La lecture des œuvres intégrales en classe de français en question


Par Yassine Baggar *
Jeudi 18 Septembre 2014

La lecture des œuvres intégrales en classe de français en question
Partant du constat des enseignants du français au sujet de la lecture des œuvres intégrales qui sont au programme, ainsi que les différentes entraves qui empêchent les élèves de lire une œuvre littéraire, le présent texte tente de répondre à certaines interrogations liées à cette problématique de la lecture, qui persiste et continue d’exister, en essayant de trouver quelques pistes pour y apporter des améliorations.  
Le Maroc est un pays connu par son plurilinguisme. En effet, sa diversité culturelle se manifeste nettement par la coexistence de plusieurs langues (arabe, amazigh, français, espagnol, anglais…).
Depuis l’époque de la colonisation jusqu’à nos jours, le statut de la langue française dans la mosaïque linguistique marocaine, a connu plusieurs changements, celui d’une langue officielle sous le protectorat, jusqu’à celui d’une langue étrangère et langue d’enseignement dans le système éducatif marocain. En outre, avec ces figures de changement, un autre aspect mérite d’être évoqué en relation avec les contenus de l’apprentissage du français comme langue étrangère, c’est son impact culturel. En effet, un texte, en plus de sa valeur linguistique, contient des éléments culturels qui se transmettent d’une manière explicite ou implicite. On peut croire que c’est ce qui a poussé les concepteurs des programmes scolaires non spécialisés en littérature (secondaire collégial et qualifiant) à concevoir le français comme langue véhiculaire de culture.
Le ministère de l’Education nationale pour la réforme de 1999 a instauré le recours à l’œuvre intégrale comme support d’enseignement/apprentissage du français au cycle secondaire qualifiant. Donc, on peut dire à partir de cette réforme que les œuvres intégrales ne figurent plus dans les programmes du français au lycée marocain. En revanche, s’y sont substituées des œuvres qui ont pour vocation la transmission d’un certain nombre de savoirs littéraires, culturels et linguistiques dans la perspective d’un enseignement centré sur l’élève, sur le développement des compétences des apprenants, dans le cadre de l’approche par compétence, une approche qui a été mise en œuvre dans les années 90. 
Alors, dans ce cadre, comment nos élèves conçoivent-ils l’œuvre intégrale comme support de l’enseignement du FLE (Français langue étrangère) au cycle secondaire qualifiant ? S’engagent-ils vraiment dans ce processus d’enseignement/apprentissage par la lecture des œuvres et des extraits qui leur sont destinés?
Il est nécessaire de signaler, de prime abord, que les activités dans le processus de l’enseignement/apprentissage de la langue française au cycle secondaire qualifiant sont décloisonnées et vont le plus souvent, de la compréhension vers la production de l’écrit (lecture-langue-production orale-production écrite). Dans cette optique, l’activité de lecture est le point de départ dans l’approche des textes littéraires, autour desquels la progression de la discipline est articulée, d’où la nécessité d’évaluer l’importance accordée par nos élèves à la lecture, et surtout à la lecture comme activité d’apprentissage.
Certes, parmi les finalités de notre système éducatif marocain, figure la mise en place des conditions d’une lecture autonome seule susceptible d’aider les élèves à apprécier les dimensions esthétiques et culturelles des œuvres littéraires et à réfléchir sur leurs valeurs symboliques et philosophiques. Or, le constat qu’on peut faire est que nos élèves n’ont pas les dispositions intellectuelles et les prérequis indispensables pour cette lecture ; aussi se désintéressent-ils de la lecture des œuvres intégrales, pire encore de la lecture d’une façon générale. Donc, d’où vient ce désintérêt pour la lecture? A-t-il une relation avec le milieu socioculturel de l’élève? Quels sont les facteurs qui contribuent à la démotivation de nos élèves envers la lecture des œuvres intégrales au cycle secondaire qualifiant? Le choix des œuvres inscrites au programme doit-il être incriminé? Et dans quelle perspective nos lycéens conçoivent-ils l’apprentissage de la langue française? Quel rôle doivent jouer les textes littéraires dans cet apprentissage? Est-ce qu’ils constituent un obstacle vu le décalage entre le registre linguistique véhiculé dans ces textes et le niveau réel en langue et en culture française de nos élèves ? La langue littéraire n’est-elle pas en elle-même un premier obstacle infranchissable?
