«Dans l’intimité du Maroc», du 16 au 31 mai au musée de la fondation Abderrahman Slaoui : Gabriel Veyre ensemence notre mémoire


Par Habib Mazini
Mardi 15 Mai 2012

«Dans l’intimité du Maroc», du 16 au 31 mai au musée de la fondation Abderrahman Slaoui : Gabriel Veyre ensemence notre mémoire
Gabriel Veyre était photographe et cinéaste du sultan Moulay Abdelaziz. Il était aussi un génial entrepreneur, pionnier dans le Casablanca du début du siècle. L’homme a laissé un précieux témoignage, photo et films, sur une période allant de 1900 à 1936.      
Il y a des basculements qui transforment une vie en destin. G. Veyre en a connu trois. Sa rencontre avec les frères Lumières en 1896, alors qu’il vient tout juste d’avoir son diplôme de pharmacien, en est le premier. Aux senteurs aseptisantes des médicaments, il préfère celles naturelles et enivrantes des grands espaces. En effet, il assiste ébloui à la naissance du cinéma, un art qui va bouleverser le monde. Auréolés de leur découverte d’un nouveau procédé de reproduction  des couleurs : la trichromie au charbon, les frères Lumière le chargent d’en faire la promotion. C’est le début d’un grand voyage qui va mener G .Veyre au Mexique, en Colombie, Panama, Venezuela, Cuba (1896-97), Canada, Japon, Chine (1998-99) et Indochine (1899). Il y réalise plusieurs films et reportages photo qu’il projette aux populations locales,  autant dire qu’il a été  pionnier en matière de vulgarisation du cinéma. Sa moisson de photos et d’images, il la présente à l’Exposition Universelle de Paris de 1900.
Pour son second rendez-vous, le destin prend la forme d’une annonce de journal. « Je me reposais aux bords du Rhône lorsque j’appris qu’on cherchait, un ingénieur à même d’enseigner au sultan du Maroc tout d’abord la photographie, dont il s’était épris, puis de l‘initier, au besoin, aux plus récentes découvertes moderne… L’occasion était excellente de voir un pays nouveau, plus mystérieux et plus fermé encore que ceux que j’avais parcourus… ». Et C’est ainsi que G.Veyre débarque en 1901 auprès de Moulay Abdelaziz. Promu photographe et cinéaste, il va sept ans durant immortaliser la vie du sultan et de sa cour, jusqu’aux personnes les plus intimes. Photographie, cinéma, bicyclette, électricité, autant d’appareils magiques, révolutionnaires pour l’époque, qui font jaser. On raconte même que le sifflement d’une petite locomotive sur les pelouses du palais coïncide avec l’appel du Mouezzen et scandalise les bonnes âmes... Cette passion du monarque pour les nouvelles inventions, d’aucuns vont l’instrumentaliser pour le discréditer. Elle le détourne des affaires du royaume, dit-on, l’envoûte… Une piètre occupation qui fait les affaires du vil et redoutable Bahmad. Quand Moulay Abdelaziz  quitte le pouvoir, il n’hésite pas en compagnie de ses frères Moulay Mhamed, Moulay Zine et Moulay Youssef à rendre visite à G.Veyre à Casablanca. Celui-ci va même s’attirer les foudres du Général d’Amade pour avoir aidé Moulay Mhamed à gagner les Zaërs qui lui sont favorables… De sa vie auprès de Moulay Abdelaziz et de cette époque, G.Veyre nous livre une belle moisson : dans l’intimité du Sultan, un livre publié en 1905, et une série de documents sur la vie à la cour et dans les ruelles de Fès et de Marrakech.  
Son employeur étant destitué, plus rien ne le retient au Maroc. Il pense retourner en France, mais le décès tragique de sa femme lors l’accouchement de leur fille l’en dissuade. Ultime coup du destin qui va par la même occasion sceller sa vie à Casablanca, alors une bourgade en pleine construction. S’ouvre alors pour lui une période féconde en projets. Comme libérée, son énergie déculpe et le voilà pionnier dans différents domaines. L’artiste se mue en entrepreneur, un génial touche-à-tout qui va multiplier les activités. Il est à l’origine de la première unité industrielle à Casablanca. Une minoterie qu’il inaugure en 1906 en présence du général d’Amade et de nombreux consuls. « Vous êtes fou vous n’écoulerez jamais votre farine. Vous avez construit là une usine qui dépasse  toutes les possibilités », lui aurait dit le consul de France, visiblement étonné par la dimension de l’unité mais aussi par les appareils de mouture, de fabrication de glace et d’électricité. Son génie créateur compte à son actif des entreprises de scierie, de mécanique, de briqueterie, des fermes pilotes d’élevage d’autruches  (avec des études sur l’incubation des œufs  dans des couveuses artificielles)  et de moutons Astrakan. Il crée une station TSF et est l’importateur des premières Ford au Maroc dont il obtient, en1913, la représentation avec la condition suspensive de vendre  au minimum dix voitures  par an. Excusez du peu…
Cette formidable vitalité entrepreneuriale s’étale jusqu’en 1934, date à laquelle l’artiste tapi en lui reprend le dessus pour sillonner le pays. Il photographie « les entrées des villes  comme Bab Boujloud, Bab chorfa de Fès, des places comme Bab mansour à Meknès, le site archéologique de Volubilis, les remparts de Sefrou, des paysages  comme le lac de Sidi Ali près de Azrou à 2000 mètre d’altitude, les chaînes de l’Atlas enneigé, des marchés, des gens  qu’il rencontre, des groupes d’enfants » Des scènes de fantasia et de danse sont filmées à Dar Bouazza ou le long des remparts. Il est le premier à réaliser un documentaire 16mm rendant hommage aux lumières éclatantes du Maroc, ces mêmes lumières qui éblouissent d’illustres artistes  tels Delacroix, Matisse, David Lean ou Scorsese. Le travail de G.Veyre exhale une passion certaine, du reste contagieuse, en témoigne la complicité des visages saisis. Les lieux comme les êtres débordent de poésie et de sincérité. C’est un Maroc serein que s’offre G.Veyre, celui des remparts centenaires, des neiges de l’Atlas, des villages paisibles et d’un quotidien exhalant joie et insouciance. Il y exauce son insatiable curiosité, comme pressé d’en faire le plus possible. « Pressentiment, hommage à son pays d’adoption, testament  photographique ? G.Veyre achève ce reportage en 1935 et  meurt l’année suivante à Casablanca. »  

Bibliographie
Dans l’intimité du sultan 
G.Veyre 1905
G. Veyre
Le Maroc de Gabriel Veyre
F. Abdelouahab
Opérateur lumière
P. Jacquier et M.Pranal
Actes –sud
Site :
www.gabrielveyre-collection.org



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1.Posté par Simon le 15/05/2012 16:37
Profitez-en également pour découvrir cette superbe vidéo sur le Maroc :)

http://www.meteocity.com/article/273/

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