«Le futurisme à Paris : une avant-garde explosive» : Mouvement au-delà des frontières


L B
Mardi 24 Février 2009

«Le futurisme à Paris : une avant-garde explosive» : Mouvement au-delà des frontières

Le samedi 20 février 1909, Le Figaro publiait en première page, sur trois colonnes, le Manifeste du futurisme de Filippo Tommaso Marinetti. Ce n'en était pas la première publication : comme le rappelle Giovanni Lista dans l'essai qu'il consacre à ce texte dans le catalogue de l'exposition à Beaubourg, il était paru d'abord – privé toutefois de son magnifique préambule – dans la Gazzetta dell'Emilia de Bologne le 5 février, puis à Milan le 7 février. Mais c'était la première publication dans sa langue originale : comme ont pu le constater les visiteurs de l'exposition au vu des quelques pages du manuscrit, aujourd'hui à Yale, le manifeste a bien été rédigé en français, langue que Marinetti, né en 1876 à Alexandrie, où il fut élevé par des jésuites lyonnais, parlait et écrivait couramment. Quant au genre du manifeste, Marinetti n'en était certes pas l'inventeur – pas plus qu'il n'a inventé, nous rappelle également Giovanni Lista, le mot futurisme – mais aucun mouvement moderne n'aura employé cette forme d'expression à aussi grande échelle ni, disons le, avec autant de bonheur. Cet extraordinaire premier manifeste, où l'on détecte les influences de Nietzsche, de Bergson, de Sorel, exalte le vivant, la jeunesse, la vitesse, la violence. Dans une prose fortement métaphorique, il rejette l'inertie, la culture passéiste des musées et des bibliothèques, auxquels sont préférés la machine, l'automobile, la locomotive, l'avion – sans parler de la guerre, "seule hygiène du monde". Anticipant les techniques du marketing moderne, Marinetti fait envoyer le manifeste, sous forme de tract, à des personnalités du monde de la culture et des arts ; beaucoup ne prennent pas la peine de répondre, d'autres, tel Saint-Saëns (dont la réponse est à Yale), réagissent avec fureur et mépris.
Paris, un territoire trop restreint pour le futurisme
Dans l'introduction du catalogue, Alfred Pacquement déplore que le futurisme, si mal représenté dans les musées en France, y reste méconnu. Il le restera, hélas, après l'exposition. Paris a en effet manqué l'occasion de marquer ce centenaire par l'équivalent de la grande mostra de 1986 au Palazzo Grassi (son commissaire, ironiquement, était Pontus Hulten, premier directeur de Beaubourg) dont le catalogue fait toujours autorité. Au lieu de brosser un panorama du mouvement de 1909 à la mort de Marinetti (1944), qui marque son terme officiel (même si les grandes réalisations se font plus rares après 1929), Beaubourg l'a traité à la portion congrue – une petite quarantaine sur 115 œuvres exposées – limitée à la période 1909-1915, et se concentrant principalement sur la peinture (et, très accessoirement, sur la sculpture). Pour le reste, l'exposition aurait pu – ou dû – s'intituler, paraphrasant le titre fameux d'El Lissitzky, "Les -ismes de l'art dans le Paris d'avant 1914 et ailleurs", car il ne s'agissait pas seulement de Paris, comme l'annonçait le titre, décidément bien mal choisi : on allait outre-Manche pour saluer le vorticisme, dont pourtant les animateurs se méfiaient grandement de Marinetti ; on se rendait en Russie où, malgré la visite de l'Italien en 1914, les cubo-futuristes n'étaient pas prêts non plus à se laisser fédérer sous sa bannière. Le plus grave, dans cette exposition, est qu'au lieu de montrer les toiles de Balla, de Boccioni, de Carrà, de Russolo, de Severini, de Soffici pour ce qu'elles sont et d'en montrer le plus possible, on les fait précéder, au nom d'on ne sait quelle vulgate de la modernité, de Cézanne, de Picasso, de Braque, de Gleizes, on les entoure de Delaunay, de Léger, de Gris, de Metzinger, de Kupka, de Villon, de Duchamp... La peinture futuriste – pour ne rien dire du futurisme même – se retrouve donc diluée, relativisée, minorée. Ce parti-pris se reflète fatalement dans le catalogue, qui n'en contient pas moins d'excellents essais, notamment celui d'Ester Coen (commissaire de l'exposition sur Boccioni du Met en 1988-1989) intitulé "Simultanéité, simultanéisme, simultanisme" et de Matthew Gale, qui présentera une version de l'exposition à la Tate Modern à la fin de l'année, sur les rapports entre futurisme et vorticisme. Malgré ses limites (essentiellement 1908-1915), la chronologie en fin de volume, présentée par Nicole Ouvrard, est fouillée et utile. Lista, doyen des études futuristes en France et en Italie, intervient deux fois. Son premier article contredit d'ailleurs brillamment l'orientation même de l'exposition, car il démontre que futurisme a été d'abord et avant tout un phénomène italien dont l'importance déborde largement le contexte parisien, si étriqué et conventionnel, qui lui était imposé à Beaubourg.



