“Capharnaüm” Nadine Labaki inspirée dans l'enfer libanais

La cinéaste traduit un drame humain de l’enfance et à travers lui, celui d’une famille


Mardi 22 Mai 2018

Très remarquée à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs en 2007 avec "Caramel", Mention spéciale du Jury Œcuménique en 2011 avec "Et maintenant, on va où ?", Nadine Labaki a bouleversé la Croisette en compétition avec "Capharnaüm", où le petit garçon d’une famille pauvre fugue dans un Beyrouth chaotique, puis intente un procès à ses parents pour mauvais traitements.
Zain ne connaît pas son âge mais aurait une douzaine d’années. Il ne supporte pas que ses parents livrent à un adulte sa jeune sœur préférée de 11 ans. Quand elle meurt en fausse couche, il quitte le foyer pour faire sa vie dans la grande ville, s’occupe du bébé abandonné par une jeune réfugiée, est emprisonné, puis intente un procès à ses parents pour mauvais traitements. Le périple de Zain est prétexte à exposer le quotidien à Beyrouth, en proie au chaos et à la corruption, après une guerre interminable, toujours prête à reprendre. Nadine Labaki filme au niveau des trottoirs et des gens dans un style reportage, mais avec de vrais personnages construits, en donnant une énergie folle à son film.
Zain Alrafeea, qui interprète ce petit garçon et dont le prénom a été gardé pour son personnage, est incroyable de véracité. D’une maturité étonnante, d’aucuns le verraient bien remporter le prix d’interprétation de ce 71e Festival. C’est peut-être aller vite en besogne, mais il est vrai que son assurance, le ton dont il use dans ses répliques pas toujours faciles, sa gestuelle, étonnent à chacun instant.
À l’encontre d’autres films de la compétition officielle qui font le choix d’une mise en scène reprenant les codes du reportage, comme "En guerre" ou "Ayka" (caméra portée, cadrages et lumière variables, travelings instables…), "Capharnaüm" restitue l’énergie de la rue dans laquelle se fond son jeune héros. Il fait corps avec elle, et devient un vecteur pour Nadine Labaki, lui donnant accès à l’âme d’une ville et de ses habitants.
La cinéaste traduit un drame humain, un drame de l’enfance et à travers lui, celui d’une famille. Zain a compris le petit manège de ses parents. Sa mère est pratiquement devenue une poule pondeuse qui négocie ses filles avec les meilleurs partis pour survivre. En leur intendant un procès, Zain veut obtenir du tribunal son interdiction d’enfanter à nouveau, afin de prévenir de futures vies massacrées. Beau sujet, dans lequel s’engouffre la condition féminine, la misère, les mœurs d’une société libanaise déphasée et un message humaniste dans les paroles et le regard d’un enfant devenu adulte avant l’âge. Puissant.


Lu 651 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










services