De l’Etat unique et dual à l’Etat pluriel


Par Abdellah Saaf Texte de la communication présentée lors du colloque sur le dualisme du système politique marocain organisé à la Faculté de droit de Rabat le 28 juillet 2016
Samedi 6 Août 2016

L’examen de la structure étatique appelle deux remarques préliminaires :
-La première part du fait que les travaux de la science politique ayant pour objet le Maroc, aborde généralement la politique marocaine en termes de style de gouvernement, de manière de faire,  ou de régime, ou de système, ou tout cela à la fois, comme la somme de l’ensemble de ces composantes.
-La seconde entend rappeler que le champ politique était au départ peu peuplé (un acteur principal, des acteurs plus ou moins importants et relativement peu d’institutions). La vie politique marocaine au cours de plusieurs décennies d’indépendance s’est caractérisée par un lent processus d’institutionnalisation, et puis dans une étape ultérieure et selon les variations de chaque contexte une structuration et une densification institutionnelle plus profonde avec une multiplication des instances.
Trois grandes représentations ont dominé l’approche de l’Etat marocain:
1. On parlait volontiers et on parle toujours d’un Etat marocain, de l’Etat marocain. Des auteurs de la période coloniale ont souvent nié qu’un Etat marocain ait pu exister, ce que la vision nationaliste a constamment réfuté. Les Marocains, dont je suis, se disent souvent fiers d’être nés et de vivre au sein d’un Etat multiséculaire. Dans la littérature politique marocaine et celle de science politique ayant pour objet le Maroc, les références mères ont établi avec une grande rigueur l’existence d’un Etat national et sur le rôle de son environnement tout de menaces dans sa continuité et son renforcement depuis les profondeurs de l’histoire.
Le rapport de notre génération à l’Etat marocain est à la base le rapport avec un Etat marocain unique, avec un pouvoir central, avec  sa logique de gouvernement, sa base sociale, ses institutions : l’existence , l’ancienneté, l’unicité sont des données rendues familières par la littérature qui nous a abreuvés depuis des décennies. Cette structure unique est située par rapport aux variations politique : regain ou baisse d’autoritarisme, années de plomb, libéralisation, démocratisation.. 
2. Les politiques dans leurs rhétoriques actuelles, à l’approche des élections, ont parlé ces temps-ci des deux pouvoirs. En fait, les écrits des sciences politiques ont longtemps insisté sur une autre dualité : l’articulation lyautienne entre le nouveau et l’ancien, avec ses aspects positifs et ses aspects négatifs, l’Etat moderne dont parlait le grand sociologue Max Weber distingué par lui- même du vieil Etat sultanien. Bien des dualismes ont été mis à jour.
Ce dualisme prenait souvent l’allure d’une structure basée sur une logique traditionnelle (le mode de légitimation  traditionnel, fonctionnement aux rapports personnels, à la loyauté, à la fidélité..) et une autre basée le mode de légitimation  moderne (la loi, la raison, la bureaucratie..)
On a aussi opposé un Etat profond à un Etat variable, un Etat historique (fruit de l’accumulation des apports de l’histoire) à un Etat variable (qui gère coup par coup la conjoncture).
Le rapport entre les deux dimensions (modernité/tradition) étant perçu soit sous le mode de la juxtaposition, ou d’une articulation plus forte, voire sur l’idée de « l’hybridité » (voir la vision de Freedom House par exemple), ou du « caractère composite » (selon l’expression de P.Pascon) ou encore du concept classique de « régime mixte » (selon la terminologie de A.Laroui).
Il est vrai que dans l’esprit des « subaltern studies » ce n’est plus tout à fait l’assemblage d’éléments hétérogènes, l’addition de plusieurs composantes, le moderne plus le traditionnel, la fusion des deux faisant naître quelque chose d’autre, de nouveau qui ne se réduit pas à une simple combinaison moderne/traditionnel.
3. Depuis l’indépendance, le paysage institutionnel est devenu bien plus complexe, tant au niveau infra-étatique, qu’au centre et au milieu des structures de l’Etat : les institutions centrales (le gouvernement, le Parlement, le pouvoir judiciaire, les diverses instances centrales, celles dites indépendantes, celles dites de régulation, les agences..), les administrations, les collectivités territoriales..Il s’est effectué le passage d’une institution politique institutionnelle légère à une structuration plus complexe.
L’Etat d’aujourd’hui du fait des nouvelles exigences de gouvernance, de régulation, de régie est autre, d’où la nécessité pour les nouvelles sciences politiques loin des clichés de certains acteurs politiques de la redécouverte de l’Etat. L’Etat marocain, comme de nombreux Etats dans le monde d’aujourd’hui, se définit mieux par ses actes, ses structures et ses fonctions.
Loin des déclarations politiques d’acteurs imprégnés par les luttes politiques en cours et les enjeux immédiats, relevons que l’analyste scientifique de la politique d’aujourd’hui ne saurait identifier pouvoir politique et Etat, que l’idée d’un pilotage dûment centralisé est aujourd’hui largement dépassé. Aujourd’hui prévaut l’idée que l’Etat est un ensemble d’organisations très différenciées, un réseau institutionnel plus ou moins hiérarchisé composé d’éléments souvent autonomes, d’une pluralisation de la décision, d’un processus de décision polycentrique.



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