Interview exclusive avec Alem Menouar, ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne

Renforcer le champ de dialogue et de coopération pour embrasser aussi bien les questions politiques, économiques, qu’humaines et sociales


Propos recueillis par Kamal Mountassir
Samedi 21 Décembre 2013

Interview exclusive avec Alem Menouar, ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne
Le conseil d’association Maroc-UE, l’accord de pêche entre Bruxelles 
et Rabat, les réformes 
politiques entreprises 
par le Royaume, 
la sécurité  dans 
la région du Sahel 
et d’Afrique, l’accord 
bilatéral de libre-échange complet et approfondi 
et l’accord en matière de libéralisation des services et tant d’autres questions concernant les relations entre le Maroc et l’Union européenne ont été 
soulevées et examinées  dans l’entretien 
qu’a accordé à Libé, 
l’ambassadeur du Maroc auprès de l’U.E.
 
Libé : Quelles ont été les questions débattues lors de la réunion,   à Bruxelles, lors du 11ème Conseil d’association Maroc-UE ?
 
Alem Menouar : Avant de vous donner un bref aperçu des questions qui ont fait l’objet de discussions dans le cadre de cette 11ème session du Conseil d’Association Maroc-UE, je voudrais tout d’abord souligner que la dynamique très importante que connaissent les relations entre le Maroc et l’Union européenne, consacre la vision clairvoyante de Sa Majesté le Roi dont les orientations ont servi de repères pour l’arrimage et l’intégration du Maroc dans son environnement international et notamment européen. Cette vision Royale combinée aux chantiers structurants que Sa majesté le Roi a ouverts dans tous les domaines. Ces chantiers qui s’élargissent, s’approfondissent et se diversifient, ont permis de renforcer le champ de dialogue et de coopération entre les deux parties pour embrasser aussi bien les questions politiques, économiques, qu’humaines et sociales. 
Sur ce, je pourrai vous dire que cette 11ème session, présidée, côté marocain, par Salaheddine Mezouar, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, accompagné d’une importante délégation interministérielle, a abordé plusieurs questions inhérentes aux trois domaines d’activités précités.
Sur le plan politique, les deux délégations se sont entretenues sur toutes les questions d’intérêt commun. Leur échange a dégagé une convergence de vues sur les différents dossiers locaux, régionaux et internationaux. L’Union européenne s’est félicitée, à cette occasion, de l’engagement irréversible du Maroc sur la voie de la démocratie et de la modernité et a loué le modèle politique marocain qui poursuit son développement démocratique et en matière des droits de l’Homme et de bonne gouvernance, de manière sereine, dans un environnement régional frappé de fragilité, de risque et d’incertitude. 
Sur la question nationale, les discussions ont dégagé une nette convergence de vues. Les deux parties ont réitéré leur appui aux efforts  du Secrétaire général des Nations unies et de son Envoyé personnel visant à aboutir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable à la question du Sahara. L’Union européenne a salué la constitutionnalisation et le renforcement du rôle du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) en tant que mécanisme national de promotion et de protection des droits de l’Homme.
Les questions de sécurité tant dans la région du Sahel et d’Afrique subsaharienne que dans la région du Proche-Orient, ont été également abordées. Le Maroc a, comme de coutume, fait valoir ses positions conformément à ses valeurs universelles et ses engagements vis-à-vis des causes africaines et arabes.
L’Union européenne a, par ailleurs, rendu hommage à la politique africaine du Maroc menée par Sa Majesté le Roi et qui s’est traduite cette année par «l’Initiative africaine pour la migration».
Sur le plan économique et commercial, les deux parties s’étant félicitées de l’adoption du nouveau Protocole de pêche ont passé en revue l’état de la mise en œuvre de l’accord sur la libéralisation des produits agricoles et ont  examiné l’état d’avancement des négociations pour un accord de libre-échange complet et approfondi et un accord en matière de libéralisation des services. Elles ont également examiné le progrès réalisé sur le volet de la convergence normative et réglementaire avec les standards européens en matière de marchés publics, de la propriété intellectuelle, de transparence, de défense commerciale, de concurrence, de mesures sanitaires et phytosanitaires, de droits d’établissement et mouvements de capitaux. 
Sur tous ces dossiers, le Maroc a réalisé un progrès remarquable sur la voie de son intégration au marché européen unique, confirmant le Statut avancé dont il est, jusqu’à présent, l’unique pays du Sud de la Méditerranée à en jouir. Ce Statut avancé qui gagne de plus en plus en effectivité, est consolidé par l’adoption d’un Plan d’action commun 2013-2017 aux retombées prometteuses.
Sur le plan humain et social, les deux délégations ont abordé les mesures prises récemment par le Maroc, sous l’égide de Sa Majesté le Roi, en vue d’apporter une nouvelle gestion à la situation des migrants africains. De même, elles se sont penchées sur  l’état d’avancement de leurs négociations pour un Partenariat mobilité au cœur duquel est consacrée la facilitation des visas pour des franges importantes de notre population afin de renforcer les flux et les échanges humains. 
 
