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L’homme qui parlait à l’oreille de la citoyenneté a servi trois RoisVendredi 21 Mars 2014
«Majesté vous êtes AmiAl Mouminine, alors intercédez auprès de Lui pour qu’Il retarde mon départ ! ». Tout Mohamed Mjid est dans cette phrase prononcée en avril 2009, à Fès, alors qu’il recevait du Souverain la plus haute distinction du Royaume, après un demi-siècle à la tête de la Fédération Royale marocaine de tennis. Impertinence, humour, et cette manière tout à fait particulière, cette manière bien à lui de bousculer, secouer, dénoncer, redonner de l’énergie, de l’espoir. La mort n’est qu’une mauvaise blague. Il y a encore tant à faire. Retarder le grand départ pour continuer d’agir, courir, travailler, venir en aide. L’humour, l’ironie, cette forme polie du désespoir, est un signe distinctif chez le personnage. Si Mjid s’en est pourtant allé ce jeudi 20 mars 2014. Il est parti, en cette Journée mondiale du bonheur proclamée par les Nations unies. Il n’y a que lui, Si Mjid, à pouvoir nous faire ce mauvais coup… Il s’est battu jusqu’au bout, au fond de ce lit, au service de réanimation de l’hôpital Cheikh Zayed à Rabat. L’ultime mauvaise blague qu’il faisait à ses amis, nombreux, ceux et celles qui l’aimaient, encore plus nombreux. Le publicitaire Mohamed Laroussi a raison de rappeler que les hommes comme Mohamed Mjid ne meurent jamais. Il dit : « Mjid est mort ? Non, pas du tout ! Mjid n’est pas mort car Mjid ne peut pas mourir. Mjid est immortel parce que les grands hommes - et les grandes femmes - ne meurent jamais. Ne meurent que les pauvres mortels comme vous et moi. Mjid nous a fait mourir de rire sur le dos de tous les stupides et tous les cupides de ce pays qu’il rendait encore plus ridicules qu’ils ne l’étaient. Il avait toujours le bon mot sur les mauvais bougres ». Si Mjid n’a jamais mâché ses mots. Encore moins en présence des grands, des puissants, des forcément arrogants parce qu’au pouvoir. « Servir, c’est accepter de ne pas plaire. On ne peut pas servir et plaire », a-t-il coutume de dire. L’homme n’avait pas son pareil pour épingler les élus, les ministres, ceux sur les cimes du pouvoir. Directeur de nos consciences, et fier de l’être ! Alors que Driss Basri était au sommet de sa puissance, Mohamed Mjid avait eu cette phrase, en direct sur 2M. « Ce ministre est partout sauf à l’Intérieur », avait-il déclaré à Samira Sitaïl. Polyglotte, mais pas la langue de bois Mohamed Mjid était polyglotte mais détestait la langue de bois. Ces sorties médiatiques ont toujours fait trembler les politiques. Acide, vitriol, il promenait un regard désabusé sur le PPM, le paysage politique marocain. Le personnel politique le redoutait. Il avait déclaré la guerre à ce qu’il se plaisait à appeler « le féodalisme politique ». Et celui qui a appartenu au Rassemblement national des indépendants –c’était presque dans une autre vie- avait pourtant une profonde conviction : il ne saurait y avoir de démocratie sans partis. Ces dernières semaines, et tout juste avant son hospitalisation, il suivait de près la situation interne de l’Union socialiste des forces populaires. Mohamed Mjid faisait partie de ceux qui ont porté l’alternance : Abderrahmane Youssoufi était son compagnon de lutte. Lui qui a partagé la cellule de Mehdi Ben Barka, en ces temps où il ne faisait pas bon de lutter contre l’occupant, il avait gardé intacts ses rêves de dignité, de liberté, de démocratie. Il ne disait pas : «Je suis patriote». Il disait plutôt : «J‘aime mon pays, parce que c’est le mien et que j’ai toutes les raisons de l’aimer ». Il disait aussi et à voix très haute que les citoyens ont droit à une vie meilleure, à la dignité, au respect. Ce qui l’a toujours animé ? C’est très probablement une passion nommée “Maroc”. Ce natif de Safi a toujours cru en son pays. Il a servi trois Rois et comptait bien mourir en monarchiste! « Une vie