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​La nouvelle politique migratoire du Maroc, un pas en avant, deux pas en arrière

Les récits de migrants victimes de violences continuent d’affluer de plus belle


Hassan Bentaleb
Mercredi 29 Avril 2015

​La nouvelle politique migratoire du  Maroc, un pas en  avant, deux pas en arrière
Alors que le Maroc vante les avancées de sa nouvelle politique de migration lancée depuis une année, un rapport du Comité anti-torture du Conseil de l’Europe vient de remettre les compteurs à zéro. Il révèle que les migrants irréguliers continuent d’être victimes de violations des droits de l’Homme de la part des forces de l’ordre marocaines notamment les membres des Forces auxiliaires accusés par certains migrants de mauvais traitements physiques subis après leur arrestation ou lorsqu’ils sont  renvoyés au Maroc par des agents de la Guardia civil. 
L’Espagne n’a pas été épargnée non plus. Le rapport a dénoncé le recours excessif à la force de la part d’agents de la Guardia civil contre ces migrants tentant d’accéder à Sebta et à Mellilia. 

Du déjà-vu… 
Pourtant, le rapport en question ne révèle rien de nouveau.  Les récits de migrants victimes de violences continuent d’affluer de plus belle. Ces exactions ont même fait l’objet d’un autre rapport plus détaillé et qui est passé inaperçu, notamment celui de l’Association marocaine des droits humains. 
Intitulé « Quand le Maroc et l’Espagne s’allient dans la répression des migrants subsahariens » et basé principalement sur le travail de terrain mené par la Commission Migration et asile au sein de la section locale de l’AMDH-Nador, le document a révélé que les violences à l’égard des migrants subsahariens sont monnaie courante malgré les efforts récents déployés par le Maroc pour instaurer un système d’asile reconnaissant les réfugiés pour la première fois, ainsi que le lancement de l’opération exceptionnelle visant la régularisation d’un certain nombre de migrants sans papiers et l’arrêt des expulsions sommaires vers l’Algérie. Le rapport cite plusieurs cas de refoulement à chaud dans des conditions inhumaines,  de blessés et de décès. 

Des refoulements dits à chaud opérés en toute illégalité
Pour les rédacteurs de ce document, l’année 2014 constitue l’année des refoulements dits à chaud opérés en toute illégalité par les autorités espagnoles à l’égard des migrants irréguliers subsahariens.  Elle a répertorié 324 cas. Le mois d’août a enregistré un maximum de 56 refoulements. Ces migrants sont souvent livrés ligotés et clandestinement aux autorités marocaines qui procèdent elles aussi à leur refoulement sans leur consentement vers certaines villes comme Rabat,  Fès ou Meknès. Une pratique qualifiée par le rapport de courante et longtemps niée par les deux pays qui semblent avoir signé une entente concernant ce sujet.

743 blessés et des dizaines de décès en une seule année…
L’année 2014 a été aussi exceptionnelle par le nombre de blessés reçus à l’hôpital Hassani à Nador.  On compte 743 cas dont 157 enregistrés au seul mois de juin. Le deuxième semestre de cette année a été particulièrement violent avec un pic de 564 blessés,  soit 76% du total. Une situation due à la multiplication des tentatives de franchissement des barrières séparant le Maroc de ses présides occupés et la brutalité excessive aussi bien des autorités marocaines qu’espagnoles. 
Les blessures constatées sont des fractures au niveau des vertèbres et des épaules, des traumatismes crâniens, des coupures de tendons, des blessures aux mains et aux yeux et des ecchymoses qui ont nécessité des interventions chirurgicales. 
Les tentatives menées les 24 et 25 juillet ont été caractérisées par l’utilisation de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et à poudre par les autorités espagnoles. Le médecin soignant à l’hôpital Hassani a détecté sur le dos d’un blessé 150 traces poudre et sur un autre 70 lésions.
Concernant les décès, le rapport énumère quatre cas enregistrés à l’hôpital Hassani aux mois de mars, juillet et  novembre parmi les migrants installés dans les campements de Nador. À ces décès, il faut ajouter les cadavres reçus à la morgue suite à des tentatives de migration au moyen de barques de fortune très utilisées  après le renforcement du contrôle au niveau des frontières terrestres avec Mellilia. Le début de 2015 a été particulièrement meurtrier avec le recensement jusqu’au 19 courant de 16 cadavres.

