​S'essayer à la philosophie féminine : De Simone de Beauvoir à Fatima Mernissi


Par Amina Aboulasse
Jeudi 16 Avril 2015

​S'essayer à la philosophie féminine : De Simone de Beauvoir à Fatima Mernissi
Début mars 2015, Casablanca, un matin ensoleillé.

Voitures folles courant les rues, élèves en retard les traversant, yeux enflés et cartables alourdis. Filles coquettes, la première parlant au téléphone, l'autre connectée via WhatsApp avec son amoureux en voyage d'affaires à l'étranger, toutes deux attendant patiemment le passage d'un bus qui se fait capricieux. Une bande de travailleurs assis sur le comptoir d'un vendeur de crêpes sirotant du thé à la menthe en mâchouillant entre deux bouchées la légèreté de moeurs de leurs concitoyennes ainsi que leur accaparement abusif des chances offertes dans un marché de travail déjà somnolent. Une mémé devant le pas de sa porte, faisant entrer son petit-fils de deux ans que la maman vient de déposer avant de se précipiter à son bureau. Un groupe de banquiers sur la terrasse d'un café, novices dans l'expérience de mariage, tirés à quatre épingles, fumant cigarettes et discutant savamment à la fois de foot, derniers gadgets, la réunion de la veille ainsi que la débourse obligatoire cette semaine et pour cause: la Journée mondiale de la femme. Depuis mon balcon, je regarde paisiblement tout ce beau monde gesticuler et je cogite sur ma condition humaine qui est d'être: africaine, arabe, musulmane, ou encore de l'inconvénient d'être née femme tout cour.

Distinction homme / femme, aux origines de la dichotomie

Etant donné que d'un point de vue anthropologique l'on appartient tous à l'espèce humaine communément connue sous la nomenclature: Homo sapiens sapiens, et que d'un point de vue philosophique, ce qui fait de l'humain un être exceptionnel, c'est sa dignité-laquelle puisée de sa faculté à se penser et à penser le monde dans lequel il est submergé- .. Ne peut-on pas se demander pourquoi on s'entête toujours, et ceci même au XXIème siècle à procéder de la même façon que Descartes et à mettre spontanément, presque automatiquement, toute chose dans un cadre bien précis? Pourquoi tout classer quand bien même cette catégorisation n'aurait aucune utilité tangible, encore pire, elle créerait des conflits inutiles et évitables?

Essayons de comprendre la logique qu'il y a derrière.

Séparer les champs, définir les aisances et penchants qu'ont chacun des deux genres -sans faire mauvais genre- à traiter de telle ou telle chose vu la constitution biologique, les capacités physiques, intellectuelles et sentimentales, puis tout contredire d'un coup de revers en appelant le beau monde (décrit dans la scène introductive): l'Homme!
Quand on sait que le langage traduit la pensée, et que la pensée qui a conceptualisé le terme en question est masculine, ne pourrait-on pas y sentir un air de machisme?
Retour en arrière: a-t-on vraiment réussi le pari cartésien? Non, finalement on se retrouve dans une sorte d'amalgame qui fait que, oui l'homme et la femme sont deux êtres singuliers, sauf lorsqu'on veut parler des deux, l'on emploie le terme homme avec grand H pour souligner la différence et la suprématie?
Cette logique tirée par les cheveux peut être résumée en une phrase: pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?
Dans une autre optique, tandis que le législateur français supprime l'expression "agir en bon père de famille" du Code civil pour ménager les susceptibilités des LGBT, les choses se font lentes du côté de la femme, la Déclaration universelle des droits de l'Homme la dénigre à commencer par le titre, sans penser à plonger dans les profondeurs du texte.
A première vue, la révolution copernicienne n'a pas atteint tous ses buts; on remarque toujours la présence narcissique et démesurée de l'homme en rapport avec tout ce qui l'entoure à commencer par la femme. Maintenant que la problématique de langage et d'idéologie a été soulevée, apprêtons-nous à traiter de la question de la femme surtout dans ce contexte de globalisation, chez deux icônes de la lutte féminine qui se situent aux antipodes, je cite: De Beauvoir et Mernissi.