au service des autres » Dans la plus grande des discrétions, loin des sunlights, l’immense Mjid est venu en aide -et c’est loin d’être une expression consacrée- à la veuve et à l’orphelin. Mais aussi aux plus démunis, ceux à la marge, livrés à la précarité, à tous ces oubliés des politiques de développement. Il a arpenté le quartier casablancais de Sidi Moumen et visité ses exclus bien avant les attentats de Casa. Le doyen de la société civile adorait les jeunes -ces futurs vieux, pour le citer- et ils le lui rendaient bien. Les jeunes des associations de quartier, les étudiants, les jeunes chefs d’entreprise, les journalistes débutants, ils sont nombreux à lui vouer une profonde admiration, presque un culte. Il a accompagné des premiers pas, donné leur chance à des jeunes qui en voulaient, contribué aux études de plusieurs. Très peu le savent, parce que Mjid n’en parlait jamais. «Une vie au service des autres », chuchote Pierrette, son épouse. Cela s’est fait parfois, souvent, au détriment de la vie de famille. Parce que Mohamed Mjid a appartenu aussi et surtout à tous les autres, ceux et celles qui ont toujours eu besoin de lui, de sa présence, de ses interventions, de son coup de pouce et de sa capacité magique, exceptionnelle d’ouvrir les portes cadenassées de citadelles imprenables. «Mais si c’était à refaire, je le referais », a toujours soutenu sa compagne de toujours, celle qui a été de tous ses combats. Mohamed Mjid n’a jamais réclamé sa carte de résistant. Pas le temps. « C’est à ma femme qu’il faudra un jour la donner. Me résister est un vrai exploit ». Et dans la bouche de Si Mjid, c’était une vraie déclaration d’amour… Sur tous les fronts pour que les jeunes Marocains se tiennent droit, ne courbent pas l’échine, ne tendent pas la main. Celui qui a présidé la Fondation marocaine pour la jeunesse, l’initiative et le développement –et dont l’acronyme MJID correspond exactement à son nom- s’est fait une religion, celle de rapporter tout ce qu’il entend dans ce Maroc profond qu’il n’en finissait pas de parcourir. C’est sur les dunes de Merzouga que Mohamed Mjid a accueilli, bon pied bon œil, l’année 2014… Loin des palaces climatisés et des planqués au cigare Observateur attentif des marches du 20 février, Mjid connaissait beaucoup de ces jeunes sortis manifester. « Parmi les jeunes qui ont manifesté le 20 février, j’en connais beaucoup, certains viennent de Sidi Moumen, un quartier de 400.000 habitants, un quartier qui a aussi produit les kamikazes. Qu’est-ce qu’ils demandent comme réformes ? La lutte contre la corruption, la valorisation des institutions, c’est-à-dire la monarchie, le Parlement, le gouvernement, les partis et les syndicats, une justice indépendante », soulignait-il dans un entretien accordé à « Libération ». Fettouma Benabdenbi Djerrari, l’amie de toujours, est inconsolable. Pour l’ancienne présidente d’ESPOD, Mohamed Mjid s’en est allé rejoindre ceux qui ont écrit des pages d’histoire grâce à leur humanisme. « Il est parti, il nous a quittés en silence, après avoir longtemps combattu les langues de bois. Nous ne t’oublierons jamais, car tu as incarné la solidarité, la justice, le courage, l’humanisme. Repose en paix, et va rejoindre tes amis Ghandi, l’Abbé Pierre, Mère Theresa, et tous les grands qui se sont distingués par leur humanisme », témoigne celle qui est à l’origine de la page Facebook « Les amis de Mohamed Mjid ». Mohamed Mjid donnait de grands coups de pied dans la fourmilière pour mieux déranger l’establishment. Ce qui le faisait fuir? Ce sont résolument ces nouveaux opposants de salons feutrés et climatisés, prompts à se cacher derrière des volutes de cigares. Enfin tranquilles ? « Ils vont continuer de trembler encore car même absent sur terre, Mjid sera avec nous du haut de son firmament », conclut Mohamed Laroussi. Repose en paix Si Mjid. Narjis Rerhaye
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