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La régularisation des migrants irréguliers se ferait-elle à la tête du client ?

Une interprétation trop rigide des textes multiplie le nombre des dossiers rejetés


Hassan Bentaleb
Mardi 14 Novembre 2017

 Où en est-on avec la deuxième phase de l’opération de régularisation des migrants en situation administrative irrégulière lancée le 2 décembre 2016 ?  24.367 demandes de régularisation ont été déposées jusqu’au 5 octobre dernier dans 70 provinces et préfectures du Royaume. Ces demandes l’ont été principalement par des ressortissants du Sénégal (24%), de Côte d’Ivoire (18%), de Syrie (7%), de Guinée Conakry (6%) et du Cameroun (6%). Les demandes rejetées seront réexaminées par la Commission nationale de recours présidée par le CNDH, a révélé un document du ministère délégué chargé des MRE et des Affaires de la migration.
Pourtant, nombreux sont les acteurs associatifs qui estiment que si cette campagne avance dans certaines régions, elle piétine dans d’autres. En effet, si le nombre des avis favorables est assez important dans certaines villes comme Casablanca, Rabat ou Oujda, il demeure faible dans d’autres cités comme Nador et Laâyoune.
« A Oujda, on a recensé,  jusqu’au 2 octobre dernier, 741 dossiers dont 625 ont bénéficié d’un avis favorable contre 116 avis défavorables. Les Syriens arrivent en tête de liste de demandeurs de régularisation avec 401 dossiers suivis par les Nigériens, les Camerounais et les Sénégalais. On compte également d’autres nationalités  comme les Ivoiriens, les Maliens, les Centrafricains, les Philippins, les Guinéens, les Irakiens, les Libériens, les Burkinabés, etc.», nous a indiqué Sabiha Basraoui, présidente de l’Association El Ouafae pour le développement social en région orientale. Et de poursuivre : «  En règle générale, l’opération de régularisation se déroule dans de bonnes conditions et les rejets des demandes de régularisation concernent une minorité et   sont pris après enquête des services de police.  Les Syriens  semblent bénéficier d’une régularisation automatique à l’instar de ce qui se faisait auparavant. C’est le cas également pour les  femmes, les mineurs et les personnes atteintes de maladies graves qui ont vu leurs dossiers acceptés ».
Une situation qui a beaucoup évolué depuis février dernier où  plusieurs observateurs ont remarqué une rigidité de la part des autorités comme en atteste le fait que des Syriens  n’ont pas bénéficié du même traitement qu’auparavant. Les Subsahariens n’ont déposé que 260 dossiers. Un chiffre qui n’a pas beaucoup progressé depuis, ce qui en dit long sur le peu d’intérêt qu’ils accordent à cette opération et que leur projet migratoire se construira sûrement ailleurs.
La même situation a été constatée au niveau de la ville de Casablanca par Stéphane Gnako Yech, président de la Force africaine pour la solidarité et le développement (Fased) qui se félicite du bon déroulement de l’opération de régularisation. D’après lui, plus de 4.000 dossiers ont été déposés au niveau de la seule préfecture des arrondissements de Hay Hassani  par des migrants issus de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Niger et du Cameroun tout en précisant que la ville compte 11 bureaux d’étrangers. « Il y a eu des difficultés au début concernant certains documents et justificatifs à fournir. Mais les malentendus ont rapidement été dissipés grâce à l’encadrement et au suivi mis en place par les autorités locales. Nous avons constaté une très grande coopération et écoute de la part du personnel chargé de gérer ce dossier. Notamment à l’égard des associations de défense des droits des migrants. Nous estimons que le message du CNDH est bien passé », nous a-t-il précisé.
Pour sa part, Franck Camara, membre du syndicat ODT Immigrés, nous a indiqué que jusqu’au 3 octobre dernier,  4.380 dossiers ont été déposés au niveau de la ville de Rabat dont la moitié a reçu un avis favorable. « On y trouve plusieurs nationalités telles que la camerounaise, la nigérienne, la chilienne, la philippine  et tant d’autres  comme ce fut le cas en 2014. Les Sénégalais viennent en première position suivis par les Congolais », nous a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « Il n’y a pas de difficulté  au niveau des dépôts et des procédures mais tout dossier incomplet (manque de justificatifs ou de documents nécessaires) est rejeté », nous a-t-il précisé. Et d’indiquer: « Le seul bémol reste le fait que les femmes n’ont pas eu droit à une régularisation automatique comme lors de la première phase. Elles doivent elles aussi présenter les justificatifs et documents mentionnés par la circulaire conjointe du ministre de l'Intérieur et celui chargé des Marocains résidant à l'étranger et des Affaires de la migration en  attendant que la Commission nationale de recours puisse remettre les choses dans l’ordre ».
