Samal Esljamova, la surprise venue du Kazakhstan


Libé
Lundi 21 Mai 2018

Inconnue du grand public, voire du monde du cinéma, Samal Esljamova s’est définitivement fait un nom samedi au Festival de Cannes en décrochant le prix d’interprétation féminine pour sa performance choc dans “Ayka” de Sergueï Dvortsevoï. Pendant tout le film, la caméra du réalisateur installé en Russie ne quitte jamais ou presque Ayka, 25 ans, poussée aux dernières extrémités pour survivre, dans un Moscou noyé sous la neige, dans un portrait aux confins du sordide. Violée, elle abandonne son enfant dès les premières images du film, à l’hôpital. Et nous ne la quittons plus pendant 1h40, jusqu’à la scène finale et ses larmes de soulagement, quand elle décide de ne pas obéir et de rompre le destin qui lui semble promis.
Née en Asie centrale, au Kazakhstan, il y a 33 ans, alors que le pays était encore une République soviétique, elle a étudié au GITIS, la fameuse école d’art dramatique de Moscou, de 2007 à 2011. Alors qu’elle est encore étudiante, à 19 ans, elle tourne dans la première fiction de Sergueï Dvortsevoï, “Tulpan”, récompensé par le prix Un Certain regard à Cannes en 2008. Mais avec “Ayka” elle franchit une étape: “Samal Esljamova fait quelque chose d’inouï, a salué le site russe Meduza.
Il n’y a jamais eu un tel degré d’authenticité, de douleur contenue et d’énergie dans le cinéma russe depuis longtemps, peut-être jamais”. Via de longs plans séquences, la caméra de Dvortsevoï ne quitte jamais Ayka, dans ce squat où elle est hébergée par un marchand de sommeil, dans ce hangar où elle file aussitôt pour aller plumer et vider des poulets, dans une banlieue sombre de Moscou, ou quand elle soulage ses seins douloureux en les vidant de leur lait.
Chaînon invisible d’un sous-prolétariat réduit à un état de quasi-esclavage, la jeune femme, menacée par les prêteurs qui lui ont avancé de quoi acheter une machine à coudre, quand elle rêvait encore d’avoir son propre atelier, enchaîne les petits boulots mal payés. Quand elle est payée. “En fait, avec le réalisateur, nous avions un but et nous voulions l’atteindre, même si cela devait prendre plusieurs années”, a plaidé l’actrice en conférence de presse, après avoir reçu son prix: “Nous avions un but pour chaque scène, et c’est ça qui était important pour nous. J’en oubliais même que la caméra était là”. “Le but n’était pas de gagner un prix, mais de faire tout pour que le film soit un succès, et que le film soit ce que nous voulions en faire. C’est pour cela qu’il nous a fallu plusieurs années”. “Je voulais raconter l’histoire d’une femme et de son enfant”, avait expliqué le réalisateur pendant la conférence de presse officielle du film: “Et elle l’a portée de façon incroyable. 80% du scénario s’est en fait écrit au jour le jour, avec Samal. 
En fait, après les 20 premières minutes du tournage, le personnage, Ayka, a commencé à vivre sa vie. Elle était vivante, et ni moi ni le chef opérateur ne pouvions plus la contrôler”. “Ce qui était très important c’était de savoir si son organisme allait survivre, si elle allait survivre à cet accouchement”, a poursuivi le réalisateur, qui a eu l’idée de ce film en lisant une statistique de 2010, et ces 248 bébés abandonnés par des mères venues du Kirghizstan.




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