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Errachidia et sa santé mourante


Rachida Alami
Lundi 5 Juillet 2010

Errachidia et sa santé mourante
S'il y a un sujet qui préoccupe les habitants de la région de Tafilalet, c'est bien celui de la santé. Et pour cause, les services fournis au sein des établissements hospitaliers sont en deçà du minimum requis. A lui seul, l'hôpital provincial Moulay Ali Charif souffre de beaucoup de lacunes. Faible infrastructure d'accueil, manque de coordination, népotisme, négligence, corruption, manque d'effectifs, absence de spécialités vitales et manque de respect au malade et à sa famille, sont autant de problèmes qui font que la santé dans cette province est vraiment mourante. La situation est d'autant plus grave que le centre hospitalier et universitaire le plus proche se trouve à 360 kilomètres d'Errachidia.

Etat des lieux désolant

Pour une population estimée à plus de 400 mille habitants, l'accès à l'hôpital Moulay Ali Charif reste depuis 1970 un exercice pénible et une occasion de souffrir le martyre. Dès l'accueil, l'on ressent un manque flagrant de communication. Les patients et leurs familles ne savent plus où donner de la tête. Juste après avoir franchi le grand portail, le café/restaurant  qui se transforme aussi en "hôtel" la nuit, présente une piètre image de cet hôpital. Un lieu sale et malsain qui peut même causer beaucoup de maladies. A l'intérieur du bâtiment, les insectes de tous genres infestent les lieux. En cette période d'été, les cafards sont maîtres des lieux. Les odeurs nauséabondes empestent l'atmosphère. Des réformettes ont été engagées durant les dernières années, mais elles se sont avérées catastrophiques, la preuve en est ce manque noté au niveau des sanitaires! " A Mly Ali Charif tout a un prix ", lance un syndicaliste, même l'information, ou plutôt "surtout l'information".
Pour ce qui est de l'élément humain, l'hôpital provincial régi par la loi Segma, souffre d'un manque flagrant de personnel médical et paramédical. L'effectif actuel est incapable d'assurer toutes les tâches requises en matière de soins, d'opérations chirurgicales et d'hospitalisation et de satisfaire des  besoins sans cesse croissants.
Le nombre de médecins demeure très faible par rapport à la moyenne nationale, avec  1 seul médecin pour plus de 4000 habitants, d'où le déficit déplorant en la matière. Et ce ne sont pas les nouveaux départs  pressentis qui vont être de bon augure, deux médecins spécialistes, de surcroît, seront mutés bientôt respectivement à Taza et à Khémisset. "Comment peut-on avoir un bon service alors que des médecins ne séjournent qu'une à deux années parmi nous?", s'interroge  Jamal, un membre de l'Association marocaine des droits humains (AMDH). Pour résoudre ce problème, un accord a été conclu à l'époque du ministre Biadillah avec les médecins spécialistes en vertu duquel ces derniers bénéficieront de 75 jours de congé par an!!! Avec l'ouverture d'une clinique dans la ville, certains spécialistes acceptent d'y rester, cette nouvelle structure  leur permettra d'arrondir leurs fins de mois. Mais cela se fait malheureusement aux dépens des usagers du service "public". Avec un peu plus de 100 médecins répartis dans toute la province et ses cinq centres urbains composés d'une vingtaine de spécialistes marocains et une dizaine environ appartenant à la mission chinoise, l'effectif comme la qualité des services laissent à désirer. Ce manque est le prétexte justifiant la fermeture de deux blocs opératoires au centre d'Errachidia (ancien hôpital) et à Erfoud, alors que ce dernier pourrait bien prendre en charge les habitants d'Alnif, Rissani, Merzouga, Taous et même Tinjdad. En somme, l'on est devant une gestion chaotique.

Services médicaux
payants !

