhension de leur condition n’empêchent pas certains de les accuser d’avoir quelque peu troublé l’ordre public et même d’être parfois agressifs. « Nous ne sommes pas agressifs, du moins la majorité des Subsahariens ne l’est pas. Ceci dit, certains incidents malheureux impactent la vision des gens à l’égard de toute la communauté », explique Michel.
Une situation qui ne laisse pas indifférents certains citoyens marocains. Compassion et sympathie se mêlent à la peur et à la crainte de voir les choses  empirer. Dans les zones où certains nationaux  s’adonnent à une activité comme les souks, les frictions se ressentent de temps à autre. Les répliques des jeunes Marocains sont claires et semblables : « A peine  pouvons-nous partager ce petit espace et la manne qui en découle, comment faire s’ils viennent nous concurrencer ?».  
Mais, comme tous les Subsahariens au Maroc, Michel et Traoré veulent un jour quitter le Maroc et rejoindre leurs amis, voisins et même des membres de la famille qui ont déjà réussi la traversée. « Ici à Fès, nous ne pourrons trouver facilement un poste d’emploi, nous essayons simplement de remplir notre tirelire et de bien préparer notre départ ». La fuite des zones de frictions est une manière de fuir d’éventuelles conséquences fâcheuses. 
Et pour éviter les malentendus entre nationalités, les « camarades » tentent, autant que faire se peut, de s’organiser.  Ils vivent ainsi un sens avancé de solidarité. Chaque communauté dispose d’un chef/interlocuteur. Et même les feux de circulation doivent faire l’objet d’accords préalables. Résultat : personne ni aucun groupe n’a le droit de monopoliser les lieux publics de collecte d’argent. « Les feux appartiennent à tous, c’est ouvert, et les assemblées générales avaient mis le point sur cette question, d’où l’existence de beaucoup de nationalités  dans un seul endroit », fait remarquer Michel. 
Regards perdus, les deux jeunes immigrés qui se retournent à chaque  coup de klaxon, comprennent bien les contraintes du Maroc, dans ses relations avec l’Europe, en matière de lutte contre l’immigration illégale, mais ne cessent de répéter que Rabat devrait ouvrir ses frontières et laisser les Européens penser à des politiques plus viables en Afrique. « Comment peuvent-ils s’engager en faveur d’un monde où règnent la paix, la prospérité et la liberté, sans affronter le véritable problème, comme celui de l’immigration clandestine entre la Libye et l’Italie ?», s’interroge-t-il. Un regard accusateur s’adressant à ceux qui ne font rien pour que cette situation change dans les pays de départ au lieu de bricoler des solutions dans leurs pays d’exclusion. 


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