Six rounds de négociations et trois votes ont été nécessaires pour la finalisation et l’approbation de l’actuel accord de pêche Maroc-UE par le Parlement européen. Pourquoi cette entreprise a-t-elle été aussi laborieuse ?
 
Le Traité de Lisbonne a imposé de nouvelles procédures législatives et un nouveau mode d’emploi institutionnel qui a impacté les processus de négociations et d’adoption des accords internationaux par l’Union européenne. Le changement majeur induit par ce traité porte sur les prérogatives décisionnelles, à présent, dévolues au Parlement européen, jadis limité à l’émission de résolutions et avis à caractère purement consultatif.
En effet, en vertu du principe de la codécision stipulé par ledit traité, un accord international engageant l’UE ne peut entrer en vigueur qu’après son adoption par le Parlement européen. Sans cette adoption, il serait considéré comme «nul et non avenu» même s’il est adopté par les 28 Etats membres représentés au sein du Conseil. Cela fut le cas pour l’ancien Protocole de pêche négocié et rejeté en 2011. 
Afin d’éviter un tel scénario, les négociateurs marocains et leurs homologues de la Commission européenne,  ont mené avant les six rounds de négociations officielles, des discussions informelles pour convenir d’un document de cadrage ou, si vous voulez, une feuille de route pour  ces négociations qui tienne compte, dans la limite de l’acceptable, des recommandations des différents intervenants institutionnels, des deux côtés.
Les négociations proprement dites se sont déroulées dans un cadre de franchise, de partenariat et de compromis, ce qui a permis d’aboutir le 24 juillet 2013 à un Protocole équilibré qui répond aux désidératas des deux parties. Il a été ensuite soumis à l’examen du Conseil de l’UE et donc des représentants gouvernementaux des 28 Etats membres. Cet examen a été conclu par la signature du Protocole le 18 novembre 2013 par la présidence du Conseil et Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime.
Le processus d’adoption au sein du Parlement européen a fait l’objet de plusieurs examens au sein de la Commission développement, de la Commission des budgets et de la Commission pêche avant d’être présenté, en étape ultime, au vote du Parlement en plénière. Nos adversaires, conscients que c’est au niveau du Parlement que se joue le sort du Protocole, n’ont ménagé, avec l’appui d’eurodéputés connus par leurs positions biaisées et figées, aucun effort pour torpiller ce Protocole. La forte mobilisation de la diplomatie marocaine tout au long de ce processus, en collaboration avec la diplomatie parlementaire et le concours louable de certaines composantes de la société civile, notamment les élus locaux et les armateurs de pêche originaires de nos provinces du Sud, ont permis de déjouer ces manœuvres. Le résultat a été sans appel : le Protocole a été adopté à 310 voix pour, 204 contre et 49 abstentions.
 
La mise de cet accord dans le pipe législatif a été, entre autres, marquée par un forcing sans précédent des ennemis de notre intégrité territoriale. Quels arguments avez-vous développés  devant les parlementaires européens pour les convaincre de ne pas souscrire aux thèses séparatistes ?
 
Dès le paraphe de ce Protocole, le Maroc a élaboré plusieurs argumentaires qu’il a diffusés auprès de tous les Etats membres de l’Union européenne et l’ensemble des eurodéputés, toutes affiliations politiques confondues. Des démarches officielles et officieuses ont été également lancées tous azimuts, à Bruxelles, à Rabat (auprès des ambassades européennes) ainsi que dans toutes les capitales européennes concernées, afin de mobiliser leur soutien à ce Protocole.
L’essentiel de ces argumentaires s’est décliné comme suit :
   Le Protocole a apporté des améliorations nettes par rapport à son précédent, tant au niveau de la rentabilité (le ratio coût/bénéfice équilibré) et de la durabilité de la ressource (le Protocole ne porte que sur le surplus et tient compte des avis scientifiques pertinents) qu’au niveau de l’impact socioéconomique sur les régions concernées par l’activité de pêche (des données statistiques et aperçu des projets réalisés dans ces régions ont été présentés).
  Face aux allégations non fondées et tendancieuses de nos adversaires quant à la conformité du Protocole avec le droit international, le Maroc a fait valoir les avis juridiques des Nations unies, corroborés récemment par un avis des services juridiques du Parlement européen et qui concluent tous à la légalité de ce Protocole.
 
Parallèlement aux efforts déployés par la diplomatie officielle, la diplomatie parallèle a-t-elle eu son mot à dire dans ce processus ?
 
