Le chef du gouvernement a répété à l’envi que son action n’est pas guidée par des visées électoralistes, affirmant même que ces considérations n’ont aucun impact sur le gouvernement. C’est juste un gros mensonge, la réforme des retraites est bouclée, les arbitrages ont déjà été faits, et pourtant elle ne sera publique qu’après les élections communales. Pour expliquer ce retard, Benkirane se cache derrière les négociations avec les syndicats. Or tout le monde sait que ces négociations ne peuvent pas aboutir et que le gouvernement passera le texte en force. Aucun syndicat au monde ne peut dire à ses affiliés qu’il est pour le recul de l’âge de départ à la retraite, l’augmentation des cotisations et la baisse des pensions. Les centrales marocaines ont proposé une augmentation de 25% des salaires contre un passage en douceur de la réforme des retraites. Le gouvernement refuse une augmentation généralisée, arguant de la situation des équilibres macro-économiques. Il est illusoire de penser que ce blocage peut être levé d’ici à septembre, mais Benkirane a préféré annoncer les mauvaises nouvelles après les élections. En 2007, Abbas El Fassi avait caché que l’opération «Annajat» n’était qu’une escroquerie pendant des mois et ne l’a révélée qu’au lendemain des élections.
Mais Benkirane et ses ministres annoncent des mesures sur les allocations familiales et le relèvement du seuil minimal des pensions de 1000 à 1500 DH. Ainsi que l’AMO pour les étudiants, c’est une campagne avant l’heure et rien d’autre.
Le PJD fait aussi le grand écart sur la politique avec un grand P majuscule. Ainsi presque le même jour, Benkirane repose la question des rites de la Baaia, alors qu’il avait déclaré que «ce sont des traditions ancestrales qui forment le socle de notre culture». El Othmani, président du conseil national du PJD, va plus loin: «Il est temps de séparer l’Etat de la religion», avanc-t-il. On n’est plus dans la séparation de la politique et de la religion. C’est une remise en cause directe de la commanderie des croyants. C’est fait avec habileté, mais c’est cela qui est visé par les propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Ces sorties s’inscrivent évidemment dans les relations compliquées que l’Etat entretient avec ce qu’il appelle « l’Etat profond ».
Mais c’est aussi une manœuvre électorale visant à rassurer les frères du MUR, sur l’attachement aux convictions de l’aile politique. Les deux chefs du PJD renieront leurs déclarations le soir des élections et Benkirane nous ressortira une déclaration sur l’institution monarchique. Ces variations, ces effets de girouette sont lassants pour les observateurs. En vérité, le PJD a choisi le double langage, rassurer les uns sur sa loyauté envers les institutions, et les autres sur ses convictions islamistes, tel est son credo.
La chance du PJD, c’est l’atonie des intellectuels qui n’imposent pas le débat. La séparation de la religion et de l’Etat n’est pas un sujet qu’on peut traiter à la sauvette, surtout de la part d’un parti qui mène depuis sa création campagne contre les laics réels et supposés. Si on installait le débat, El Othmani, devrait clarifier sa pensée. Mais, pour l’heure, cela lui permet de s’attirer la sympathie de Rissouni et ses amis, son objectif. Cette stratégie de l’enfumage finira par éclater au grand jour.
