L'affaire Oussekine à la conquête des mémoires


Libé
Mardi 10 Mai 2022

Plus de 35 ans après les faits, inscrire un nom et une histoire dans la mémoire de tous: l'affaire Malik Oussekine, du nom de cet étudiant battu à mort en France par des policiers se raconte, pour la première fois, dans une série et un film. "Oussekine" et "Nos Frangins", deux titres, deux projets distincts mais le même objectif: retracer le destin brisé de ce Français d'origine algérienne de 22 ans, décédé le 6 décembre 1986 sous les coups de deux policiers en marge d'une manifestation estudiantine à Paris. Le premier est une série Disney réalisée par Antoine Chevrollier ("Baron noir", "Le Bureau des légendes") et qui sera diffusée en France et dans le monde entier le 11 mai; l'autre, un film de Rachid Bouchareb ("Indigènes"), qui sera présenté en avant-première au Festival de Cannes à la fin du mois de mai. Si le nom de Malik Oussekine résonne encore dans la société française, il est surtout devenu l'apanage d'un combat, celui contre les violences policières, mais a été "relativement oublié", affirme à l'AFP l'historien Yvan Gastaut. "La question n'est pas est-ce que Malik Oussekine a été oublié mais plutôt par qui", nuance l'historien spécialiste de la question de l'immigration, Pascal Blanchard. "La jeunesse maghrébine et plus globalement celle de l'époque, qui est une jeunesse déjà préoccupée par les discriminations raciales, est sensible à ce crime qu'elle perçoit comme un crime raciste. Mais le reste des Français ne voient pas cette histoire-là", poursuit-il auprès de l'AFP. En d'autres termes: si le nom Oussekine devient un emblème, il le devient auprès des marges, ceux qui "ont le sentiment d'être en dehors de l'histoire". Pourtant, l'affaire est "un fait de société majeur", estime Antoine Chevrollier, qui voit dans le jeune homme une figure "universelle". Universelle car "on parle d'une victime racisée, qui du fait de sa couleur de peau va être brutalisée. Quel public n'y serait pas sensible?", interroge M. Blanchard. Et d'ajouter: "C'est le George Floyd arabe en France!" (du nom de cet Afro-américain tué par la police, ndlr). Mais l'histoire de Malik Oussekine ne s'arrête pas là. Elle est intimement liée à l'histoire de l'immigration post-coloniale, et plus particulièrement à celle de la guerre d'Algérie (1954-1962). D'un pays marqué par le massacre d'Algériens par la police parisienne au cours de la manifestation du 17 octobre 1961. Ou du drame du métro Charonne à Paris le 8 février 1962 où meurent, étouffées, neuf personnes venues manifester pour la paix en Algérie. La mort de Malik Oussekine intervient aussi trois ans après la "marche des beurs", marche historique pour dénoncer les agressions dont étaient régulièrement victimes les Français d'origine magrébine. L'affaire marquera "la fin de l'impunité policière", souligne Yvan Gastaut, rappelant que les deux policiers ont été jugés et condamnés. "Une première" se souvient auprès de l'AFP Georges Kiejman, l'avocat de la famille Oussekine, rappelant que jusqu'ici les policiers mis en cause dans ce genre de faits n'étaient jamais poursuivis. Reste une question: pourquoi cette histoire n'avait elle jamais été racontée, empêchant, ainsi, sa transmission? Pour M. Blanchard, il aura fallu attendre que la troisième génération issue de l'immigration prenne la parole pour revendiquer cette mémoire. A l'image des autrices Leïla Slimani ou encore Faïza Guène, d'ailleurs coscénariste de la série aux côtés de Cédric Ido, Julien Lilti et Lina Soualem. "Je ne pense pas qu'on soit les premiers à revendiquer cette histoire. Nos parents l'ont fait avant nous mais pour notre génération, c'est important de dire que ces histoires individuelles font partie du récit national français. Elle ne sont pas à côté. Ce sont des histoires françaises", analyse Faiza Guène. "L'important, conclut Antoine Chevrollier, c'est de faire résonner ce nom et cette histoire pour ne jamais plus oublier".


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