Parole aux sociologues : Ahmed Cherrak 'La modernité est indispensable pour le bonheur et le progrès !' 2/2


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Lundi 18 Juin 2018

Accorder la parole aux chercheurs en sociologie, c’est permettre aux observateurs avertis de se prononcer publiquement sur des faits de société. Une nécessité pour établir une relation plutôt équilibrée entre médias et sociologues. 
Ahmed Cherrak est un sociologue qui suit attentivement les problèmes de la société. Il ne se laisse pas guider par ses émotions, mais doute  de tout et remet en question les rumeurs populaires. De par son approche spécifique, il semble suivre toutefois cette école initiée par Mohamed Guessous, pour qui la seule vérité est celle soumise à l’examen sociologique ! 

 Etes-vous d’accord que l’on évoque constitutionnellement la démocratie participative, sans avoir bien assimilé pratiquement la démocratie représentative? 
Tout à fait. Le discours sur la démocratie participative est prématuré puisque nous n’avons pas assimilé vraiment la démocratie représentative. Nous sommes pratiquement dans une période de transition vers la démocratie. Malgré cela, il y a certains aspects de la participation dans quelques domaines,  dans une marge limitée. Il y a toujours une différence entre le discours, les textes, et la réalité, et surtout chez nous, où il y a une démocratie au compte-gouttes, comme disait Feu Hassan II. Mais le peuple marocain d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. C’est un peuple très sensible, protestataire, patriotique, il a pu chasser la peur dans toutes les villes et les  régions comme Outat Haj, Tendrara et Zagora...
L’on reproche au champ médiatique d’être trop « contrôlé », que ce soit au niveau des médias publics et privés. Quelle est votre appréciation? 
Je pense que le champ médiatique est vraiment contrôlé. Mais je ne sais pas s’il est trop ou très contrôlé… Il y a contrôle de l’Etat, à ne pas dépasser les limites tracées, c'est-à-dire qu’il y a une liberté conditionnée, ou une marge de liberté. Ce contrôle n’est pas toujours étatique, il est aussi subjectif,  inconscient,  à vrai dire par les intervenants au pluriel ou ce qu’on appelle « l’autocensure »… On est dans l’Etat de la peur de la liberté dans tous les sens : libertés d’expression, des cultes,  individuelle, d’être différent, il y a toujours des lignes rouges à ne pas dépasser !
La fragilité du champ médiatique est due à quoi, selon vous ? 
Je pense que cette question est prépondérante, en relation avec la précédente, car la fragilité de ce champ est due à la liberté conditionnée, c'est-à-dire au manque d’une vraie démocratie, où le contrôle est omniprésent et où il y a absence de l’indépendance de la justice et un droit équitable... Le journaliste en général souffre de l’absence ou du moins d’un manque de liberté, il sent qu’il est en liberté provisoire… La fragilité est due aussi à l’absence d’institutions de presse solides. Sans oublier les inquiétudes quant à l’avenir, un avenir non assuré, aussi bien pour la presse indépendante, privée ou publique. On peut soutenir le propos de Stéphane Hessel : « Une véritable démocratie a besoin d’une presse indépendante », au sens vrai du terme, et non une indépendance masquée.
Le sociologue analyse et diagnostique, mais il peut éventuellement proposer des suggestions dans ce sens. 
Pour moi, le sociologue c’est quelqu’un qui questionne la société, analyse la réalité, et peut même proposer des suggestions. Mais le comble est que personne ne l’écoute, et avant tout, personne ne le sollicite pour recueillir ses propositions, son avis. Il est marginalisé malgré sa présence sur l’échiquier scientifique. La recherche scientifique en matière de sociologie n’est pas demandée comme un besoin national dans lequel fait défaut une politique de recherche. 
On n’a pas confiance en la science et en les sciences humaines et sociales, dans une société traditionnelle. Malgré ce tableau noir, il y a des indicateurs positifs au niveau des sollicitations de la sociologie par quelques institutions, et la société civile. Ainsi les cours de sociologie sont présents dans toutes les universités du pays. Enfin, la présence des sociologues dans la presse et les médias en général est un bon signe en faveur de la sociologie marocaine qui est restée marginalisée des décennies durant. 
Etes-vous d’accord que les sociologues marocains ne contribuent pas à la construction d’un espace public selon une conception habermasienne ? 
C’est une très bonne question. J’ai un livre (qui sera bientôt publié) intitulé «La presse et la sociologie ». Cet ouvrage essaye de répondre à la question suivante : est-ce que la sociologie se confine dans son domaine ? Dans sa discipline ? Loin d’intervenir dans l’espace public? Sans critique ou métacritique comme je propose… Au nom de la spécialité et du scientisme ! Déjà Pierre Bourdieu a posé cette question sur la télévision en France. Au Maroc, nous avons besoin de la sociologie dans la presse écrite, à la radio et la télévision et dans toutes les composantes de l’espace public. N’oublions pas que le sociologue est un intellectuel aussi qui doit avoir des positions dans la société: il critique ce qui se passe sur la scène politique et sociale de manière quotidienne. D’autre part, je pense que la scène médiatique fait appel au sociologue et où l’on constate sa présence remarquable surtout au niveau des programmes de dialogue présentés par les médias, toutes tendances confondues  
 

Repères

 

Ahmed Cherrak, membre du Laboratoire d’études psychologiques et sociologiques (L.A.R.E.P.S) est également membre des comités de lecture de plusieurs revues marocaines dont Revue d’économie et société, Revue de Philosophie, Approches (Revue des sciences humaines), Cahiers du Creps Revue interstice, Université Picardie Jules Vernes d’Amiens, (France). 
Il a publié « Discours féminin au Maroc », « Sociologie marocaine », avec Abdelfettah Ezzine, « Culture et Politique », « Parcours de lecture », « Sociologie du cumul culturel », « Espaces de l’intellectuel », « Culture et son voisinage », « Graffiti scolaire : introductions à la sociologie de la jeunesse.. de la marge.. de l’écriture »… 


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