Jaramillo, peintre après avoir passé 31 ans en prison


Libé
Dimanche 25 Décembre 2016

Son travail lui vaut désormais une reconnaissance internationale. A 64 ans, il vend aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande et en France

Dans l'atelier du peintre mexicain Javier Tejeda Jaramillo, il y a des vestiges de son récent passé, sa tenue kaki de prisonnier qu'il utilise pour faire le ménage et des peintures de ses anciens élèves en prison, emballées dans du plastique.
Alors qu'il était policier, Jaramillo avait été condamné en 1985 à 40 ans de prison pour l'assassinat d'un membre de l'agence américaine anti-drogue (DEA), Enrique "Kiki" Camarena. Il a été libéré le 28 octobre pour bonne conduite, après 31 années derrière les barreaux.
Ce crime, en révélant au grand jour la corruption de la police mexicaine, avait déclenché une crise diplomatique entre le Mexique et les Etats-Unis. Il avait finalement permis de décapiter le premier grand cartel de drogue mexicain, celui de Guadalajara.  En prison, Jaramillo a cherché dans l'art une échappatoire à l'enfermement: "J'ai commencé à étudier la peinture, j'ai décidé de profiter du temps, de sublimer la prison, et cela a fonctionné".
Avant, il n'était "qu'un policier corrompu" vendant de la marijuana et protégeant les dealers parce qu'il avait cédé "à l'argent facile". Aujourd'hui, il s'est repenti: "Je ne refais rien de ce que j'ai fait", assure-t-il, rapporte l’AFP.
Son travail de peintre lui vaut désormais une reconnaissance internationale. A 64 ans, il vend aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande et en France notamment. Selon la maison de vente Morton, ses peintures se vendent en moyenne 1.700 dollars. Sur son site personnel, les prix grimpent jusqu'à 7.400 dollars.
"Je croyais que lorsque je sortirais de prison, je cesserais d'utiliser la couleur noire", raconte Jaramillo. Mais son premier tableau peint en liberté représente le visage et le torse d'un homme à moitié recouvert de noir et de violet, son autre couleur récurrente. "C'est ma vie amoureuse, un conflit que je porte en moi, j'ai passé 31 années en prison, j'ai quasiment perdu toute ma famille", confie-t-il, la voix cassée.
Il peint beaucoup, environ 200 toiles par an. Dans son style, on retrouve des éléments qui rappellent ses longues années derrière les barreaux et aussi ceux qui l'y ont envoyés.
Sur un autre tableau, il se représente ainsi en train de regarder à l'intérieur du chapeau de l'Oncle Sam, avec son fils en arrière-plan et au fond une lumière symbolisant "l'espoir".
"L'Oncle Sam représente le gouvernement des Etats-Unis", explique Jaramillo, qui a senti que "la DEA faisait pression" pour qu'il accomplisse jusqu'au bout sa peine de prison pour enlèvement, homicide, association de malfaiteurs et dissimulation.
Quelques mois avant sa libération, des membres de l'ambassade des Etats-Unis au Mexique sont venus l'interroger à deux reprises "pour voir à quoi il s'occupait", raconte le peintre.
Les faits l'ayant mené en prison se sont déroulés le 7 février 1985 dans une propriété de Rafael Caro Quintero, "le Narco des narcos", à Guadalajara, dans l'ouest du Mexique.
C'est là qu'avait été conduit Camarena, agent de la DEA, après son enlèvement par des hommes à la solde du puissant cartel.
Jaramillo était alors membre des services de renseignements mexicains. Il assure que l'agent de la DEA ne présentait aucune trace de violence ni de torture lorsqu'il l'a vu pour la dernière fois. "J'ai vu qu'ils l'ont emmené vivant dans la voiture. Ma participation s'arrête là", se défend-il.
On devait retrouver le cadavre de cet agent un mois plus tard, le long d'une route. L'ancien Marine avait été battu à mort et torturé, sans doute en représailles à une importante saisie de marijuana.
Selon le FBI (police fédérale américaine) citant un rapport de la DEA, la police judiciaire mexicaine a nettoyé la scène de crime et les murs de la maison ont été repeints.
Caro Quintero et les deux autres chefs du cartel de Guadalajara seront finalement capturés et emprisonnés.
En 2013, Caro Quintero a été libéré pour erreur de procédure, ce qui a mis en colère la DEA. Des mandats d'arrêt ont été émis à son encontre mais il est désormais introuvable.
"Je ne crois pas que je vais continuer à peindre l'Oncle Sam", confie Jaramillo, qui veut désormais monter un atelier avec ses anciens élèves, donc "beaucoup, comme (lui), sont libres à présent".


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