Le samedi 20 février 1909, Le Figaro publiait en première page, sur trois colonnes, le Manifeste du futurisme de Filippo Tommaso Marinetti. Ce n'en était pas la première publication : comme le rappelle Giovanni Lista dans l'essai qu'il consacre à ce texte dans le catalogue de l'exposition à Beaubourg, il était paru d'abord – privé toutefois de son magnifique préambule – dans la Gazzetta dell'Emilia de Bologne le 5 février, puis à Milan le 7 février. Mais c'était la première publication dans sa langue originale : comme ont pu le constater les visiteurs de l'exposition au vu des quelques pages du manuscrit, aujourd'hui à Yale, le manifeste a bien été rédigé en français, langue que Marinetti, né en 1876 à Alexandrie, où il fut élevé par des jésuites lyonnais, parlait et écrivait couramment. Quant au genre du manifeste, Marinetti n'en était certes pas l'inventeur – pas plus qu'il n'a inventé, nous rappelle également Giovanni Lista, le mot futurisme – mais aucun mouvement moderne n'aura employé cette forme d'expression à aussi grande échelle ni, disons le, avec autant de bonheur. Cet extraordinaire premier manifeste, où l'on détecte les influences de Nietzsche, de Bergson, de Sorel, exalte le vivant, la jeunesse, la vitesse, la violence. Dans une prose fortement métaphorique, il rejette l'inertie, la culture passéiste des musées et des bibliothèques, auxquels sont préférés la machine, l'automobile, la locomotive, l'avion – sans parler de la guerre, "seule hygiène du monde". Anticipant les techniques du marketing moderne, Marinetti fait envoyer le manifeste, sous forme de tract, à des personnalités du monde de la culture et des arts ; beaucoup ne prennent pas la peine de répondre, d'autres, tel Saint-Saëns (dont la réponse est à Yale), réagissent avec fureur et mépris.

Paris, un territoire trop restreint
pour le futurisme
Dans l'introduction du catalogue, Alfred Pacquement déplore que le futurisme, si mal représenté dans les musées en France, y reste méconnu. Il le restera, hélas, après l'exposition. Paris a en effet manqué l'occasion de marquer ce centenaire par l'équivalent de la grande mostra de 1986 au Palazzo Grassi (son commissaire, ironiquement, était Pontus Hulten, premier directeur de Beaubourg) dont le catalogue fait toujours autorité. Au lieu de brosser un panorama du mouvement de 1909 à la mort de Marinetti (1944), qui marque son terme officiel (même si les grandes réalisations se font plus rares après 1929), Beaubourg l'a traité à la portion congrue – une petite quarantaine sur 115 œuvres exposées – limitée à la période 1909-1915, et se concentrant principalement sur la peinture (et, très accessoirement, sur la sculpture). Pour le reste, l'exposition aurait pu – ou dû – s'intituler, paraphrasant le titre fameux d'El Lissitzky, "Les -ismes de l'art dans le Paris d'avant 1914 et ailleurs", car il ne s'agissait pas seulement de Paris, comme l'annonçait le titre, décidément bien mal choisi : on allait outre-Manche pour saluer le vorticisme, dont pourtant les animateurs se méfiaient grandement de Marinetti ; on se rendait en Russie où, malgré la visite de l'Italien en 1914, les cubo-futuristes n'étaient pas prêts non plus à se laisser fédérer sous sa bannière. Le plus grave, dans cette exposition, est qu'au lieu de montrer les toiles de Balla, de Boccioni, de Carrà, de Russolo, de Severini, de Soffici pour ce qu'elles sont et d'en montrer le plus possible, on les fait précéder, au nom d'on ne sait quelle vulgate de la modernité, de Cézanne, de Picasso, de Braque, de Gleizes, on les entoure de Delaunay, de Léger, de Gris, de Metzinger, de Kupka, de Villon, de Duchamp... La peinture futuriste – pour ne rien dire du futurisme même – se retrouve donc diluée, relativisée, minorée. Ce parti-pris se reflète fatalement dans le catalogue, qui n'en contient pas moins d'excellents essais, notamment celui d'Ester Coen (commissaire de l'exposition sur Boccioni du Met en 1988-1989) intitulé "Simultanéité, simultanéisme, simultanisme" et de Matthew Gale, qui présentera une version de l'exposition à la Tate Modern à la fin de l'année, sur les rapports entre futurisme et vorticisme. Malgré ses limites (essentiellement 1908-1915), la chronologie en fin de volume, présentée par Nicole Ouvrard, est fouillée et utile. Lista, doyen des études futuristes en France et en Italie, intervient deux fois. Son premier article contredit d'ailleurs brillamment l'orientation même de l'exposition, car il démontre que futurisme a été d'abord et avant tout un phénomène italien dont l'importance déborde largement le contexte parisien, si étriqué et conventionnel, qui lui était imposé à Beaubourg.


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