​Réconciliation raciale et prospérité

La situation en Israël illustre un aspect inhérent aux systèmes de suprématie blanche


Par Dr Yossef Ben-Meir *
Mercredi 6 Mai 2015

​Réconciliation raciale et prospérité
Une grande partie de ma vie professionnelle implique l'application de méthodes de prise de décision démocratique participative pour catalyser et mener à bien des initiatives de développement humain. Ces méthodes ont heureusement un taux de réussite élevé, ce qui donne lieu à des avantages socioéconomiques et environnementaux partagés. Il est intéressant de noter que lorsque nous examinons ces expériences, un facteur relativement courant ressort : celui du conflit.
Dans le cas du Maroc, par exemple, où, en particulier dans les zones rurales, nous facilitons le dialogue communautaire pour mettre en œuvre des projets de développement, la mésentente découle généralement de l’affrontement des idées concernant le développement social nécessaire et les initiatives prioritaires.
Dans des situations semblables dans le monde, où les causes de la discorde sociale sont non raciales, il existe des méthodes participatives éprouvées et bien établies pour aider les groupes locaux à identifier les objectifs, travailler ensemble en dépit des différences et répondre à une gamme de besoins pratiques.
Cependant, il y a aussi des communautés à travers le monde qui ne peuvent pas emprunter cette voie de la planification conjointe du développement parce qu'elles vivent un type de conflit racial ou lié à l'appartenance ethnique qui empêche les parties   d'entrer dans la même pièce et de s’engager dans des discussions sur leurs relations.  
 Dans ces cas-là aussi, la méthodologie participative peut être utilisée pour briser les barrières blessantes et profondément ancrées et contribuer à la réconciliation en permettant aux parties de raconter leur histoire et d’exprimer leur reconnaissance et leurs regrets. Ce processus une fois achevé peut conduire à une situation insoupçonnée dans laquelle de nouvelles relations productives sont non seulement consacrées par des ententes et des conventions, mais aussi alimentées par la planification concertée et la mise en œuvre pour la croissance.
 Lancer un débat inclusif est la première étape indispensable de ce qui peut méthodiquement mener à une collaboration multiraciale pour la prospérité et  la paix. Un exemple courageux de l'application de cette méthodologie de réconciliation est l'initiative “Race together” lancée par Starbucks en 2014 pour promouvoir le dialogue communautaire sur les questions de relations interethniques aux Etats-Unis et tourner de façon appropriée le discours social et politique de ce café qui a toujours été un espace de débat. Cet exercice participatif volontaire implique l'expression et l'écoute des expériences de vie des citoyens qui sont marquées par des aspects de l'identité raciale. La négativité des médias sociaux qui a été ensuite exprimée à l’encontre de Starbucks, simplement pour avoir invité les communautés américaines à discuter de questions relatives aux relations raciales, a mis en évidence les obstacles au progrès qui existent dans ce domaine.  
Pour qu’un tel projet ait un véritable impact social, à savoir la construction d'une importante base de connaissances émotionnelles englobant, par exemple, une compréhension de la profondeur du sentiment éprouvé par les Afro-Américains lors de tragédies comme celle de Ferguson, des entretiens individuels doivent être stimulés d’innombrables fois.
Avancer pour atteindre une plus grande échelle nécessite deux autres facteurs : la formation à grande échelle des facilitateurs et des mesures de relance économique. Le premier facteur pourrait impliquer, par exemple, le White House Office of Faith and Community Initiatives dans le financement de programmes visant à former des citoyens issus des communautés religieuses en facilitateurs de dialogue communautaire. Ce dernier peut inclure l'investissement dans des discussions publiques sur les relations interethniques pour surmonter les clivages afin que les nouveaux projets de croissance locale puissent ainsi être évalués et réalisés.
Si le processus devait se dérouler à l'échelle nationale, le résultat, à savoir le dialogue de réconciliation pour aboutir à la planification conjointe du développement, pourrait mobiliser une pression ascendante sur les dirigeants nationaux pour qu’ils poursuivent avec sincérité les politiques d'égalité des chances entre les différents groupes.
