Avec “Le Cercle des neiges”, une voix pour les disparus du drame dans les Andes


Libé
Vendredi 5 Janvier 2024

Roberto Canessa a passé les deux tiers de sa vie à raconter comment il a bravé des températures négatives, deux avalanches, escaladé les Andes et mangé de la chair humaine pour survivre au terrible accident d'avion qui a bouleversé son existence à l'âge de 19 ans.

Mais pour cet Uruguayen, cette tragédie anthropophage qui a fasciné le monde vaut la peine d'être racontée de nouveau. Avec "Le Cercle des neiges", elle débarque sur Netflix le 4 janvier. Le film est également sorti dans quelques cinémas à travers le monde en décembre.

Dans la vie, "nous avons tous notre chaîne de montagnes à gravir", rappelle à l'AFP M. Canessa. "Et il y a beaucoup de gens qui grimpent leur montagne en ce moment même. Il faut leur dire de ne pas se décourager, de continuer."

Réalisé par l'Espagnol Juan Antonio Bayona ("Jurassic World: Fallen Kingdom", "The Impossible"), le film retrace l'odyssée des jeunes joueurs d'une équipe de rugby amateur uruguayenne, dont l'avion s'est écrasé dans la Cordillère des Andes en 1972 alors qu'ils se rendaient au Chili.

Le titre et le scénario sont tirés du livre éponyme de l'Uruguayen Pablo Vierci, qui recueille les témoignages des membres du "Cercle des neiges".
Pour M. Canessa, ce nom symbolise le pacte qui a émergé du défi auquel l'équipe était soumise, "lorsque la société civilisée vous laisse de côté".

Après le crash, les survivants étaient d'abord persuadés que les secours viendraient à la rescousse, explique l'ex-rugbyman devenu cardiologue. Mais les jours se sont étirés sans sauveur à l'horizon.

"Vous devez vous débrouiller pour récupérer de l'eau, vous devez manger les morts parce que sinon vous allez mourir. Les morts sont là, à côté de vous", raconte-t-il. "Vous commencez à voir la mort d'une autre personne, non pas avec tristesse pour elle, mais avec tristesse pour vous, parce que vous êtes sur la liste d'attente."

Le 13 octobre 1972, un avion avec 45 personnes à bord (les rugbymen amateurs, quelques proches et l'équipage), s'écrase dans les Andes, sur une plateforme neigeuse à plus de 3.500 mètres d'altitude en territoire argentin.

Douze meurent dans le crash, et 17 succomberont plus tard à cause des blessures, du froid extrême ou des avalanches. Le calvaire des survivants, forcés de manger leurs co-équipiers, durera 72 jours au total.
"Ce qui nous est arrivé dans les Andes est absurde", s'émeut M. Canessa, l'un des 16 survivants.

C'est lui qui a permis le sauvetage de ses camarades, grâce à une équipée héroïque dans les montagnes avec son ami Fernando Parrado pour rejoindre le Chili, alors que les recherches avaient été abandonnées.

Cette histoire bouleversante a déjà fait l'objet de livres et de longs-métrages, notamment avec le film américain "Les survivants" (1993) de Frank Marshall avec Ethan Hawke. Un récit qui se concentre surtout sur l'incroyable exploit des survivants.

Mais pour M. Bayona, qui souhaitait raconter cette histoire dans sa langue maternelle, "quelque chose manquait". Le réalisateur espagnol a souhaité "donner la possibilité de s'exprimer à ceux qui n'étaient pas revenus".

Ce parti pris scénaristique "a donné un sens au film", ajoute-t-il.
"Le Cercle des neiges" prend ainsi pour fil conducteur l'expérience de Numa Turcatti, un des joueurs qui a succombé dans les Andes.

Pour son interprète, Enzo Vogrincic, ce rôle était à la fois une opportunité et un défi.
"Il semble qu'il n'y ait pas moyen de raconter cette histoire sans passer par un peu de souffrance", raconte l'Uruguayen de 30 ans.

Pour le tournage, les acteurs ont pris et perdu du poids, et passé des heures immergés dans la neige. Affamé et transi de froid, M. Vogrincic a aussi tourné certaines scènes malgré la fièvre. Recréer les avalanches subies par l'équipe a été "une torture", raconte-t-il.
Mais ces défis ont nourri le jeu des acteurs et leur "connexion avec le réel", estime-t-il.
Le film recrée l'expérience de manière "pratiquement scientifique", sourit M. Canessa, selon qui les comédiens sont passés "par les mêmes épreuves que nous".

Le long-métrage représente néanmoins "une version très légère de ce qui s'est passé dans les montagnes", nuance le survivant.
"Nous avons vécu des moments bien pires. Si je présente un film sur ce que nous avons vécu, les gens (...) quitteront la salle", rit-il.

Ovationné à la Mostra de Venise, le film a été choisi pour représenter l'Espagne aux Oscars, et pourrait faire partie des nominés dans la catégorie meilleur film international.
Fort de son expérience en montagne, M. Canessa recommande de le regarder avec du recul.
"Asseyez-vous dans la salle de cinéma et réfléchissez à ce que vous feriez si l'avion se crashait dans votre vie".


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