Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager

Au Sénégal, les baobabs ploient sous la pression des cimentiers


Mardi 5 Novembre 2019

De Bandia, qui fut l'une des plus belles forêts de baobabs du Sénégal, il ne reste qu'un paysage mortifère de cratères abandonnés. Et les projets d'extension d'une cimenterie qui exploite le sous-sol depuis 20 ans font craindre aux populations locales une désolation plus grande encore.
La commune de Bandia et ses 10.000 habitants, répartis en plusieurs villages, bordent la forêt classée du même nom, à une heure de voiture de Dakar.
En 2002, une société sénégalaise, Les Ciments du Sahel, y a implanté sa cimenterie, qu'elle alimente en calcaire en exploitant une vingtaine de mines à ciel ouvert dans les environs.
Dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, où le secteur de la construction est en pleine croissance, l'annonce dans la presse locale que cette entreprise avait obtenu une licence d'exploitation de 236 hectares supplémentaires a suscité colère et inquiétude des habitants et des associations de protection de l'environnement.
Cette autorisation n'est pas définitive et les projets d'extension sont "en suspens", dit un responsable gouvernemental.
Mais pour les riverains de la forêt, le mal est déjà fait.
"Il y avait des manguiers, des eucalyptus, des acacias, des baobabs. Regardez, il n'y a plus une fleur, plus un animal. Ici, la nature ne pourra plus jamais reprendre ses droits", se désole Mame Cheikh Ngom, professeur de géographie à l'Université de Dakar, en observant autour de lui l'un des rares baobabs encore debout.
Selon lui, il ne reste plus de la forêt que 2.000 hectares, un cinquième de sa superficie originelle. Originaire du village, il pointe du doigt la béance désolée d'une ancienne carrière, des engins de construction rouillés et des abris de béton abandonnés aux lézards et aux serpents après le départ des industriels.
"Maintenant, les mamans disent aux petits de ne plus jouer dans la forêt, elles ont trop peur qu'ils se fassent écraser", soupire le professeur, avec en arrière-plan l'ombre fantomatique de la cimenterie, flottant dans un nuage de poussière d'où émerge un va-et-vient incessant de poids lourds.
Arbre emblématique du Sénégal, le baobab associe des symboles forts, évoquant la vie et la mort: si ses feuilles servent à la confection de tisanes médicinales et ses fruits de remèdes pour les nouveau-nés, les anfractuosités de son large tronc ont longtemps fait office de linceul pour les griots.
L'attribution d'hectares supplémentaires aux Ciments du Sahel serait un "désastre écologique", estime l'ONG Nebeday. En septembre, les habitants ont manifesté pour demander au président Macky Sall d'intervenir, rencontrant un large écho dans la presse.
Les dirigeants de la cimenterie dénoncent quant eux un "lynchage médiatique".
"L'activité industrielle est loin d'impacter négativement la vie des populations, le village étant situé à près de cinq kilomètres" de l'usine, ont-ils assuré dans un communiqué. Sollicitée par l'AFP, la direction n'a pas souhaité accorder d'interview.
Les déflagrations des explosifs dans les carrières font bel et bien trembler les murs des maisons, assurent les habitants.
"A chaque mine qu'ils font exploser, nos murs se fissurent", explique Khady, une octogénaire drapée dans un voile blanc, en posant un regard éteint sur le mur éventré de sa chambre. Il lui arrive de se réveiller la nuit avec l'impression d'avoir échappé à une bombe, souffle-t-elle.
La poussière de calcaire omniprésente a aussi des conséquences pour la santé, affirme Mariama Diéne, infirmière au dispensaire du village. "On a constaté une augmentation terrifiante des cas de bronchite, pneumonie et tuberculose. Des bébés aux vieillards, personne n'est épargné", dit-elle.
"Les carrières devaient protéger les populations en arrosant les routes pour empêcher la poussière de se lever, mais ils ne le font pas", constate l'infirmière.
"Il y a eu une étude d'impact environnemental et social réalisée par la direction de l'environnement qui a permis à l'entreprise de démarrer ses activités", se défend le ministre de l'Environnement, Abdou Karim Sall.
Il souligne aussi que le gouvernement doit faire la part des choses entre la nécessité de protéger ses forêts et celle de poursuivre l'industrialisation du Sénégal, qui figure parmi les 25 pays les plus pauvres au monde.


Lu 937 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Actualité | Dossiers du weekend | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Billet | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | Economie_Automobile







L M M J V S D
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30          





Flux RSS
p