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Maintenir ou non le carnaval en Haïti


Mercredi 26 Février 2020

Maintenir ou non le carnaval en Haïti
Sur la place du Champ de Mars de Port-au-Prince, entre les restes calcinés des stands incendiés en début de semaine, beaucoup jugent indécent, face à la grave crise sécuritaire que connaît actuellement Haïti, de maintenir l'organisation du carnaval, manne économique importante dans un pays à la pauvreté endémique.
"Comment penser aller au carnaval, danser, sans pouvoir ensuite rentrer chez vous car on va vous tuer, vous kidnapper ou vous tirer dessus?", interroge un fonctionnaire sous couvert d'anonymat, par peur de perdre son emploi, sur le lieu traditionnel du défilé dans la capitale haïtienne.
Le pays enregistre depuis le début de l'année une recrudescence des enlèvements contre rançon, qui s'ajoutent à la violence habituelle des bandes armées dans les quartiers pauvres.
Directement confrontés à cette grande criminalité, les policiers ont manifesté lundi à Port-au-Prince pour exiger de meilleures conditions de travail et le droit de former un syndicat. C'est à l'issue de leur marche que les stands du carnaval ont été volontairement réduits en cendres.
"Un agent en début de carrière gagne 19.000 gourdes (180 euros par mois): ça ne peut servir à rien, absolument rien", dénonce un policier dans les rangs d'une nouvelle manifestation mercredi.
Habillé en civil, tout en portant de façon visible son arme de service, il confie, le visage masqué, n'avoir pas payé depuis cinq mois les frais de scolarité de sa fille.
Malgré la destruction des stands et de plusieurs véhicules, et les appels à l'annulation, le Premier ministre haïtien Jean-Michel Lapin a assuré que les festivités se tiendraient aux dates prévues, et sur le parcours traditionnel.
Dans une rue adjacente à la place du Champ de Mars, les chorégraphes surveillent les jeunes filles répétant les enchaînements qu'elles vont réaliser lors du défilé.
Comme tous les habitants de Port-au-Prince, Pierre Kerense subit le stress engendré par le climat d'insécurité actuel, mais le chorégraphe de 45 ans rappelle que les trois "jours gras" ne sont pas qu'une fête.
"C'est aussi un business, beaucoup de gens dépendent du carnaval pour, chaque année, payer leur loyer ou l'école de leurs enfants", explique-t-il.
Dans un pays gangréné par une pauvreté extrême, le carnaval constitue ainsi la période la plus intense de l'année pour les couturiers.
Pans de tissus coupés aux ciseaux, plumes et paillettes fixées à la main... Dans l'atelier d'Arnelle Laguerre, l'activité bat son plein.
"Dans les jours précédant le carnaval, nous travaillons toujours d'arrache-pied, avec beaucoup d'ouvriers: je peux en avoir quarante le jour et d'autres qui viennent travailler la nuit", témoigne la styliste, qui prépare depuis 20 ans des costumes pour ce rendez-vous incontournable de la vie culturelle haïtienne.
En février 2019, au moins sept personnes avaient été tuées en Haïti dans des violences en marge de manifestations réclamant la démission du président Jovenel Moïse et une amélioration des conditions de vie.
Cette instabilité politique avait poussé le gouvernement à annuler le carnaval: un coup dur pour tous les professionnels y participant.
"On avait commencé à travailler, à dépenser", rappelle Arnelle Laguerre, qui anticipe les commandes de costumes plusieurs mois avant les appels de dernière minute du comité organisateur. "On devait quand même payer (les ouvriers)".
Face aux taux d'emprunt prohibitifs des banques, les artisans jonglent avec des prêts informels, ce qui empêche la stabilité de leurs petites entreprises et la pérennité des emplois.
Entourée des piles de costumes en préparation, Arnelle Laguerre préfère ne pas calculer ses frais de production.
"L'électricité vient d'être coupée dans le quartier, on est obligé de lancer la génératrice. Tout ça, ce sont des coûts", déplore la styliste de 58 ans.
Dans l'atelier, chacun sait parfaitement combien de machines à coudre peuvent être branchées sans dépasser la faible capacité du petit groupe électrogène posé dans la cour.
Quotidiennes, les pénuries de courant accentuent la psychose des habitants de Port-au-Prince, qui fuient désormais les rues de la capitale la nuit, de peur d'être rançonnés ou enlevés.


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