Tarik Haddi, président de l’AMIC

L’épargne nationale n ’irrigue pas suffisamment l’économie productive


​Le président de l’Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC), Tarik Haddi, livre, dans un entretien à la MAP, son analyse sur le rôle que pourrait jouer l’épargne privée dans la relance économique, ainsi que sur la relation “épargne-investissement” au Maroc.

Libé
Dimanche 28 Février 2021

Tarik Haddi, président de l’AMIC
Comment évaluez-vous l’évolution de l’épargne privée au Maroc, particulièrement, après l’année 2020 marquée par la crise de la Covid-19 ?
Comme vous le savez, le capital investissement au Maroc mobilise l’épargne privée à travers les institutionnels (organismes de prévoyance, assurances, banques…). L’AMIC ne dispose pas encore des données fines lui permettant d’analyser l’évolution de l’épargne privée au Maroc en 2020, mais nous constatons que cette épargne n’irrigue pas suffisamment l’économie productive à travers le capital-investissement, surtout suite à la crise engendrée par la pandémie de la Covid-19 qui a provoqué des décalages dans les levées de fonds.

Comment cette épargne privée pourrait-elle contribuer à la relance économique ?
La contribution de l’épargne privée à la relance économique nécessite une orientation vers le capital-investissement, comme cela se fait dans toutes les économies dynamiques. En France, par exemple, le plan de relance prévoit une enveloppe de plus de 30 milliards de dirhams pour le renforcement des fonds propres des entreprises ainsi qu’une garantie publique qui sera accordée aux placements dans les fonds de capital-investissement labellisés “France Relance”. Bpifrance a même lancé un fonds accessible aux particuliers pour orienter l’épargne des Français vers le capital-investissement dans une forme de patriotisme économique. En effet, pour remettre les entreprises sur les chemins de la compétitivité, de la croissance et de la rentabilité, des financements en fonds propres, combinés à une vision stratégique pertinente, une gouvernance améliorée et un monitoring par des professionnels aguerris sont incontournables.

Et cela, c’est la fonction même du capital-investissement, puisque pour chaque investissement, les objectifs en termes de création de valeur (export, gain en productivité, chiffre d’affaires sur les nouvelles filières, etc), d’emplois directs et indirects et d’impacts socioéconomiques et d’environnement, de réduction des disparités territoriales … sont suivis par les équipes de gestion (milestones, reporting, contrôles des décisions importantes, déblocages au fur et à mesure des réalisations, etc). Le Fonds Mohammed VI pour l’investissement jouera sans nul doute un rôle déterminant dans cette stratégie de renforcement de notre industrie du capital-investissement national. L’objectif est de créer un continuum du financement en fonds propres de l’entreprise marocaine pour l’accompagner durant toute son évolution, du stade de la start-up, à la petite et moyenne entreprise (PME), à l’ETI jusqu’à la grande entreprise, à travers des fonds d’amorçage-risque, de développement et de transmission/ restructuration/ consolidation, notamment pour favoriser l’émergence d’une nouvelle génération d’industriels.

Au T4-2020, 17,1% contre 82,9% des ménages s’attendent à épargner au cours des 12 prochains mois, d’après le HCP. Quelle lecture faites-vous de ce chiffre ?
Il est normal, après une crise comme celle que nous avons traversée, que l’épargne des ménages se rétracte, surtout dans les intentions des ménages. En effet, compte tenu de l’effet anxiogène de la crise, les ménages s’attendent à des pertes de revenus, notamment suite à des défaillances d’entreprises ou à des opérations de restructurations massives. Les revenus locatifs aussi sont devenus incertains en raison de la situation économique des locataires, etc. Je pense toutefois que la situation réelle est bien moins grave que la situation ressentie.

Quelle analyse faites-vous de la relation épargne-investissement au Maroc ?
Comme dans tous les pays, elle est déterminante. Le défi consiste à mettre l’épargne des nationaux au service du financement des PME marocaines. Il faut également attirer l’épargne internationale pour l’investissement productif au Maroc. Pour mémoire, la part des crédits bénéficiant aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) représente 37% dans le total des crédits alloués aux entreprises, contre 13% dans la région Moyen-Orient & Afrique du Nord (MENA). La dette commerciale représente en moyenne 17,5% des ressources des entreprises; plus la taille des entreprises est importante, plus ce niveau est élevé, reflétant des délais de paiement fournisseurs longs. Concernant le financement des PME par les marchés des capitaux, seules 7 PME sont inscrites à la cote et la dette obligataire constitue à peine 3% de la dette financière des entreprises (UK 21%, France 15%, Norvège 13%, Portugal 12%). L’émission de cette dette est concentrée au niveau de la grande entreprise.

Pour améliorer la relation épargne-investissement au Maroc, il convient donc notamment de: - Multiplier les fonds d’investissement pour un plus grand impact, notamment au plan régional ;

- Encourager fiscalement les entreprises à procéder à des placements privés, notamment dans les OPCC;
- Structurer le pooling des titres émis par des PME dans des véhicules (titrisation des cash flows futurs, fonds dédiés, etc…) ;
- Mettre en place un dispositif de garantie spécifique en couverture de la dette privée ;
- Centraliser les informations sur la dette obligataire au niveau du Crédit Bureau ;
- Et développer la notation des PME.


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