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Dans un ancien pensionnat canadien, des étudiants autochtones redécouvrent leur langue

Avec plus de 96.000 locuteurs au Canada, le cri est la langue autochtone la plus parlée au pays, selon le recensement de 2016 de Statistique Canada


Libé
Mardi 2 Août 2022

Dans un ancien pensionnat canadien, des étudiants autochtones redécouvrent leur langue
Tout un symbole: sur les murs, des mots autrefois interdits, dans la cafétéria, des peintures traditionnelles et sur la pelouse, des tipis. Dans cet ancien pensionnat, synonyme des mauvais traitements réservés pendant des décennies aux peuples autochtones du Canada, des étudiants se réapproprient leurs langues.

"On m'a élevée en me disant qu'on n'était pas égaux, qu'on était inférieurs aux autres et j'ai cru ça presque toute ma vie", confie Veronica Fraser, autochtone de 60 ans, la voix étranglée par un sanglot.

"Donc je suis venue ici pour retrouver ma fierté" et "pour guérir et apprendre", poursuit-elle. Arrivée sans aucune connaissance de la langue crie, cette autochtone est bouleversée de pouvoir aujourd'hui réintroduire cette langue dans sa famille, avec ses enfants et petits-enfants.

Dans ce pensionnat, bâtisse de briques dans l'Ouest canadien à 200 km au nord-est d'Edmonton (Alberta), il a longtemps été interdit de parler une langue autochtone.

Des milliers d'enfants autochtones arrachés à leurs familles y ont vécu coupés de leur culture et de leurs racines. L'objectif énoncé était de "tuer l'Indien dans le coeur de l'enfant" comme dans les 130 pensionnats du genre à travers le pays.

L'Alberta est la province qui comptait le plus grand nombre de pensionnats et c'est ici que le pape François avait prévu de présenter ses excuses pour le rôle de l'Eglise dans ce système.
"C'est très difficile pour les jeunes qui ont grandi sans apprendre la langue", raconte Sherri Chisan, présidente de l'université.

Pour les protéger ou parce qu'ils avaient eux-même oublié la langue à cause du pensionnat, certains parents ne leur ont pas transmis cet héritage. "Et finalement ils ont souffert d'être privés de cet apprentissage", ajoute-t-elle.

Alors dans ces murs qui rappellent encore l'ancien pensionnat, les 250 élèves et les professeurs de l'université nuhelot'ine thaiyots'i nistameyimâkanak Blue Quills s'appliquent à faire revivre langues et culture.
Cours d'économie, sociologie, langues autochtones (Cri, Déné) et culture traditionnelle sont au programme.

Et désormais, à la place de l'ancien confessionnal - le pensionnat était géré par l'Eglise catholique - se trouve le bureau de la bibliothécaire. Au sous-sol, la chaufferie poussiéreuse où des garçons travaillaient est intacte, l'escalier brun que des enfants étaient forcés de récurer est d'origine.

"On reprend possession de ce qui nous a autrefois été pris, une grande partie de notre programme c'est ça: reprendre possession de notre héritage, notre langue, notre culture, nos coutumes, notre histoire", explique Wayne Jackson, professeur de cri.

Ce travail de réappropriation dure depuis plus de 50 ans: à l'été 1970, des parents d'élèves occupent le pensionnat pour reprendre le contrôle de l'éducation de leurs enfants, faisant de cet établissement scolaire le premier au Canada géré par des autochtones.

Avec plus de 96.000 locuteurs au Canada, le cri est la langue autochtone la plus parlée au pays, selon le recensement de 2016 de Statistique Canada. Moins menacée que d'autres qui sont aujourd'hui en déclin car uniquement parlées par les personnes âgées.

Pour beaucoup, réapprendre la langue est une revanche sur une histoire compliquée. Edwin Thomas est bilingue mais cet ancien travailleur du secteur pétrolier a décidé de se former pour enseigner le cri aux jeunes de sa communauté, dans le centre du pays (en Saskatchewan), où les besoins sont criants.

"Etre maintenant capable d'étudier à Blue Quills, qui était une institution dont le but était de priver mes ancêtres de leur langue, c'est à la fois très important et touchant", souligne cet autochtone de 43 ans.

Concentrée sur une peau d'orignal tendue à quelques centimètres de son visage, Tarryn Cardinal, 26 ans, est heureuse de renouer avec ses racines.

 "Il y a des choses qui ne se traduisent pas en anglais et qu'il est important de ressentir", soutient cette étudiante en deuxième année qui se réjouit de pouvoir désormais tenir de courtes conversations avec sa grand-mère.

"Je me sens fière de moi parce que grâce à ça, on est plus proches, plus connectés, ma culture et moi, ma grand-mère et moi, mon peuple et moi".
Pourtant Wayne Jackson reste inquiet car tout cela est fragile. "Il suffit qu'une génération de locuteurs ne parlent pas une langue et elle est perdue."


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