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La pêche en eau trouble des chasseurs de têtes

Mettre de l’ordre parmi des agences de recrutement où l’informel et l’irrespect de la loi tendent à devenir la règle


Oumaima Hajri (Stagiaire)
Mercredi 16 Août 2017

Intermédiaires entre les demandeurs d’emploi et les entreprises, les agences de recrutement ont pour objectif de mettre en relation ces deux parties tout en respectant leurs critères et leurs attentes. Sur les centaines qui ont pignon sur rue, seules 58 sont officiellement autorisées à exercer. Les autres se complaisent le plus simplement du monde à violer la loi au vu et au su de tous et de se livrer à une chasse effrénée aux victimes.
Leur stratégie : poster des annonces sur des sites Internet comme Avito et Mabrouka ou sur des sites spécialisés comme Indeed, Trovit...  Ils y affirment rechercher des téléconseillers, des télévendeurs, des assistants RH et parfois même des téléopérateurs. Ils  promettent des salaires bruts qui peuvent atteindre trois fois le SMIG, des primes non plafonnées, des avantages sociaux divers et des contrats CDI. Ils adressent à ceux qui  tombent dans les mailles de leurs filets  des convocations par SMS ou par mail pour des entretiens d’embauche qui se terminent toujours par des demandes de règlement de frais de stage ou de frais de dossier.
L’arnaque ? Elle réside dans le fait qu’elles n’ont nullement le droit de le faire. L’article  480 du Code de travail dispose en effet  qu’ » il est interdit aux agences de recrutement privées de percevoir, directement ou indirectement, des demandeurs d’emploi des émoluments ou frais, en partie ou en totalité ».
Une illustration patente d’une pareille arnaque : une agence dénommée Rahmouni Recrute, plus connue aussi sous le nom R-Recrute offre de soi-disant postes de travail  à Rabat, Fès, Marrakech, Tanger, Casablanca et prochainement Agadir. Sur la Toile, sa raison sociale et ses annonces changent au gré des vents. Sur Avito par exemple, sa dénomination est fonction de la ville ciblée ;  l’agence disposant, en effet, de bureaux à Casablanca, Rabat, Fès et Marrakech. A Fès, elle a nom de Business Word, à Rabat celui de Recrute ou Rh Hassan, à Casablanca celui de  Rahmouni Recrutement Casablanca ou RhgroupY. M et à Marrakech celui de Rahmouni Recrutement Marrakech.
Cerise sur le gâteau : il faut préalablement débourser une somme allant de 300 à 390 DH pour avoir l’heur de mettre le pied à l’étrier en espérant intégrer, un jour le monde de l’emploi. En guise de justification, on vous informe tantôt que ce montant sert à couvrir les frais de  formation, tantôt qu’il s’agit de frais de dossier (CNSS et mutuelle) et tutti quanti. Mais, l’article 480 lui interdit non seulement de percevoir des frais de stage mais tout frais  quelle qu’en soit la raison sa raison.
Bien sûr, il n’y a pas que cette agence de recrutement qui écume les maigres ressources de jeunes qui n’en peuvent plus. Elles sont foison et continuent même à pousser comme des bourgeons au printemps mais leurs victimes semblent avoir fait contre mauvaise fortune bon cœur alors que celles de Rahmouni Recrutement s’en sont plaintes au grand jour. Non seulement sur les réseaux sociaux mais aussi à travers des vidéos. Le site « Barlamane.com » a même publié un article décrivant dans le détail les procédés usités par cette agence de recrutement.
Selon des témoignages que nous avons pu recueillir, les personnes qui paient leur formation sont réparties en deux catégories. A ceux qui choisissent de travailler comme assistants des ressources humaines, on explique la manière de rédiger des annonces et de les poster sur Internet  avec de nouvelles adresses mail dans lesquelles ils pourront recevront les CV de futurs postulants éventuels. Ils ne percevront pas de salaire fixe mais 100 DH pour chaque candidat à la formation qu’ils réussiront à appâter. Certains refusent de se livrer à pareil jeu, mais d’autres acceptent malheureusement  de le faire.
Ce qui nous rappelle le tristement célèbre principe sur lequel repose la vente pyramidale qui a fait tellement de victimes à travers le monde. A savoir la création d'un réseau d'affaires qui a la particularité d'être vertical. Il s'agit pour une personne souhaitant vendre des produits ou services de trouver des acheteurs potentiels qui deviendront ses filleuls, et qui auront à leur tour la possibilité de vendre lesdits  produits ou services à leurs propres filleuls, et ainsi de suite. Pour rejoindre le réseau, chacun d'entre eux devra le plus souvent payer une somme d'argent.