Rien ou presque n'est gratuit à l'hôpital Moulay Ali Charif. Hormis les tarifs stipulés par la liste des consultations du système SEGMA, les citoyens payent des extras sous forme de bakchich, cette enceinte étant infectée de " compétences " cupides. Heureusement que cela ne s'applique pas à tout le personnel. En plus, des spécialistes des services de pédiatrie, de traumatologie et de neurologie ne prennent pas la peine ou ne veulent même pas vérifier si le médicament prescrit est disponible à l'hôpital ou non. Un autre cas attestant de cette anarchie prévalant au sein de ce secteur est celui qui a trait au centre de diagnostic relevant normalement du Service des infrastructures ambulatoires et préfectorales (SIAP), comme l'affirme Mohamed Marzouki, syndicaliste en service depuis plus de 25 ans. En effet, les responsables du secteur dans cette province avaient décidé de l'intégrer à l'hôpital "pour améliorer les recettes financières" et partant en finir avec les derniers bastions de la gratuité. "Ce n'est pas la seule tare, l'on a aussi intégré une dermatologue relevant du SEAP à l'hôpital et on prépare le départ du médecin de la bico-dentaire", assure un médecin responsable d'un service médical. Et le pire reste, bien évidemment, le fléau de la corruption. Ici notre syndicaliste atténue le ton et replace cette question dans son cadre national, en disant que " le gouvernement doit mettre en œuvre une stratégie de lutte contre ce phénomène à l'échelle nationale", explique-t-il.  Certes les raisons avancées sont budgétaires et administratives, mais cela touche avant tout au droit à la santé des citoyens dans les zones reculées.
 
Un service
traumatisant

S'il y a un service qui vit quotidiennement au rythme de quelques aberrations notoires, c'est bien celui de la traumatologie. La première constatation générale reste cette relation supposée et pas assez claire avec l'une des pharmacies de la ville. On ne pourrait opérer ni utiliser, à ce qui paraît, un matériel en provenance d'une autre pharmacie ou d'un autre local de vente de matériel paramédical. Cette situation a provoqué pour tout le monde l'indignation des autres pharmaciens, d'ailleurs une plainte a été récemment déposée auprès des services de la police pour "actes contrevenant aux règles de la profession". L'ordonnance (voir copie) comprend clairement un matériel, en l'occurrence le fil d'acier, qui existe au sein de l'hôpital et une scie giclée dont on n'a que faire. Les échos de la plainte arrivés le matin, le médecin ordonna immédiatement  à la famille du patient d'acheter un autre matériel non prescrit sur l'ordonnance. "La pharmacienne saura quoi vous donner, allez la voir …", dit le médecin à une parente du malade quadragénaire ayant des fissures au niveau du genou, selon les propos de cette dernière. Bref, tous les patients doivent se procurer leurs médicaments et matériels d'une pharmacie connue et reconnue. Résultat, des écarts en matière de prix pour les mêmes articles. Les témoignages concernant cet état de fait sont nombreux.  A titre d'exemple, une ordonnance livrée par un médecin le 21 juillet courant estimée à 1095 dh, alors que deux devis contradictoires d'autres pharmacies affichent clairement les prix de 350 et 450 dh. Les témoignages recueillis par nos soins ont fait état d'un refus catégorique au sein du service précité d'utiliser le matériel en provenance d'autres lieux que "la" pharmacie préférée. Mère d'un enfant victime d'une fracture, Noufissa pleure en racontant avec amertume son calvaire survenu en début de cette année. Le médecin ne voulait pas opérer son fils de 12 ans, car elle n'a pas acheté le matériel nécessaire  de l'officine " obligatoire ". Le père de l'enfant avait découvert, en effet, un écart de 3000 dh, entre deux pharmacies. Il aurait ainsi évacué son fils à Rabat pour l'y faire opérer. Il n'avait en réalité besoin que de deux broches de 100 dh et pas de 4200 dh, comme cela a été spécifié sur l'ordonnance. Mais c'est bien le sort de cette femme de Merzouga, condamnée à attendre pendant quatre jours l'arrivée, depuis Casablanca, du matériel requis, pour cause de coupure de route, en fin décembre dernier, qui a été le plus tragique. Le médecin n'avait pas voulu utiliser le matériel d'une autre pharmacie, et une fois opérée elle est décédée suite à un mystérieux choc. Ahmed de Bouânan, Larbi Saidi et Mohamed Msouab de Rachidia, Mohamed de Goulmima, sont d'autres témoins qui confirment la même réalité. Le dernier fait remonte à samedi dernier, lorsqu'un  médecin a prescrit à une femme de Midelt une prothèse PTH et quelque autre menu matériel d'un montant de 5200 dh, ce qui pousse à se poser des questions quant à la qualité de la marchandise, pour ainsi dire.