Rafles et ratissages en masse 
Les migrants subsahariens font également l’objet de rafles et d’opérations de ratissage. Il s’agit, selon le rapport, des manœuvres qui consistent à mobiliser un effectif important des forces publiques (Forces auxiliaires, FAR et  forces d’intervention de la police sous le suivi étroit du gouverneur de la province)  pour ratisser une zone ou attaquer les campements de ces migrants avant de les refouler loin de Nador. Plusieurs témoignages, rapportés par le document de l’AMDH, font état de plusieurs exactions commises au cours de ces opérations telles  que les violences physiques, l’incendie des abris en plastique, la non-assistance aux malades,  la dépossession des migrants de leurs affaires personnelles, l’arrestation de femmes enceintes et d’enfants ainsi que la séparation des  mères de leurs enfants. 
En détail,  le rapport a indiqué que le 11 mars 2014 et suite à une rafle, cinq migrants ont été blessés. Parmi eux, le Camerounais « Clément » décédé le 16 mars. Le 7 juillet, et au cours d’une opération de ratissage, les forces publiques ont incendié des abris de migrants y compris celui de la Guinéenne «Aichatou», mère de quatre enfants abandonnés sans assistance. 
Concernant les ratissages des 27, 28 et 29 juillet, quatre enfants ont été trouvés seuls séparés de leurs mères refoulées à Berkane. Le 25 novembre et lors du ratissage opéré à Afrah, des Subsahariens  malades allongés à même le sol ont été abandonnés par les forces de l’ordre sans assistance. Les rafles effectuées les 17 et 22 décembre sur la ligne du bus n° 7 liant Nador à Taouima ontconduit à l’arrestation et au refoulement de 6 migrants dont des personnes qui ont déposé leur demande de régularisation et qui étaient en route vers le bureau concerné pour se renseigner sur le sort de leurs demandes.
Cette politique des rafles a connu au début de 2015, précise le rapport,  une tournure grave avec le lancement par les autorités marocaines depuis le 10 février de vastes opérations de ratissage au niveau de tous les campements où résident des centaines de migrants. Une campagne qui n’a épargné ni femmes ni enfants.  Les personnes arrêtées ont été regroupées près du centre d’estivage d’Aremane avant d’être  transférées sans leur consentement vers des centres de détention  tenus secrets et qui ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire. 
Le rapport note qu’aucune décision écrite et motivée n’a été notifiée aux intéressés, conformément aux dispositions de la loi n°02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc et à l’émigration et l’immigration clandestine. Pis, ces arrestations n’ont pas épargné non plus les blessés extirpés de l’hôpital Hassani et des migrants ayant déposé leurs demandes de régularisation.
Concernant les arrestations aux frontières, le document a révélé que sur les 17.618 migrants subsahariens  ayant tenté de pénétrer à Mellilia en 2014, 4.182 ont été arrêtés par les autorités marocaines y compris ceux refoulés par les autorités espagnoles à la frontière, soit près de 24% du total. 
Le reste se répartit entre ceux qui ont pu accéder à Mellilia et ceux qui sont retournés à leur campement à Gourougou ou encore ceux blessés et transportés à l’hôpital. 
Les statistiques de la gendarmerie Royale  font état de 3.210 migrants « interceptés » en 2014. Le pic des arrestations a été atteint le mois de mai avec 1.419 migrants arrêtés au cours de 2750 tentatives enregistrées pendant ce mois. 
Le rapport a observé que l’arrestation des Subsahariens  s’opère parfois par des gens en civil (guetteurs) après leur entassement dans des tranchées aux frontières comme c’était le cas lors de la tentative du 17 mai 2014 ou par les jets de pierre par les Forces auxiliaires pour faire descendre les migrants du haut des grillages secoués avec force  comme lors des  tentatives du 24 février et du 1er mai 2014. A noter que toutes ces personnes arrêtées ont été refoulées loin de Nador.
Malgré tout, la détermination des migrants est loin d’être entamée
Malgré ces opérations de ratissage presque quotidiennes et les violences subies ainsi que la présence permanente et renforcée des forces marocaines et espagnoles, près de  2.249 personnes ont pu franchir tous les obstacles et regagner le Centre d’accueil des émigrés (CETI) à Mellilia (y compris ceux qui ont pu pénétrer à Mellilia par les postes frontaliers de Farkhana et Beni Ensar cachés dans des véhicules). 
Le premier semestre a enregistré des vagues importantes d’entrées passant de 60 en janvier à 550 en mai et 430 en juin. Seul le mois d’avril a dérogé à cette règle puisque le mois de mars a connu la prise par les autorités marocaines de mesures importantes telles que des ratissages suivis de violences pour éloigner les migrants des frontières.
Si ce chiffre important montre d’une part la détermination des Subsahrariens à regagner Mellilia, il met en évidence surtout l’échec des mesures prises par les autorités marocaines et espagnoles malgré leur étroite coordination, précise le rapport, avant d’indiquer que l’on constate une importante régression des entrées à partir du deuxième semestre 2014 due essentiellement au resserrement de l’étau le long des frontières, à la construction de barrières barbelées, aux ratissages presque quotidiens; aux violences et aux refoulements à chaud qui sont devenus une pratique courante des autorités espagnoles. Aujourd’hui, on a presque les chiffres mensuels enregistrés au cours des années précédentes, a conclu le rapport.  


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