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​Sami Badreddine : La justice transitionnelle a lamentablement échoué en Tunisie


Propos recueillis à Tunis par Hassan Bentaleb
Vendredi 19 Décembre 2014

​Sami Badreddine : La justice transitionnelle a lamentablement échoué en Tunisie
Les deux favoris de l’élection présidentielle tunisienne 
s’affronteront ce dimanche dans un second tour. 
Il s’agit de la onzième élection présidentielle 
en Tunisie, la dixième au suffrage universel direct et la première depuis la Révolution 
de 2011. 
Cette élection à forte portée symbolique prouve que le processus  de transition politique est en marche. 
Retour sur ses succès 
et ses échecs avec le journaliste tunisien Sami Badreddine. 
Diplômé de  l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI),  ce dernier qui travaille 
à l’Agence Tunis Afrique presse (TAP) est considéré comme un spécialiste des questions des médias et de la 
justice transitionnelle. 
Entretien.


Libé : Trois ans après la chute de Ben Ali, les Tunisiens ont  élu une Assemblée constituante, élaboré une nouvelle  Constitution et organisé des élections législatives et présidentielle. Peut-on dire que le processus de transition a été un vrai succès ? 

Sami Badreddine : La transition a été relativement un succès dans ce sens qu’on a réussi à organiser trois élections démocratiques  et libres qui n’ont pas été entachées par des fraudes massives. Le peuple a exercé pleinement sa souveraineté en choisissant les membres de l’Assemble nationale constituante en 2011 et ceux de l’Assemblée nationale du peuple en octobre 2014. Reste l’élection présidentielle dont le deuxième tour se déroulera dimanche prochain. 
Mais il n’y avait pas que ces trois échéances électorales. Ces trois ans ont été également marqués par l’émergence d’un vrai débat politique animé par des médias libres. 
Donc, d’une façon générale, le processus s’est déroulé dans de bonnes conditions comparativement à d’autres pays du Printemps arabe et notamment chez les voisins libyen et  égyptien. 
La Tunisie demeure aujourd’hui un pays qui nourrit l’espoir d’un véritable changement démocratique dans le monde arabe. Et si ce modèle réussit, la Tunisie peut devenir une référence pour d’autres pays. 
Il est vrai qu’il y a eu des crises qui se sont traduites par l’assassinat politique des députés Chokri Belaïd et  Mohamed Brahmi et par le mouvement de contestation initié contre le  gouvernement de la troïka (gouvernement de coalition tunisien dirigé par Hamadi Jebali puis Ali Larayedh et rassemblant trois partis politiques) et le parti Ennahda, mais le consensus qui a prévalu entre les différentes forces politiques a permis d’apaiser la tension. Ce qui démontre  qu’un mouvement islamiste peut accepter le jeu démocratique. Ce qui n’est jamais arrivé dans d’autres pays arabes sauf au Maroc qui fait exception à la règle.

Comment les forces politiques ont-elles pu arriver à un pareil consensus?

Le peuple tunisien est connu par sa modération. Il s’agit d’une population  qui a des origines diverses (arabe, turque, berbère), qui a connu beaucoup d’influences extérieures (italienne, française, byzantine...).  Cela  a crée une sorte de tolérance bien ancrée dans l’inconscience du citoyen tunisien moyen. Et je crois que s’il n’y avait pas cette idée de consensus, nous aurions connu des situations conflictuelles comme en Libye.
Il est vrai qu’il y a des tensions et on a beaucoup perdu de temps mais finalement on est arrivé à s’entendre sans violence, même s’il y a encore des actes de terrorisme marginaux perpétrés par des radicaux. Mais cela demeure un problème international plutôt que régional spécifique à la Tunisie . 

Alors, qu’en est-il de la fracture entre laïcs et islamistes ?

