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En Turquie, un an après le séisme, des survivants réclament justice


Libé
Lundi 29 Janvier 2024

Zahide Seker a souvent songé au suicide après avoir perdu presque toute sa famille dans le séisme du 6 février 2023 qui a dévasté le sud-est de la Turquie.


Mais la quadragénaire a vaincu ses démons et veut désormais que ceux qu'elle tient pour responsables de l'effondrement de son immeuble à Kahramanmaras, grande ville proche de l'épicentre, soient traduits en justice.


"Je ne me tairai pas tant que justice ne sera pas faite", affirme-t-elle à l'AFP dans le conteneur où elle vit désormais, comme plusieurs centaines d'autres milliers de rescapés du tremblement de terre de magnitude 7,8.

Zahide Seker habitait la cité Ebrar, où près d'une vingtaine d'immeubles de huit étages se sont effondrés en pleine nuit tuant 1.400 personnes.


Les autorités estiment que 7.500 immeubles de la ville n'ont pas résisté aux secousses, submergeant les secours déjà ralentis par la tempête de neige qui s'abattait sur la région.

Zahide Seker n'a pu extraire les corps de ses deux enfants des décombres qu'au sixième jour, à mains nues.
"On m'a pris ma joie de vivre. Ca fait un an et je n'arrive toujours pas à dépasser ce traumatisme. J'ai voulu mourir plusieurs fois", lâche-t-elle en sanglots. "Seule la justice pourra me consoler."


Le président turc Recep Tayyip Erdogan a imputé le lourd bilan -- plus de 50.000 morts -- aux entrepreneurs et promoteurs, les accusant d'avoir utilisé des matériaux de mauvaise qualité et d'avoir violé les normes de construction.

Plus de 260 d'entre eux ont été arrêtés dans les semaines suivant le séisme, certains alors qu'ils tentaient de fuir la Turquie.


Mais les avocats des familles des victimes craignent que beaucoup échappent à la justice, une partie des preuves à charge ayant disparu sous les chenilles des bulldozers.

Les enquêtes contre les fonctionnaires ayant accordé les permis de construire et validé les inspections de sécurité nécessitant une autorisation du ministère de l'Intérieur: aucune n'a pour l'heure été ouverte.


Nebahat Pacala, qui a perdu son mari, sa fille et sa petite-fille, assure avoir répété aux entrepreneurs qu'ils construisaient sur un sol instable et violaient les normes de construction. "Ils ont construit une salle de prière en sous-sol et ont coupé des colonnes" porteuses, assure la sexagénaire.


Les murs de son appartement gonflaient également à cause d'infiltrations d'eau, "mais les entrepreneurs ont menacé mon fils lorsque nous les avons alertés", affirme-t-elle.

Devant le tribunal, Tevfik Tepebasi, l'un des principaux entrepreneurs de la cité Ebrar, s'est dit innocent, affirmant même pour sa défense ne "rien connaître" aux règles de construction, afin de rejeter la faute sur ses équipes. Argument qui a suscité un tollé.


L'homme, poursuivi dans plusieurs enquêtes liées au séisme, encourt jusqu'à 22 ans et demi de prison s'il est reconnu coupable d'avoir causé la mort ou des blessures par négligence.


Gamze Bilginer Dogan, 29 ans, qui a perdu ses parents et sa fille dans la cité Ebrar, s'est constituée partie civile "pour que Tepebasi ne ressorte pas libre", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Un rapport d'expertise consulté par l'AFP a conclu au sujet d'un des immeubles effondrés que les normes n'avaient pas été "suffisamment respectées".


Ses auteurs accusent les fonctionnaires chargés de la supervision du projet d'être responsables de la "principale négligence".
Ömer Gödeoglu, l'avocat des familles, redoute toutefois que le manque de preuves atténue la sanction: "pendant que tout le monde était concentré sur ses proches décédés, les preuves ont été retirées et les décombres dégagés", explique-t-il.


Lors d'un meeting à Kahramanmaras en 2019, le président Erdogan s'était félicité d'une loi d'amnistie controversée adoptée l'année précédente, qui a régularisé près de six millions de logements construits illégalement à travers le pays.

Cette loi a offert un toit à 145.000 personnes à Kahramanmaras. Mais au lendemain du séisme, ses détracteurs l'ont accusée d'être l'une des raisons du lourd tribut payé par la population.


Sur les ruines d'un ancien immeuble de cinq étages, Tuba Erdemoglu, 35 ans, montre des morceaux d'une mousse d'ordinaire utilisée comme isolant.

Selon elle, c'est cette mousse -- et non du béton -- qui avait été utilisée dans les colonnes du bâtiment, qui en s'écroulant a tué quarante-quatre personnes, dont sa soeur et ses parents.

"Le bâtiment s'est effondré en quelques secondes. La mousse a volé comme de la neige", affirme-t-elle.


"Je veux que les fonctionnaires municipaux soient poursuivis", ajoute-t-elle. "Je ne pardonnerai jamais à ceux qui ont assassiné ma famille."


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