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En hommage à Georges Lapassade, Abdélkébir Khatibi et Louis Massignon

Colloque international sur les pèlerinages circulaires à Essaouira


ABDELKADER MANA *
Mercredi 23 Septembre 2009

En hommage à Georges Lapassade, Abdélkébir Khatibi et Louis Massignon
A l’occasion du passage des pèlerins-tourneurs du printemps par Essaouira, au début du mois d’avril 2010, la ville abritera un colloque international sur les pèlerinages circulaires et/ou aux sept saints en Méditerranée et au travers le monde. En hébreu, un mot d’origine sémitique très ancienne, hag, signifie « faire un cercle, tourner, danser en rond ». Par extension,  il a désigné « la fête » en référence aux trois fêtes juives : les « Semaines », les « Azymes » et les «Tentes », célébrés à Jérusalem. Le terme hébreu hag peut être rapproché de l’arabe hadj (ou hajj), dont la racine veut également dire « faire le tour », « marcher en rond ». Il est utilisé par l’Islam pour signifier la démarche autour de la ka’âba, et s’applique par extension, au pèlerinage que font aujourd’hui les musulmans à la Mecque. Dans l’antiquité romaine, le verbe peregrinare, « voyager à l’étranger » a besoin d’être complété par l’expression ad sacra , « vers les lieux sacrés » ; pour signifier : « faire pèlerinage ». Au Moyen Âge la plupart des déplacements avaient pour but un lieu saint : peregrinus désignait le voyageur et les pèlerins, et s’appliquait dès le IXème siècle au voyageur religieux se rendant vers quelque sanctuaire. On part en pèlerinage, on effectue un trajet, on marche vers un lieu saint, on en revient ressourcé, dans la conviction que la vie entière est une marche dans un pays étranger où nous sommes entrés par la naissance et que nous quittons par la mort. Nous sommes des passagers étrangers à la terre que nous parcourons avant d’arriver au ciel, notre véritable patrie. Nous sommes pour un moment en marche vers le sanctuaire final qui nous attend après la vie. Le pèlerinage en est le ressourcement, le réconfort, le rappel,  il nous remet en route pour un temps avant la fin des temps. En français, les mots « pèlerin » et « pèlerinage », viennent du latin peregrinus qui nous revoie soit à per-ager, c’est-à-dire « à travers champs », soit à per-eger, c’est-à-dire « qui va par mont et par vaux ». Les Romains utilisaient le terme hospes, le citoyen auquel une convention garantissait les droits d’amitié et d’hospitalité. Le mot hôte qui vient de hospitem, désigne en même temps la personne qui la reçoit. Or il n’y a pas de pèlerinage sans hospitalité. Le pèlerinage est une démarche universelle, présente dans toutes les civilisations. L’étude comparative montre d’un siècle à l’autre, d’une aire culturelle à l’autre, sans oublier les cultes animistes et les religions agraires, que les analogies l’emportent sur les différences. Dans la geste pèlerine, les affinités de symboles et de démarches font irrésistiblement penser à celles que décrivent les récits épiques et les textes poétiques des diverses cultures du monde. Le pèlerinage fonctionne  comme une manifestation matérielle d’un itinéraire spirituel. Les pèlerins entament un parcours exceptionnel,  qui marque une rupture avec leur vie antérieure et l’ouverture à une nouvelle vie. Tout circuit de pèlerinage est un phénomène social total. On aimerait que les intéressés puissent avoir confirmation de leur participation ainsi que l’aspect et l’aire géographique dont traitera leur communication, pour qu’on puisse établir dès maintenant le nom des intervenants, les axes et le programme du colloque. Ce colloque  aura lieu  au début du mois d’avril 2010, au moment du passage du daour (pèlerinage circulaire) des Regraga par la ville d’Essaouira. Il sera l’occasion d’analyses comparatives entre les différents pèlerinages circulaires et/ou aux sept saints en Méditerranée et ailleurs à travers le monde. Pèlerinage aux Sept Dormants d’Ephèse, aux Sept Evêques de Bretagne, aux Sept Saints Regraga,  aux Sabaâtou Rijal de Marrakech, circuit de la kula Trobriandaise étudié par Bronislaw Malinowski dans son célèbre ouvrage sur « les Argonautes du Pacifique occidental ».  La légende des sept saints s’inscrit dans une vieille tradition méditerranéenne dont la source serait celle des Sept Dormants d’Ephèse en Turquie comme le soulignait en 1957 Louis Massignon :