Afin de faire grossir le réseau d'affaires, certaines entreprises font diffuser des annonces d'emploi faisant miroiter des rémunérations alléchantes. Bien évidemment, ces annonces se gardent bien de préciser que les chiffres qu'elles énoncent ne peuvent que faire rêver jusqu’au jour où tout s’écroule.
Tariq Tahir, une victime, nous raconte son expérience : « J’ai passé l’entretien à Fès et la formation à Rabat. Elle a été reportée à deux reprises et duré 3h sans que j’y apprenne quoi que ce soit de sérieux. Ils nous ont demandé de venir après 4 jours pour négocier notre salaire avec leur responsable et c’est ce qu’on a fait avant d’être surpris d’entendre une personne désagréable et manifestement sur les nerfs  nous parler  d’une période d’essai d’un mois au minimum avant que ceux d’entre nous qui sont à même de réaliser un objectif de 10 recrutements quotidiens et 35 annonces validées par jour soient sélectionnés. Elles devront utiliser leurs propres téléphones pour contacter des candidats potentiels aux futures formations. J’ai compris que c’était de l’arnaque … J’ai donc directement claqué la porte »
Pour le groupe qui choisit la formation afférente au poste de téléconseiller, c’est la même galère.  Abdelouahab Lammari partage avec nous son expérience : «Je me suis présenté chez eux l'année dernière, ils m'ont dit que j’avais été accepté. J'ai versé 350 DH pour une soi-disant formation, et c'est tout. Mon chemin vers l’emploi s'est arrêté là. J’ai donc dû forcer le destin. Ma première convocation, je l’ai reçue du centre d’appels  «Sales management center» et  la seconde de «South stream communication». Dans un cas comme dans l’autre, j’ai été éconduit et le feuilleton continue ... »
Anass Darkaoui, tombé dans le même piège lui aussi, raconte qu’après avoir passé la formation et reçu la convocation pour un centre d’appels  à Marrakech, il s’y est rendu comme prévu et c’est là qu’on  lui a dit la vérité sur l’agence de recrutement en question, mais il a quand même été embauché, quoiqu’il ne pût y faire carrière.
Le cabinet Rahmouni n’est pas le seul à travailler de la sorte. Dernièrement des cris d’indignation ont fusé sur les réseaux sociaux à propos de Global Success, un soi-disant centre d’appels  de Rabat qui suit la même voie.
Yousra qui a tenté cette expérience explique leur procédure : « La personne qui nous fait passer l’entretien nous dit qu’il faut débourser 380 DH pour une formation de deux  jours avant de commencer le travail. A l’issue de celle-ci, j’ai été affectée dans un centre d’appels   qui m’a fait passer une formation gratuite de 15 jours durant laquelle il me fallait réaliser un objectif fixé. Si on ne l’atteint pas, on est non seulement renvoyé mais aussi on n’est pas rémunéré.
Sur Facebook, un jeune homme a dénoncé clairement ces procédés et affirmé qu’il était en train de rassembler les témoignages de plusieurs victimes pour déposer une plainte auprès du parquet.  
Le hic, ces agences ne sont pas officiellement autorisées à exercer comme en témoigne la liste publiée sur le site du ministère du Travail et de l’Insertion professionnelles (http://www.emploi.gov.ma/index.php/fr/emploi/liste-des-agences-autorisees.html) Pour le devenir, il faudrait qu’elles remplissent les deux conditions mentionnées dans l’article 481 du Code du travail qui stipule que « l’autorisation d’exercer prévue à l’article 447 ne peut être accordée qu’aux agences de recrutement privées disposant dans tous les cas d’un capital social d’un montant au moins égal à 100.000 dirhams » ainsi que les dispositions de l’article 482 qui dispose que « les agences de recrutement privées sont tenues de déposer une caution à la Caisse de dépôt et de gestion d’un montant équivalant à 50 fois la valeur globale annuelle du salaire minimum légal ».
Il faudrait aussi que les préposés dudit ministère battent le pavé pour faire respecter la loi par tous et de la même manière.


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1.Posté par Tariq le 18/08/2017 20:19 (depuis mobile)
Bonjour
Merci oumaima pour ton article et j''espere qu''il y aura des reactions contre ces cabinets.
Bon courage.

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