Elle existe toujours et  elle se focalise autour du projet de société et de la question de l’identité nationale. On peut dire que la société tunisienne est bipolaire. D’un côté, il y a les laïcs. De l’autre côté, il y a ceux que j’appellerais les conservateurs ou,  avec certaines réserves, les islamistes car à part ces derniers, il y a d’autres forces politiques qui ne sont pas islamistes mais qui sont proches de ce camp  comme le parti Takatoul de Marzouki. Mais, il s’agit, de mon point de vue, d’une fracture plus artificielle que réelle car les vrais  problèmes de la Tunisie sont ailleurs. Ils ont trait au  développement économique, à la lutte contre le chômage … Ces problèmes ont été à l’origine de la révolution et je crois que les partis doivent s’entendre sur ces questions.

Comment expliquez-vous le retour des anciens cadres de RCD ?

Il faut d’abord noter que le processus de transition en Tunisie n’a pas exclu les anciens cadres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) qui sont revenus en force lors des dernières élections législatives de 2014 à travers le parti « Nidaa Tounes » (ou Appel de la Tunisie), un parti politique lancé le 20 avril 2012 par Béji Caïd Essebsi en tant qu’initiative puis transformé le 16 juin en parti qui a été légalement autorisé le 6 juillet). Ce parti s’est classé comme  première force politique au pays. 
Ce retour est compréhensible vu qu’une partie  de l’opinion publique tunisienne estime à tort ou à raison que les cadres de Nidaa Tounes seront les seuls capables de gérer le pays de manière efficace. Notamment après la gestion catastrophique  qui a marqué les trois ans d’exercice du pouvoir par la troïka dont la plupart des ministres ont été des novices.  
Pourtant, les avis restent partagés en ce qui concerne ce retour puisqu’une autre frange de la population le voit d’un mauvais œil par crainte d’un retour de la dictature.

Ce retour ne signifie-t-il pas que les Tunisiens n’ont pas encore tourné la page du régime Ben Ali ?

Il faut dire que jusqu’à présent, on n’a pas encore exhumé les anciennes archives ni évoqué les crimes de l’ancien régime et encore moins les personnes qui les ont commis. Ces personnes jouissent actuellement de l’impunité totale. On parle certes de tourner la page mais cela n’a jamais été fait. 
En matière de justice transitionnelle, il y a échec. A titre d’exemple, les gens qui ont détourné des fonds estimés à des milliards de dinars sous Ben Ali n’ont écopé que de deux à trois années de prison.
Il y a des citoyens qui ont été torturés ou tués mais il n’y a pas eu de procès puisque la plupart des preuves ont  été détruites. Il y a beaucoup de manquements; d’où la colère d’une partie importante de la population. Et d’où la peur d’un retour du RCD sur les devants de la scène politique. 

La situation en Egypte a-t-elle impacté l’expérience tunisienne ?

Peut-être, mais pas totalement. Le coup d’Etat en Egypte aura probablement obligé Ennahda à céder le pouvoir dans l’attente de nouvelles élections, mais il n’en demeure pas moins que la grande majorité des Tunisiens rejettent le modèle égyptien qui a mis la démocratie sous le boisseau pour asseoir un pouvoir fort imposé par les armes. On sait comment cette expérience a débuté mais on ne sait pas comment elle va finir. Heureusement que  nous n’avons pas emprunté la voie égyptienne et que notre armée a refusé de faire un coup d’Etat contre le pouvoir civil malgré les sollicitations de certaines parties. Elle a su demeurer neutre et a refusé de s’engager dans un conflit politique, que ce soit contre les islamistes ou contre les autres partis. 

Peut-on donc parler d’une exception tunisienne ?

A l’heure actuelle, la Tunisie peut prétendre être une exception. On a une véritable démocratie comme en atteste la candidature de 27 candidats lors de l’élection présidentielle, ce qui ne s’est jamais vu dans le monde arabe. 
C’est le pays où l’exercice démocratique est le plus avancé au sein du monde arabe. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’imperfections. Il y a des possibilités de retour en arrière. Pour éviter ce scénario, il faut consolider les institutions du pays et c’est la mission du prochain gouvernement qui doit relancer le processus de la justice transitionnelle, donner plus d’autonomie à la Banque centrale, créer des mécanismes de nature à favoriser la transparence dans la gestion de la chose publique. 