Effectivement, je voudrais, à cet égard, souligner l’importance de l’action concertée, réalisée avec efficacité et de manière soutenue, en collaboration entre la diplomatie gouvernementale, la diplomatie parlementaire et la diplomatie non étatique, auprès des différents organes et instances du Parlement européen. Les parlementaires marocains et notamment les membres de la Commission parlementaire mixte, instituée par les deux Parlements, ont joué un rôle important dans la promotion de ce Protocole auprès de leurs homologues européens. 
Cet exercice a permis de prendre toute la mesure de l’importance cruciale que revêt à présent la conjugaison des efforts entre les diplomaties officielles et non étatiques dans la défense de nos intérêts vitaux auprès des institutions européennes et particulièrement le Parlement européen.
A ce titre, je voudrais rendre hommage à la contribution d’associations de pêcheurs marocains des provinces du Sud dont la démarche auprès du Parlement européen et de la Commission européenne, a permis d’annihiler les allégations fallacieuses adverses.
 
Quels vous semblent être les points de différence entre ce protocole et ceux qui l’ont précédé ?
 
Tout comme les Protocoles précédents, le  nouveau Protocole a été conclu  sous le signe de la préservation des intérêts nationaux et de la promotion d’une pêche responsable et durable sans excédent. Cependant, le nouveau Protocole a apporté des améliorations indéniables par rapport à ses précédents :
- Il accorde 108 licences de pêche au lieu de 119 avant.
- Il exclut la Méditerranée et des espèces à haute valeur ajoutée commerciale telles que les céphalopodes et crevettes.
- Il est d’une durée de 4 ans, ce qui assure une certaine stabilité et une visibilité par rapport à l’effort de pêche et la contrepartie financière.
- Il responsabilise davantage les opérateurs de pêche européens en portant leur contribution à la contrepartie financière à 10 millions €.
- Il consacre la compétence de l’Institut national des ressources halieutiques à émettre des avis scientifiques concernant l’état des stocks. De même, il a jeté les bases d’une coopération renforcée dans le domaine scientifique entre l’INRH et ses homologues européens.
- Il a instauré une nouvelle gouvernance en matière d’appui au secteur national de pêche et de valorisation de son impact socioéconomique. Ainsi, les projets bénéficiant d’appui seront identifiés sur la base de critères définis conjointement et seront évalués graduellement. 
- Il préconise un échange électronique de toutes les informations et documents relatifs à l’exercice de pêche (données de captures, positions des navires, notifications d’entrée et sortie) et un pourcentage de débarquement obligatoire des captures dans les ports marocains. Ces mesures visent à lutter plus efficacement contre la pêche illicite.
- Pour la première fois, ce Protocole a exclu l’application provisoire, ce qui signifie que les navires de pêche européens ne peuvent accéder aux eaux marocaines qu’une fois le Protocole adopté et entré en vigueur.
 
Le nouvel accord semble avoir marqué une étape importante dans un long processus de partenariat entre l’UE et le Maroc. Qu’en pensez-vous?
 
Effectivement, le Protocole de pêche constitue un instrument important dans nos relations économiques et commerciales avec l’Union européenne. Son adoption aujourd’hui, deux ans après le rejet de l’ancien Protocole, permet  d’une part, de relancer notre partenariat dans ce secteur combien important et d’autre part, de concentrer nos efforts sur les chantiers vastes, nombreux et prometteurs qui jalonnent le partenariat privilégié entre le Maroc et l’Union européenne, dans les divers domaines d’intérêts.
En effet, à la faveur de ce partenariat stratégique et du Statut avancé dont jouit actuellement le Maroc auprès de l’Union européenne, les deux parties négocient actuellement plusieurs nouveaux instruments d’échange et de coopération visant à renforcer l’intégration de l’économie marocaine dans le marché unique européen. Il s’agit, notamment, des négociations pour un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) et la libéralisation des services. Dans cette perspective, une importante coopération est engagée, également, pour assurer la protection des données géographiques et l’alignement normatif et réglementaire sur les standards de qualité européens. De même, les deux parties négocient actuellement un partenariat sur la mobilité dont un accord sur la facilitation des visas, à même d’apporter un nouveau mode de gestion de la question migratoire et d’améliorer les conditions de déplacement en Europe de nos concitoyens.
Dans l’ensemble, permettez-moi de finir mon propos là où je l’ai commencé, l’Union européenne est un partenaire stratégique de premier plan pour le Maroc. Leurs relations sont particulièrement étoffées et multidimensionnelles. L’ambition stratégique de notre pays est de devenir de par sa position centrale entre l’Europe et l’Afrique avec un prolongement sur toute la région MENA, un hub et une passerelle des échanges de valeurs et de biens.


Repères
 
Alem Menouar a été nommé ambassadeur en 2004 auprès de la Commission des communautés européennes et du Conseil de l'Union européenne. Diplomate averti et enfin connaisseur des relations entre le Maroc et l’Union européenne pour avoir exercé dans plusieurs pays du Vieux Continent et surtout celles qui ont un caractère économique. Il a occupé des postes en France, au Danemark et a été directeur des Affaires européennes au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération.



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