Cependant, notre source pense que le nombre des étrangers qui seront régularisés ne va pas atteindre le seuil de la première opération de 2014. « Aujourd’hui,  il y a moins d’engouement et les migrants semblent peu enthousiasmes alors que ce sont les mêmes critères qui ont été reconduits », nous a-t-elle expliqué.
Un état des lieux relevé par plusieurs militants associatifs au niveau de Tanger, de Nador et de Laâyoune qui vivent au rythme des rejets  de dossiers et du peu d’affluence des migrants.  Aissatou Barry, présidente de l'Association ponts solidaires, nous a précisé que sur les 2.560 dossiers déposés seuls 30% ont reçu un avis favorable et que les 2/3 des dossiers déposés par les Syriens n’ont pas été traités.  « L’opération de régularisation traîne le pied au niveau de Tanger. On fait face à plusieurs complications comme c’est le cas pour les femmes qui sont obligées de justifier leur situation pareillement aux hommes et pour les attestations de travail qui ne sont pas prises en considération. Les étrangers mariés avec des Marocaines sont obligés, eux aussi, de présenter des documents justifiant leur mariage pendant quatre ans », nous a-t-elle certifié.  Et de poursuivre : « Cette année, nous avons eu beaucoup de dépôts mais davantage  de dossiers ont été rejetés ».
Même son de cloche chez Abdeslam Amakhtari, président de l’Association Thissaghnasse pour la culture et le développement (Asticude) qui nous a affirmé que seulement deux dossiers ont reçu un avis favorable sur les 266 déposés. Une situation due,  selon lui, à la rigidité d’interprétation des critères de la circulaire conjointe ainsi qu’au contexte particulier des migrants de la ville de Nador. «  Les migrants ne sont pas libres de ciruler dans la ville et ils ne sont pas sensibilisés au déroulement de l’opération de régularisation en cours. Ceci d’autant plus que le nombre très faible des migrants régularisés n’encourage pas les autres à sauter le pas », nous a-t-il déclaré avant de poursuivre : « Les migrants ont tout simplement perdu confiance malgré les campagnes de sensibilisation et d’accompagnement qu’on a menées pour les inciter à déposer leurs dossiers. La stricte application des critères les a également  découragés.  Pour les autorités locales, il n’y a qu’une seule lecture de la circulaire et il n’y aura pas d’exception sauf s’il y a modification de celle-ci ».  
Une situation qu’Abdeslam Amakhtari a du mal à comprendre puisque dans d’autres villes, les autorités locales ont adopté les exceptions établies par la Commission nationale de recours et concernant les femmes, les migrants diplômés, les Syriens.... « A Nador, on ne fait pas d’exception, on applique à la lettre la circulaire, c’est ce que les autorités locales nous ont affirmé», nous a-t-il confié.
La situation semble identique au niveau de la ville de Laâyoune. Boubacar Nega, président de l’Association pour l’assistance aux migrants, nous a affirmé qu’il y a eu dépôt de 1.134 dossiers dont  seuls 24  ont été acceptés, tout en rappelant que la dernière opération a enregistré le dépôt de 688 dossiers dont 134 ont reçu un avis favorable (une majorité des femmes et des enfants). « Des centaines de dossiers ont été rejetés pour des motifs dits « sécuritaires ». C’est la seule justification fournie par les autorités locales qui ne disent rien de plus. Ainsi, nombreux sont les Sénégalais, les Maliens, les Ivoiriens et les Mauritaniens qui ont été exclus alors qu’une majorité d’entre eux résident au Maroc depuis plus de cinq ans, ont du travail et sont mariés à des Marocaines », nous a-t-il indiqué. Et de poursuivre : « C’est presque la même situation que la dernière fois. A vrai dire,  il n’y a pas  eu d’évolution comme c’est le cas dans d’autres villes ( Dakhla, Tarfaya, Agadir,  Tan Tan, Goulmime…) ».
Boubacar Nega va plus loin. Il est persuadé que  les personnes déboutées n’auront pas le droit d’introduire des recours puisque les décisions de rejet n’ont pas été motivées par écrit. Ceci d’autant plus que ces personnes seront obligées de débourser plus de  1.000 DH comme frais de voyage pour déposer leurs dossiers auprès de la Commission nationale de recours. « Même moi, je n’ai pas bénéficié de la précédente campagne de régularisation alors que je suis président d’une association et représentant de la communauté sénégalaise de la ville. Un statut qui me permet automatiquement d’avoir une carte de résidence. C’est une situation des plus absurdes puisque ma femme et mes enfants ont leurs cartes de séjour ».