Comment le deuxième tour de l’élection présidentielle s’annonce-t-il selon vous ? 

Je crois qu’on va assister à un deuxième tour serré entre Marzouki, l’actuel président provisoire, et Béji Caïd Essebsi dont le parti a été classé premier lors des dernières élections législatives et qui a remporté le premier tour. Il y a une différence de six points entre les deux candidats. Ce n’est pas un écart  énorme. Pourtant, Béji Caïd Essebsi a plus de chances de gagner le deuxième tour même si ce n’est pas joué d’avance.

… Et qu’en est-il des propos menaçants imputés à Marzouki

Je ne pense pas que Marzouki puisse proférer de telles menaces. C’est un militant des droits de l’Homme. Il est parfois borné, parfois têtu mais je ne pense pas qu’il puisse passer à pareil stade de violence. Je crois que les résultats du deuxième tour seront acceptés par les deux candidats. Il y aura des critiques mais pas davatage. 
En effet, les Tunisiens ne peuvent pas permettre que leur pays entre dans une nouvelle crise et sombre dans la violence pour de simples raisons électorales.  A ma connaissance, il n’a pas proféré de menaces claires et nettes. Il a seulement parlé du retour éventuel de la dictature au cas où il ne serait pas réélu. Certains de ses partisans ont effectivement proféré des menaces mais leurs menaces n’engagent qu’eux.  Mais, qu’il y ait eu ou non des menaces, je crois qu’on n’ira pas jusqu’au bain de sang. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Qu’en sera-t-il des pouvoirs du prochain président ?

Le prochain président n’aura pas de pouvoirs importants. Il pourra certes nommer les responsables militaires, déclarer la guerre ou faire la paix, avoir un droit de regard sur la nomination des ambassadeurs… mais son statut sera plus symbolique qu’autre chose. Cela a été voulu pour éviter qu’un régime présidentiel hégémonique  qui décide de tout comme sous Ben Ali soit remis en place. 
Le véritable pouvoir est entre les mains du Premier ministre. C’est lui qui dirige l’Exécutif, décide des grandes orientations de l’Etat et dessine les contours des réformes. 

Les jeunes ont été les grands absents du premier tour de l’élection présidentielle. Comment expliquez-vous cette absence ?

Il y a eu une forte abstention des jeunes notamment ceux qui ont fait la révolution. Et c’est compréhensible. Ces jeunes cherchent d’abord du travail et de meilleures perspectives d’avenir. Pour  eux, les thématiques  relatives à  l’islamisme et à l’identité ne sont plus mobilisatrices. Ceci d’autant plus que la scène politique est accaparée par des hommes politiques dont la moyenne d’âge dépasse les 40 ans. Ces jeunes n’ont rien vu venir pendant ces trois ans du gouvernement de la troika. Il n’y a pas eu de projets à même de réduire le chômage ou de leur redonner espoir. Je comprends donc pourquoi certains jeunes ne se retrouvent plus dans la politique et que certains d’entre eux se radicalisent et choisissent la voie du terrorisme. 

… Et les islamistes dans tout cela ? 

Les islamistes sont toujours présents sur la scène politique. Ennahda est la deuxième force politique. Les islamistes ont décidé de se mettre en retrait, de se réorganiser et de travailler dans les régions où ils n’ont pas enregistré de bons scores. Ils ont de la bonne volonté mais ils n’ont pas l’expérience requise pour gérer un pays. Et ça se comprend. Leurs cadres ont, de tout temps, été poursuivis, persécutés, emprisonnés et exilés. Mais il est fort possible qu’Ennahda revienne en force lors des prochaines élections, mais en attendant  j’espère qu’ils adopteront une approche constructive face à Nidaa Tounes, et ce pour le bien du pays, car toute confrontation risquerait d’avoir des conséquences fâcheuses pour la Tunisie. 

Etes-vous optimistes quant à l’avenir de votre pays ?

Je demeure optimiste même si on n’est pas encore sorti de la crise. Il nous faudra encore du temps et beaucoup de travail pour y arriver. Mais je suis sûr que notre pays fera la différence dans le monde arabe.  


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