« En Islam, il s’agit avant tout de « vivre » la sourate XVIII du Qora’n, qui lie les VII dormants à Elie (khadir), maître de la direction spirituelle - et la résurrection des corps dont ils sont les hérauts, avant- coureurs du Mehdi, au seuil du jugement, avec la transfiguration des âmes, dont les règles de vie érémitiques issues d’Elie sont la clé. Ce culte a donc persisté en Islam, à la fois chez les Chiites et les Sunnites mystiques. ». Dans son « Mounqîd min adhalâl » Al Ghazâlî déclarait à ce propos: « En tout temps il existe des hommes qui tendent à Dieu, et que Dieu n’en sèvrera pas le monde, car ils sont les piquets de la tente terrestre ; car c’est leur bénédiction qui attire la miséricorde divine sur les peuples de la terre. Et le Prophète l’a dit : c’est grâce à eux qu’il pleut, grâce à eux que l’on récolte, eux, les saints, dont ont été les Sept Dormants ».               
En Bretagne, par où les sept saints Regraga, auraient passé à leur retour de La Mecque avant d’accoster par leur nef au port d’Agoz à l’embouchure de l’oued Tensift, Massignon notait : « En Bretagne spécialement, le nombre des Sept Dormants raviva une très ancienne dévotion celtique au septénaire, seul nombre virginal dans la décade (Pythagore), chiffre archétypique du serment. On est tenté de penser que c’est une dévotion locale aux sept d’Ephèse, qui a précédé et provoqué les cultes locaux aux VII saints en Bretagne. »  A propos de ces prosélytes Regraga, hommes de Dieu, faiseurs de pluie, Jacques Berque note que dans le Sud marocain, ”les Regraga font « la soudure », si j’ose dire, entre deux cycles prophétiques : celui de Jésus et celui de Mahomet. Disciples du premier, Hawâriyyûn, ils sont comme les baptistes du second, qu’ils annoncent, et qu’ils vont trouver dès le début de sa mission. Leur personnalité oscille entre une qualification confrérique et une qualification ethnique. ». On appelle daour le pèlerinage circulaire des Regraga. Le terme « Daour » est ambivalent et à double sens: Tantôt on l’utilise pour désigner l’ensemble du pèlerinage circulaire : ça a la même connotation que l’expression française : « Faire un tour », tantôt on l’utilise pour désigner chacune des étapes à « tour de rôle ». Le Daour, rite agraire accompli en vue d’obtenir une grande abondance de produits, est aussi accompagné de vastes échanges intertribaux. La Kula qui se déroule dans le pacifique occidental est également une forme d’échange intertribal de grande envergure. Malinowski l’a étudié en particulier chez les Trobriandais. Les Regraga comme les Trobriands organisent un vaste circuit qui n’est au fond qu’un « potlatch intertribal », mi-cérémonial, mi-commercial. Ces deux institutions – le Daour et la Kula – se développent sur un fond de mythes et de rites magiques et unifient symboliquement une vaste étendue géographique. C’est le rituel magique qui rend possible la synchronisation spatio-temporelle de ces vastes échanges intertribaux, comme le note Malinowski : « La magie procure une sorte de guide tutélaire naturel en introduisant ordre et méthode dans les diverses activités. Elle contribue avec le cérémonial qui en est inséparable, à assurer le concours de tous les membres de la communauté et régler le travail d’équipe ».Le retour magique contraint l’irréversibilité du temps qui conduit à la vieillesse et à la mort. Le printemps n’est pas une saison qui va de soi, il faut le faire revenir par un rituel, si on ne veut pas que la sécheresse et la