L’opération exceptionnelle de régularisation de 2014 en chiffres

- Sur les 27.649 demandes ayant été présentées aux services compétents, 23.096 ont reçu une suite positive soit 83.53% des demandes reçues.
- La région de Rabat-Salé-Kénitra a reçu le plus grand nombre de dossiers avec 7.853 personnes régularisées (34%), suivie du Grand Casablanca avec 5.774 (25%), de l’Oriental avec 2.310 (10%) et de Fès-Meknès avec 2.310 (10%).
- 56% des personnes régularisées sont des hommes contre 44% des femmes.  
- 87% de ces hommes régularisés  ont plus de 18 ans, 8% d’entre eux moins de 18 ans, 4% plus de 50 ans et 1% de moins de 6 ans.
- 23% des personnes régularisées sont issues de la Syrie, 21% du Sénégal, 11% de la République démocratique du Congo  et 9% de la Côte d’Ivoire et du Nigeria.

Critères d'éligibilité, bénéficiaires, constitution des dossiers, traitement des demandes et procédure à suivre

L'opération de régularisation concernera différentes catégories d'étrangers, à savoir des conjoints de ressortissants marocains, des conjoints d'autres étrangers en résidence régulière au Maroc, les enfants issus de ces deux cas, des étrangers disposant de contrats de travail effectifs et ceux justifiant de 5 ans de résidence continue au Maroc, ainsi que des étrangers atteints de maladies graves.
Les dossiers des demandes de régularisation sont déposés au niveau du "bureau des étrangers" qui sera ouvert au niveau de chaque préfecture et province. Les demandes de régularisation sont examinées par une commission qui se réunit d'une façon régulière et formule, dans un délai ne dépassant pas deux mois à compter de la date du dépôt de dossier, son avis motivé quant à la suite à réserver à la demande de régularisation (avis favorable ou  défavorable).
Les demandes ayant fait l'objet d'un avis défavorable sont adressées à la Commission nationale de recours. Elles font également l'objet d'écrits adressés aux postulants concernés pour leur signifier cette position, en les informant de la possibilité de formuler, s'ils le souhaitaient, des recours auprès de la Commission nationale de recours, qui décide en dernier ressort de la suite à donner aux demandes au sujet desquelles les commissions locales ont formulé un avis défavorable et des recours qui lui sont directement adressés par les postulants.
La Direction générale de la sûreté nationale établit des cartes d'immatriculation, d'une durée de validité d'une année, au profit des bénéficiaires dont les demandes ont reçu une suite favorable de la part des commissions siégeant aux bureaux des étrangers ou de la Commission nationale de recours.
Pour le bon déroulement de cette opération de régularisation, les dossiers doivent comporter une demande dument signée par le postulant portant sa photo, une pièce justifiant l'identité et la nationalité du postulant (de préférence un document de voyage reconnu par l'Etat marocain), une pièce justifiant l'entrée ou le séjour au Maroc et une copie de la page du document de voyage comportant le cachet du poste-frontière marocain pour les postulants entrés légalement au Royaume.
Le retrait du titre de séjour doit être effectué par le postulant auprès du bureau des étrangers.


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