Une superbe compilation rock pour lutter contre le sida


D’après le Monde.fr
Lundi 16 Février 2009


Une basse qui se répète naïvement comme si elle frappait à l'entrée d'une cabane, des accords de guitares égrenés avec une rectitude de pluie. Justin Vernon, alias Bon Iver, n'a plus qu'à poser sa voix de givre, écho lointain du falsetto de Neil Young, pour parfaire la mélancolie hivernale de Brackett, WI, morceau enregistré dans "une petite maison" à Eau Claire, Wisconsin, pour les besoins de la compilation Dark Was the Night. Cette beauté d'aube est l'un des multiples frémissements de ce double album, nouveau chapitre de la série des disques de la Red Hot Organization (RHO), conçus afin de récolter des fonds pour la lutte contre le sida.
En 1993, Red Hot avait déjà publié une compilation rock, No Alternative, instantané d'une époque crachant les saturations du grunge (Smashing Pumpkins, Soundgarden...).
Impressionnant florilège de la scène du rock indépendant, Dark Was the Night, saisit cette fois une génération dont les guitares assagies et les chansons intenses signent les années 2000.
Fondée en 1989 par John Carlin, la RHO a prouvé en vingt ans et autant de compilations que les bonnes causes ne faisaient pas forcément de mauvais disques. "J'ai toujours pensé que le message passerait mieux si nos albums avaient une vraie crédibilité artistique", estime aujourd'hui John Carlin.
En 1990, Red Hot + Blue, recueil de chansons de Cole Porter, repris par U2, Tom Waits, Salif Keita, Sinead O'Connor et autres David Byrne, imposait une exigence esthétique et se vendait à plus d'un million d'exemplaires. Si le succès public n'a pas toujours suivi, l'ambition artistique a perduré au gré des thématiques : africaine (Red Hot + Riot : The Music and Spirit of Fela Kuti), latine (Red Hot + Latin : Silencio = Muerte), hip- hop (America Is Dying Slowly), etc.
Carlin a confié aux jumeaux Aaron et Bryce Dessner la direction artistique de Dark Was the Night. Bassiste et guitariste du groupe new-yorkais The National, ils ont élaboré un casting très nord-américain, conviant quelques anciens - David Byrne, Yo La Tengo, etc. -, mais surtout des jeunes talents. Ils ont commandé des compositions originales, tout en dressant une liste de vieilles chansons américaines susceptibles d'être arrangées pour le disque. Un choix adapté à ces auteurs-compositeurs conscients de décennies d'héritage. La façon dont Grizzly Bear s'approprie une ballade ancestrale comme Deep Blue Sea, l'intensité avec laquelle Antony reprend un titre peu connu de Dylan, I Was Young When I Left Home, ou l'originalité électroacoustique du Cello Song, de Nick Drake, par The Books et Jose Gonzalez, prouvent que la génération Internet surfe sur le patrimoine.
Ces nouveaux "songwriters" se sont épanouis au moment où l'industrie du disque s'enfonçait dans la crise. Souvent ignorés par des multinationales en panique, ils ont façonné leur univers loin des enjeux commerciaux. Presque tous autoproduits ou hébergés par des labels indépendants, ils ont repris à leur compte le "do it yourself" punk, comptant plus sur les réseaux sociaux d'Internet que sur les diffuseurs traditionnels pour promouvoir leur musique.
 Sur fond  d’engagement
La limite de leurs moyens de production, un goût pour les émotions à vif et un rejet du clinquant de la pop dominante les ont souvent conduits au dépouillement folk. Sans pour autant renoncer à l'innovation ni à l'excentricité. En témoignent les entrelacs vocaux de Yeasayer, les saillies anguleuses des Dirty Projectors, l'exaltation multi-instrumentale d'Arcade Fire ou le mélange raffiné de musique classique et d'armature électronique du merveilleux Sufjan Stevens dans You Are the Blood.
A l'instar du titre crépusculaire de l'album (un vieux blues de Blind Willie Johnson, adapté ici en instrumental décharné par le Kronos Quartet), la gravité plane sur ce disque, comme dans le répertoire de beaucoup de ces chanteurs. Le thème du sida n'est pas seul en cause. "La plupart d'entre nous avons fait carrière pendant les années Bush, analyse Bryce Dessner. C'était dur de grandir après le 11-Septembre, avec ce gouvernement. Ce contexte apparaît en filigrane dans beaucoup de nos chansons."


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