saison morte se perpétuent. Car « si les hommes meurent c’est parce qu’ils ne sont pas capables de joindre le commencement à la fin » nous dit le mythe orphique. Le temps n’est pas quelconque, il est agraire. Ce n’est pas le temps industriel quantifié par des « horloges » mais celui d’un calendrier solaire pour les Regraga, lunaire pour les Trobriandais. L’auteur qui a participé au Daour, en 1984, compare ici cette institution à la Kula étudiée par Malinowski au début du XXe siècle. Le pèlerinage circulaire ne traduit pas seulement, par sa réversibilité, une conscience collective figée mais aussi l’idée de renaissance avec l’errance printanière des âmes qui vise à hâter la croissance des plantes.
Ce colloque international se tiendra donc à Essaouira au passage des pèlerins-tourneurs du printemps par la ville au début du mois d’avril 2010. Il s’agira, selon notre ami Jean François Clément, d’en comprendre la signification et la dimension humaine universelles, en répondant à des interrogations  comme celles-ci : Pour quelles raisons a-t-on imaginé de créer de tels pèlerinages plutôt que des pèlerinages à centres uniques imposant seulement un aller et un retour, le plus souvent par le même chemin ou un chemin parallèle comme c’est le cas pour le pèlerinage de Saint-Jacques ? Un pèlerinage “circulaire” est, à l’inverse, celui qui cherche à relier un grand nombre de points composant le “cercle”.  S’agit-il, pour ce qui est du pèlerin, de se sacraliser le plus possible (ou de sacraliser chacun de ces points) ? S’agit-il seulement de créer un espace social, un territoire ? De quelle nature est ce territoire par rapport à un terrain seulement profane ?  S’agit-il d’intégrer des espaces sauvages ou isolés, que fréquentent préférentiellement les anachorètes,  à des espaces civilisés, voire urbanisés afin de dépasser l’opposition ‘umran badawî et ‘umran hadarî ? Quelle est la relation de ces cercles constitutifs d’organisations humaines avec les pouvoirs politiques ?  Est-ce que tous les points du “cercle” de déplacement sont identiques entre eux ? Pourquoi certains points portent-ils le nom de ribât’-s (Kûz, déjà célèbre à l’époque romaine jusqu’en Égypte) et pas les autres ? Certains points reçoivent-ils plutôt des pèlerins femmes, des soufis, etc. ? Se rend-on à ces points en silence alors qu’on va à d’autres en chantant ?  En quels points des miracles, et de quelle nature, se produisent-ils ? Le but n’est-il pas d’intégrer des saints récents (par exemple musulmans) à des lieux où la sacralité remonte à l’Antiquité (comme ribât’ Sidi Châkir) et sont donc bien antérieurs à l’islam. L’unification est-elle dans ce cas unification de l’espace (face aux çanhaja-s ou aux Dukkala-s pour ce qui est des Ragraga) ou unification de temps hétérogènes comme ce que font les Regraga qui ne se déplacent pas dans l’espace comme on pourrait le croire naïvement, mais dans des temps divers de l’histoire marocaine ? Comment meurent de tels pèlerinages ?  Donnent-ils seulement naissance, en disparaissant, à des zawiyya-s ? Qui se rend au moussem ? Et avec quelle motivation ?  Au Maroc, pèlerinages et  moussem s’inscrivent soit dans un temps saisonnier pour les fêtes agraires,  soit dans le calendrier lunaire pour les fêtes religieuses. Il  y a aussi les multiples “Hiloula” des juifs du Maroc : à Rabi Haïm Pinto, à Aït Bayoud, à Moulay Ighi chez les Glaoua, à Tifnout au Toubkal, à Sefrou, à Sidi Yahya aux environs d’Oujda, etc. Le pèlerinage est le rite de passage par excellence où les pèlerins entament un parcours exceptionnel, marquant une rupture avec leur vie antérieure et l’ouverture à une nouvelle vie. Ce colloque rendra hommage à Georges Lapassade, auteur “D’un marabout, l’autre”, à Abdélkébir Khatibi  auteur de “Pèlerinage d’un artiste amoureux” et à Louis Massignon, auteur du pèlerinage islamo-chrétien.

* Anthropologue


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