Pour répondre à ces interrogations, nous allons passer en revue les orientations pédagogiques de 2007, ainsi que les instructions officielles, pour apprécier la place de ces œuvres dans le dispositif mis en vigueur par le MEN.
La plupart de ces œuvres intégrales recouvrent quatre siècles, allant du 17ème siècle avec Molière dans sa comédie «Le bourgeois gentilhomme», en arrivant au 20ème siècle avec «Antigone» de Jean Anouilh. Donc, cette littérature dite française est omniprésente à tous les niveaux du cycle secondaire qualifiant avec une diversité des genres littéraires (roman, poésie, théâtre, nouvelle…). Pourtant, la littérature maghrébine d’expression française est représentée seulement avec deux romans, celui d’Ahmed Sefrioui «La boîte à merveilles», qui est programmé en 1ère année baccalauréat, et le deuxième, celui  de Mohammed Khair Eddine «Il était une fois un vieux couple heureux», ce dernier est programmé dans la 2ème année bac (terminale). Bref, la littérature classique se taille la part du lion dans le programme du cycle secondaire qualifiant.
A vrai dire, ces œuvres qui sont recommandées par le MEN, véhiculent nombre de messages qu’ils soient littéraires, culturels ou interculturels, mais la question qui se pose : est-ce que ces œuvres sont accessibles aux apprenants marocains ? Autrement dit, les élèves parviendront-ils à déchiffrer le langage employé par les auteurs de ces siècles ?
Face à ces œuvres qui sont au programme, les élèves marocains trouvent une grande difficulté à comprendre le sens et parfois même au niveau de la lecture, certains apprenants arrivent à peine à prononcer quelques mots ; on peut dire que la lecture pour ces élèves constitue une pierre d’achoppement. En revanche, pour une minorité d’élèves, les œuvres intégrales sont accessibles. Il s’agit d’une minorité d’élèves issus de familles cultivées dont la langue française est pratiquée chez eux. Donc, on est devant deux réalités diamétralement opposées.
Demander à un élève de lire une œuvre littéraire, c’est comme si on lui demandait de prendre un repas copieux. Aujourd’hui, l’élève arrive en classe avec une tête pleine de choses sans rapport avec les programmes scolaires (Facebook, Twiter, Messenger ….), ce qui fait que l’élève n’a pas le temps d’apprendre et même d’avoir une tête bien faite comme disait Montaigne. 
Remédier aux problèmes de la lecture chez nos élèves s’avère une démarche complexe qui exige la participation de plusieurs acteurs : les concepteurs du programme, les politiciens qui s’occupent du fait éducatif dans notre pays et les professeurs qui doivent orienter et motiver les élèves de sorte qu’ils conçoivent la lecture comme nécessité culturelle et scolaire et moyen de plaisir.
Les familles, pour leur part, sont concernées par ce processus dans la mesure où elles doivent aider leurs enfants à s’imprégner de cette littérature, par leur apport matériel, l’achat d’ouvrages, en leur assurant l’atmosphère convenable et aussi par leur sensibilisation.
Le MEN, comme opérateur institutionnel de l’acte pédagogique et éducatif, doit faire preuve d’intelligence et de réalisme dans la mise en œuvre d’un plan qui peut toucher la formation continue des enseignants de français. Le ministère, les pédagogues et les concepteurs de programmes scolaires doivent prendre en considération le niveau réel des apprenants, s’ils veulent vraiment atteindre les profils voulus pour chaque cycle. Pourquoi ne pas accorder une grande importance à la littérature maghrébine d’expression française, une littérature qui est proche de l’élève marocain, dont les sujets et les thématiques abordés sont tirés de notre contexte et  de notre culture?
En conclusion, on peut dire que la lecture chez l’élève marocain aujourd’hui, constitue une problématique qui continue de se poser en dépit des tentatives individuelles ou collectives visant à la surmonter.
 
* Enseignant-chercheur 


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