Femme libre, femme libérée

La philosophe française a eu de particulier de parler de la condition de la femme en allant chercher dans l'Histoire et en appuyant ses dires par des théories logiques et bien fondées. En effet, lorsqu'elle aborde la question de l'inégalité, elle la rattache à la construction idéologique et historique que l'homme en a fait. Le mythe de l'éternel féminin à titre d'exemple est une image parfaite et idéalistique de cette dernière qui la fige dans une sorte de conception impossible à atteindre telle que "la vierge" "la mère patrie" "la mère nature" laquelle et avec un effet de contraste souligne indirectement l'inachèvement que représente la femme actuelle. Comment donc échapper à ce piège? Comment la libérer?
De Beauvoir a été très claire lâ-dessus, elle énonce que la femme doit agir, parce qu'à la base, il n'existe pas de déterminisme inévitablement conçu par l'homme qui objective la femme, mais plutôt une idéologie qui tend et essaie de la rendre un objet. La femme est donc une transcendance transcendée par la transcendance masculine. Or, la liberté ontologique des êtres est absolue et indéniable, quel soit leur sexe. Il convient donc aux Antigone de résister, dénoncer et fuir toutes les représentations féminines ancrées dans les cerveaux et se révolter afin d'atteindre l'émancipation tant désirée, chose illustrée dans cette phrase de de Beauvoir: " Les femmes doivent reprendre possession de leur destin, non en tant que femme, mais en tant qu'homme comme les autres. Ainsi, la femme ne doit plus être femme, autrement dit le sexe inférieur, l'Autre, mais un homme". 

Femme occidentale, image de la femme émancipée?

Statistiquement, il n'existe aucun pays où l'égalité des sexes est une réalité. En Europe et en Amérique, les intellectuels discutent de démocratie et de théorie du genre en essayant tant bien que mal, avec une vision, hélas orientaliste, de faire briller l'image de la femme qui a la liberté du choix et qui est l'égale de l'homme. Ceci est encourageant, mais peut-on parler de ces choses si en parallèle l'on remarque que la femme est exclue de la chose publique? 
Dans ce cas, on ferait croire aux femmes qu'elles sont bien et que le système est bon et leur convient parce qu'elles sont avantagées plus que d'autres ailleurs dans le monde.
Mernissi a pris comme cheval de bataille de souligner que les frontières sont là mais qu'elles sont virtuelles, la femme est enfermée et partout, mais que l'Occident ne s'intéresse qu'aux musulmanes persécutées.
L'action "He For She" lancée par l'ONU afin de venir au secours aux femmes à travers le monde confirme la situation délicate dans laquelle elle se trouve et partout. Mais pourquoi l'idée véhiculée par les médias stigmatise-t-elle toujours l'Orientale soumise?
En réalité et pour se limiter au Maghreb, le changement se fait voir et entendre.La situation est loin d'être parfaite, mais tant qu'il n'y a pas stagnation, l'évolution continuera son chemin. Il y a eu par exemple la création du nouveau Code de la famille, l'abrogation de l'article 475 du Code pénal marocain qui accordait le droit au violeur de se marier avec sa victime et échapper à toute punition.
Selon Mernissi, la femme serait en manque de moyens, elle porte en elle tout le potentiel pour égaler l'homme.
La femme en Orient comme en Occident se bat chaque jour pour s'imposer en tant qu'être libre; l'enfermement est là, les Occidentales sont ligotées par le "harem de la taille 38" qui les oblige à se conformer à certains critères de beauté -dans le cadre d'une industrie de l'image bien calculée- alors que les Orientales militent férocement pour leurs droits civiques et civils.

Femme-homme, être humain

En définitive, ne sommes-nous pas tous victimes de certaines images prédéfinies ou stéréotypes qui veulent que la femme se comporte d'une façon et que l'homme agisse d'une autre?
Le macho, n'est-il pas le bourreau de lui- même avant de l'être pour sa compagne?
L'homme n'a-t-il pas le droit d'être sensible? fragile? humain? 
La femme devrait-elle se limiter à prendre soin de ses ongles? cacher ses cheveux blancs? et calculer ses calories?
Ne sommes-nous pas un peu de tout: fragilité, force, sensibilité, faiblesse et surtout: en chair et en os?
L'égalité entre les sexes ne devrait peut-être pas être l'objectif à atteindre mais plutôt l'équité et la liberté de tout un chacun, partout, face à n'importe quelle situation, quel que soit son statut, son genre, sa race et sa religion.  


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