La corruption investit les planches : Au théâtre, les scènes de vie de citoyens rackettés


Narjis Rerhaye
Lundi 16 Février 2009

La corruption investit les planches : Au théâtre, les scènes de vie de citoyens rackettés
“Il n’est pas urgent que tu fondes une troupe de théâtre ni que tu crées un spectacle dramatique. Ni non plus que tu sois artiste. Tout cela n’est pas nécessaire pour vivre ». Ainsi s’exprime Naïma Zitan, l’une des principales fondatrices de la troupe « Théâtre Aquarium » et talentueuse metteur en scène.
Le théâtre n’est pas donc une urgence. L’artiste n’est pas une blessure béante sur scène. Voici ce que semble dire Naïma Zitan, look d’éternelle étudiante, celle-là même qui sait, avec un rare bonheur, mettre en scène les comédiens de la troupe, « Aquarium ». Pourtant, avec ces jeunes comédiens- Nouria Benbrahim, Adil Louchki, Meriem Zaïmi, Adil Abatourab et Jalila Tlemci-  avec Naïma Zitan à la mise en scène, Tariq Ribh à la scénographie, le théâtre est une urgence. Celle qui consiste à dire, montrer, tourner en dérision, donner à voir des tranches de vie bien saignantes, jeter une lumière crue sur les maux, les travers, les dysfonctionnements dans une société où la « halqa » appartient désormais au patrimoine mondial.
C’est exactement cela, la dernière création du théâtre Aquarium, formidablement servie par un texte signé par Mohamed Hor. Ce jeudi 12 février, au soir,  la corruption a investi les planches de la salle Bahnini du ministère de la culture. « Al Hor Bel Ghamza », dont c’était ce soir-là la toute première représentation devant une salle archi-comble, met en scène une jeune procureur qui découvre avec stupeur la corruption qui n’en finit pas de sévir, dans les milieux, à tous les étages. Justice, santé, édiles, autorités locales, les différents secteurs pointés par les associations investies dans la lutte contre la corruption, déclenchent ici des tableaux, des mises en situation et des répliques truculentes. Du chat volé de Brigitte Bardot vendu par le boucher marrakchi –admirable Adil Abatourab- en lieu et place du lapin, de la future Hajja ayant vœu de pèlerinage mais qui se découvre administrativement décédée pour cause d’une attestation de décès falsifiée en passant par le parcours du combattant de cette femme de la campagne, sans le sou et juste ses deux bracelets en or,  dont la fille a été mordue par un scorpion et qui doit absolument la conduire à l’hôpital, la corruption est dans tous ses états, et au quotidien.
Les doux frémissements des billets de banque
Le chaouch de la procureure, interprété avec finesse et intelligence par Adil Louchki, est le fil conducteur de cette chaîne kafkaïenne, ininterrompue de la corruption. Il connaît par cœur tous les dossiers et, surtout, les clés magiques, c'est-à-dire sonnantes et trébuchantes, qui ouvrent les portes. Un café, et tous les problèmes sont résolus. Une bleue, une verte, une couleur cannelle et les dossiers inextricables sont soudain d’une désarmante simplicité dans les dédales d’une justice où les dossiers « sans sel » et donc sans issue ni verdict, peuvent être transmis aux héritiers… « Al Hor Bel Ghamza », c’est donc celui ou celle qui comprend à demi-mot, qui saisit en un clin d’œil que pour régler son problème, n’importe quel problème, il, elle, doit se faire généreux. Un peu comme si les portes s’ouvraient au frémissement des billets de banque.
Attention, la pièce créée et montée par la troupe du théâtre Aquarium, grâce au soutien de l’ambassade des Etats-Unis à Rabat,  a choisi le rire, l’humour, souvent noir et incisif, l’ironie, cette forme tellement polie du désespoir, pour dénoncer la corruption au Maroc. Les personnages campés proviennent de toutes les régions du pays, du Marrakchi à celui originaire du Nord en passant par le Aroubi, pour mieux souligner que la corruption est partout. Et derrière le rire, les comédiens de la troupe –mention spéciale pour Jalila Tlemci, l’institutrice arabisante qui a mangé le chat de Brigitte Bardot- il y a l’espoir. La corruption n’est pas une fatalité. Les comportements doivent et peuvent changer à condition de ne pas baisser les bras. Et tout simplement parce que les droits ne se monnaient pas.


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