Négligence qui tue

Deux cas de décès à cause de la négligence, selon des communiqués de l'AMDH, sont survenus cette année. Le premier est celui d'un enseignant d'anglais à Errachidia venu à l'hôpital pour une consultation normale. Les médecins l'ayant examiné ne se sont pas décidés sur son cas et aucun ne voulait l'opérer.
Après trois jours, il est décédé dans l'un des couloirs de l'hôpital. A qui en incombe la responsabilité ? Même sort pour le jeune Hamid. Victime d'un accident et évacué en urgence, on lui a d'abord passé la radio après deux heures d'attente, il a été abandonné à son triste sort. Souffrant au niveau du ventre, il rendra l'âme après trois jours également, sans que personne ne sache vraiment ce qui s'est passé. Qui en est responsable ? Là aussi, la question reste sans réponse. Ce sont là deux cas qui reflètent la situation lamentable que vivent les gens de Tafilalet. Les témoignages foisonnent et un reportage ne peut vraiment pas rendre compte de toutes les "calamités" prévalant à Moulay Ali Charif.


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1.Posté par Mutuelle le 06/07/2010 10:55
Superbe travail, je vous remercie pour votre aide, et notez dans un 1er temps que je "plussoie" moi aussi entièrement votre positon ! J'insiste, oui votre article est vraiment bon, je reviendrai régulièrement vous lire... Je vais avoir besoin d'un peu de temps pour réfléchir à tout ça.

2.Posté par Infirmier à l'hôpital le 10/07/2010 10:33
quoique ce soit votre intention à travers ce sujet... je tiens à vous dire que je suis totalement d'accord avec vous, je travaille depuis peu au sein de cet hôpital, vraiement c'est du pêle mêle, l'anarchie totale, une administration quasi absente, ghir lprotocol lkhawi, la crasse est quasi présente même au sein des vestiaires et aux toilettes du personnel infirmier, je te jure y a quelques jours j'ai pris mon verre pour boire, vous savez ce que j'ai y trouvé? devinez ..? un charmant cafard baignant dedans ... même si je sens en vous lisant à travers quelques lignes que vous êtes entrain de régler un ancien compte avec les deux traumatologues, walakin ghir sir 3llah rah tghaaw bzzaf fhad lblad., 3tak llah ss77a..

3.Posté par Anthony Sarde le 13/04/2015 15:23
Bonjour,
je suis français et j'étais en lice pour 30e Sultan marathon des Sables. Durant la 1ere étape, j'ai eu malheureusement une tendinite et l'organisation n'a rien trouvé de mieux que de m'envoyer en hospitalisation dans cet hopital. Je suis resté 3 nuits sans nouvelle de l'assistance rapatriement qui m'avais coûté 3000 euro ! j'ai eu la chance de tomber sur la gentillesse du personnelle, mais les conditions d’accueil sont épouventable. C'est l'anarchie la plus totale ! à l'inverse des personnes décédé dans cet hôpital, j'ai eu la chance de rentrer en vie en France mais je suis actuellement entrain de réalisé des tests pour être bien sur que je n'ai pas attrapé de maladie durant ce séjour ... cauchemardesque...

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