Dans la période qui a précédé les élections de mars 2015, l'électorat israélien a été privé de ses droits lorsque le Premier ministre a joué aux chaises musicales avec les partis d'extrême droite en frisant les obscénités politiques et raciales trompeuses. N’est-il pas ironique de constater que certains extrémistes juifs d'origine européenne, les bénéficiaires du «privilège blanc» au sein de la société israélienne, n’apprécient en outre pas leurs concitoyens juifs originaires de pays arabes eux-mêmes victimes du racisme institutionnel? La situation en Israël illustre un aspect inhérent aux systèmes de suprématie blanche qui déterminent les relations de pouvoir entre les membres du même groupe ethnique ou racial ainsi que les relations extérieures avec d'autres groupes.
A ce niveau élevé où la réduction des divisions raciales doit avoir lieu, le rôle de tiers serait effectué par des ONG, des centres de formation et les personnes qui coordonnent les réunions communautaires, assurant que toutes les parties sont présentes et entendues. Cela est nécessaire pour que les mouvements locaux de réconciliation fusionnent; l'échelle de cohésion et de force sociale permettent à des groupes toujours plus importants d'acquérir un plus grand contrôle sur les événements qui façonnent leur vie.
D’un point de vue pratique, les membres des groupes en conflit qui le souhaitent doivent se rencontrer et discuter directement dans les lieux, au sein même des communautés, où ils peuvent reconnaître les difficultés des uns et des autres et construire de meilleures relations entre eux. Les Etats-Unis ainsi que les pays européens et asiatiques doivent par conséquent chercher à consolider toutes les occasions pour le dialogue communautaire israélo-palestinien et supprimer les critères restrictifs (notamment pour le développement technologique conjoint) qui entravent le versement de fonds pour des projets impliquant la collaboration des deux parties.
Il en va de même pour l’atténuation des clivages entre sunnites et chiites qui secouent  une grande partie du Moyen-Orient. Le dialogue local direct entre les groupes ethniques et religieux dont la forte animosité menace l’ensemble du tissu social, reste la seule option à la fois immédiatement applicable et finalement durable.
A ce niveau élevé où doit avoir lieu l’apaisement des clivages raciaux, le rôle de tierce partie serait joué par des ONG, des centres de formation et des particuliers qui coordonnent les réunions communautaires, en veillant à ce que toutes les parties soient présentes et entendues. Cela est nécessaire pour que les mouvements de réconciliation locale deviennent une force sociale montante, cohésive et à grande échelle permettant à des groupes toujours plus importants d'assurer une meilleure maîtrise des événements qui façonnent leur vie.  
Promouvoir et maintenir de manière créative, stratégique et large des pourparlers localisés et des processus de réconciliation peut favoriser une poussée bottom-up au sein des sociétés et augmenter les tendances vers des systèmes administratifs publics fédéralistes ou décentralisés. Les niveaux sous-nationaux seraient habilités et verraient leurs capacités managériales renforcées. En outre, par le biais de coalitions et du plaidoyer, ils seraient en mesure de faire pression et de façonner les niveaux nationaux à leur image diversifiée et plus inclusive. Nous assistons actuellement à ce phénomène au sein du Parti républicain américain au fur et à mesure que s’intensifie la pression à partir des Etats et des jeunes membres à travers le pays pour créer une plateforme nationale tenant compte des intérêts humains des GLBT américains.
Les processus de réconciliation menant au développement humain et à la croissance économique et à la prospérité n'a nul besoin d'attendre un leadership national (et international) éclairé compte tenu de l'urgence globale. En vérité, à l'heure actuelle, l'accomplissement de cette mission réside entre les mains de chacune et chacun d’entre nous.

 * Sociologue américain 
vivant à Marrakech et portant
un intérêt particulier 
à la région du Moyen-Orient 
et de l'Afrique du Nord


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