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Constat de décès, toute une galère Casablanca lève le voile sur le manque de médecins légistes et sur le vide juridique


T. Mourad
Samedi 23 Juillet 2016

Des médecins légistes, des juristes, des fonctionnaires des bureaux communaux d’hygiène de plusieurs arrondissements de Casablanca (Sidi Othmane, Anfa, Sidi Belyout…) se sont réunis jeudi dernier à l’arrondissement de Sidi Belyout pour aborder le sujet du constat de décès et de la délivrance des certificats médicaux y afférents qui hante les esprits des Casablancais.
C’est le bureau communal d’hygiène de chaque commune ou arrondissement qui se charge, entre autres, des activités médico-légales. C’est-à-dire que le médecin du bureau d’hygiène est tenu en cas de décès de s’assurer que la mort a bien eu lieu et de sa nature. S’il s’agit d’une mort naturelle, il est tenu dans ce cas de délivrer aux proches du défunt le certificat de décès et le permis de l’inhumer. Si en revanche il s’agit d’une mort anormale, il doit prévenir la police qui avise pour sa part le procureur du Roi. Ce dernier demande une autopsie du cadavre pour déterminer la cause du décès.
D’emblée, Jamal El Abbassi, docteur spécialisé en médecine légale, a déploré le manque des ressources humaines (médecins légistes) au niveau de Casablanca pour mener à bien cette mission, à savoir le constat de décès. Comment faire face à cette situation ? Selon Jamal El Abbassi, il y a plusieurs scénarios pour débloquer cette situation dont la formation des techniciens des bureaux d’hygiène. « Sans cette formation, je peux dire que Casablanca connaîtra une véritable crise », a tenu à souligner Jamal El Abbassi. 
Il a affirmé que 2300 cas d’autopsie sont enregistrés annuellement au niveau de Casablanca, alors que sur tout le territoire français on n’enregistre que 6000 cas. « Il y a quelque chose d’anormal», a-t-il martelé, avant de préciser que souvent on procède à des autopsies abusives. « Quand un agent est appelé à faire un constat pour s’assurer de la mort d’une personne et qu’il a un soupçon de seulement 1%, dans ce cas, il doit en aviser le médecin légiste, mais quand celui-ci est introuvable, il ne sait quoi faire et demeure perplexe. Il prévient  donc la police qui, pour sa part, avise le parquet. Celui-ci ordonne alors une autopsie». Plusieurs cas d’autopsie peuvent être évités, selon El Abbassi, s’il y a une coordination entre les services d’hygiène au moins de chaque préfecture ou une coopération entre les arrondissements. L’intervenant a avancé également plusieurs propositions allant dans le sens d’humaniser ce service vital pour la population casablancaise comme la création d’un guichet unique ou un numéro vert comme à Salé pour faciliter les formalités administratives  pour les familles endeuillées, l’établissement d’une liste des médecins qu’on peut consulter à tout moment et en cas d’urgence (El Abbassi a cité le cas de 4 personnes mortes à Mohammadia  dans un accident précisant qu’il a fallu attendre toute la nuit pour qu’un médecin vienne constater le décès), l’ouverture de la morgue de Benslimane pour éviter le déplacement des habitants de Mohammedia et de Benslimane à la morgue de Rahma à Casablanca.
Jamal El Abbassi a souligné qu’en cas de décès, il faut attendre au moins deux heures pour que «les signes de mort s’installent». Cela est d’autant plus important pour éviter des erreurs. C’était le cas d’une femme à Berrechid, qui est entrée dans un coma suite à un malaise, alors que l’infirmière avait déclaré qu’elle était décédée. Et quand on  a voulu l’inhumer, On a constaté qu’elle était encore en vie et qu’elle respirait.
Certains intervenants, comme le docteur Alaoui, ont mis en doute l’efficacité de cette solution en se demandant si les agents des services d’hygiène des communes ont les compétences et la formation adéquates pour constater le décès. Pour le docteur Hicham Kousaibi, quand le constat est fait par un agent et que ce dernier commet une erreur, on poursuit le médecin pour  négligence et l’agent pour usurpation de fonction. Il a cité à titre d’exemple le cas d’une personne de 73 ans habitant à l’ancienne Médina qui souffrait de plusieurs maladies (diabète, hypertension…). Vu que des signes apparents (âge et maladie) attestaient qu’il s’agissait d’une mort naturelle, l’agent a donc délivré un certificat de décès et le médecin l’a signé. Par la suite, il s’est avéré que le décès était le résultat d’un homicide commis par le fils de la défunte. 
Par ailleurs, certains agents travaillant dans les bureaux d’hygiène contestent la pression de certains élus qui ne se soucient que de leur réélection. Par exemple, un agent travaillant à l’arrondissement de Hay Mohammadi a affirmé lors de cette rencontre qu’il a été invité par un élu pour constater la mort d’une personne. Quand il a examiné le cadavre, il s’est rendu compte que le décès remontait à au moins trois jours. Suite à cela, il a refusé de délivrer le certificat de décès en dépit de la pression exercée par l’élu. « Je préfère démissionner de mon poste plutôt que de céder », a-t-il martelé.
Pour sa part, le docteur Redouane Cherhabile impute cette situation à l’absence d’une loi régissant  le travail de cette catégorie d’agents. « Depuis des années, nous luttons pour résoudre ce problème, car le nombre de médecins au sein des bureaux d’hygiène est insuffisant pour mener à bien cette mission», a-t-il souligné. Et d’ajouter que l’arrondissement de Sidi Belyout dispose d’un seul medecin et de 8 agents. 
Au cours de cette conférence, Redouane Cherhabile a rappelé une question orale posée il y a des années déjà par la parlementaire Zoubida Bouayad au gouvernement concernant ce vide juridique. Depuis, la réalité n’a pas changé. Selon Cherhabile, plusieurs pays, même les plus développés, connaissent cette situation, mais ils cherchent les moyens pour y faire face. Au Québec, l’Ordre des infirmières et infirmiers et le Collège des médecins ont pris une décision permettant à une infirmière de contribuer au constat du décès d’une personne, notamment lorsque le décès survient dans un milieu de soins de longue durée ou à domicile. Cette mesure n’est que transitoire en attendant que le législateur adopte une autre habilitant  une infirmière ou un infirmier à dresser le constat de décès et à remplir le bulletin de décès.



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