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​Les licenciements collectifs franchissent le Rubicon

La politique du gouvernement Benkirane a induit une augmentation des faillites d’entreprises


Hassan Bentaleb
Mardi 26 Mai 2015

Abdelhamid Fatihi : Les programmes de soutien des entreprises en difficulté font défaut

​Les licenciements collectifs franchissent le Rubicon
Voici ce qui va mettre un bémol aux déclarations des membres du gouvernement Benkirane en matière de création d’emplois et d’encouragement de l’investissement. Plus  de 7.600 entreprises marocaines ont fait faillite en  2014, soit une hausse de 10% par rapport à 2013.   Et ce chiffre est appelé à augmenter de plus de  4,2% en 2015.  
« Ce phénomène n’a rien de nouveau. Pis, il n’a cessé de s’aggraver depuis trois ans », nous a  précisé Ali Lotfi, secrétaire général de l’ODT. D’après lui, cette situation est due à deux facteurs. En l’occurrence le marasme économique dans lequel sombre le pays et le refus de l’Etat de payer ses arriérés aux PME/TPE : « Les choix politiques et économiques dictés par la Banque mondiale n’arrangent en rien la situation économique fragile de ces entreprises.   Plusieurs d’entre elles se sont vu écraser  par les charges d’une  politique fiscale fort lourde et une concurrence féroce des produits en provenance de Turquie  et de Chine. Une situation aggravée davantage par le retard pris par l’Etat pour honorer ses dettes».
Les chiffres révélés dernièrement remettent en cause ceux avancés par le département de l'Emploi et des Affaires sociales qui a indiqué, dans un document officiel, que le taux de fermeture des entreprises a reculé de 44% lors des neuf premiers mois de 2014 par rapport à la même période de 2013 en passant de 75 à 42 entreprises.  Un tel constat  a été avancé concernant les entreprises qui ont licencié leurs salariés. Ledit document a précisé que leur taux a reculé de  31% en passant de 71 à 49 entreprises. En conséquence,  le taux de perte d’emploi a chuté de 53% (3.900 emplois en 2014 contre 8.300 en 2013). « Ces statistiques sont fausses. Le département d’Abdeslam Seddiki n’a pas les moyens idoines de fournir des chiffres précis et complets sur le nombre d’entreprises qui ont fait faillite et les pertes d’emploi », nous a indiqué Ali Lotfi avant de poursuivre : « Souvent, ces entreprises déclarent faillite auprès des autorités locales et non pas auprès des services relevant du ministère de l’Emploi.  De plus, ces mêmes services sont peu pourvus en ressources humaines pour assurer une telle tâche. Comment peut-il espérer collecter  des statistiques fiables alors qu’il n’a que 400 inspecteurs du travail ? Un effectif qui est à peine suffisant pour couvrir la seule wilaya de Casablanca. Tel est le cas également pour les statistiques concernant la création d’emplois. Le ministère se réfère souvent aux chiffres donnés par l’ANAPEC alors qu’on sait pertinemment que beaucoup de salariés accèdent au monde du travail par d’autres voies que cette agence». 
Le secrétaire général de l’ODT va plus loin. Il estime que la déformation de la réalité constitue une seconde nature de l’actuel gouvernement. « Benkirane et ses ministres n’ont pas cessé de nous rabâcher les oreilles avec leur soi-disant politique d’encouragement de l’investissement, de mise à niveau des entreprises et de création d’emplois, mais ce n’est malheureusement que des slogans. Les entreprises manquent de soutien et d’encouragement.  Tous les programmes destinés à les promouvoir demeurent lettre morte. Elles souffrent de l’accroissement massif de leur endettement, de taux d’intérêt bancaires des plus élevés de la région MENA, de la pression fiscale, de la hausse des prix  du carburant, de l’eau, de l’électricité et des matières premières et la liste est longue », nous a-t-il déclaré.  
Même son de cloche de la part d’Abdelhamid Fatihi, secrétaire général de la Fédération démocratique du travail (FDT). D’après lui, les programmes d’accompagnement et de soutien des entreprises en difficulté font défaut. « Le gouvernement pèche par un manque d’approche cohérente et d’actions adéquates  pour appuyer ces PME et sauvegarder l’emploi », nous a-t-il confirmé. 
Ahmed, chef d’entreprise opérant dans le domaine de textile, en sait quelque chose. Il fut témoin de plusieurs fermetures d’usines et de licenciements collectifs de salariés ces dernières années. « Les patrons du secteur du textile-habillement ont été les premiers à être touchés. Ils se sont trouvés désarmés face à une rude concurrence étrangère. Les coûts élevés de production et les charges sociales ont aggravé davantage leur situation. Et cerise sur gâteau, les banques sont devenues de plus en plus réticentes à accorder des crédits à ces PME en difficulté », nous-a-t-il expliqué avant d’ajouter : « La crise économique en Europe n’a pas, elle non plus, arrangé les choses. Elle fait empirer la situation. Les entreprises marocaines reçoivent de moins en moins de commandes et les débouchés européens se sont réduits comme peau de chagrin ».  
Ce à quoi le secrétaire général de la FDT ne souscrit pas totalement. Pour lui, il n’y a pas que les politiques économiques de l’actuel gouvernement qui sont responsables de ces fermetures d’entreprises et de licenciements massifs de travailleurs. La mentalité de certains patrons est également pointée du doigt : « Nombreux sont les chefs d’entreprises qui procèdent à des fermetures ou à des licenciements collectifs  pour  des raisons qui leur sont propres ou pour éviter la formation de bureaux syndicaux. En fait,  les syndicalistes sont souvent les premiers à être mis dehors », nous a-t-il précisé avant d’ajouter : « Le patronat redoute encore l’action syndicale et  voit dans les syndicalistes de vraies menaces pour l’entreprise ».  
Aujourd’hui, l’ensemble des centrales syndicales sont unanimes à considérer que  la situation est grave. « Les chefs d’entreprises et les salariés sont menacés. Et la stabilité de l’emploi est remise en question. Ce qui représente un vrai risque pour l’équilibre social et humain de la société marocaine », nous a lancé Ali Lotfi. D’après lui, les suppressions massives d’emplois constituent un phénomène social de vaste ampleur. Car elles atteignent de larges franges de la population active et s’attaquent aux couches les plus modestes de la société.  Elles font également courir le risque d’une anomie sociale avec des retombées sur la cohésion sociale. « Les signes du sinistre social sont déjà là  : une  récession de l’activité de l’entreprise  suivie de sa fermeture, de pertes de milliers d’emplois, d’un taux de chômage élevé, d’une émigration des forces vives, d’une baisse généralisée de la consommation…  Une situation exacerbée par la  baisse de l’investissement public, l’augmentation des dettes des entreprises  et la dette des ménages », précise un communiqué de l’ODT avant d’ajouter : « Les inégalités se creusent et  pas d’amélioration en vue à court terme  car tous les indicateurs économiques et sociaux virent au rouge et  si l’Etat ne prend pas ses responsabilités pour  revoir  ses politiques destructives de l’entreprise nationale et  de l’emploi,  la stabilité et  la  cohésion sociale seront  mises en jeu ».  
Abdelhamid Fatihi considère, de son côté, que l’heure est grave et qu’elle nécessite  une réflexion de la part des syndicats. Il estime que ces derniers n’ont pas une position unie et cohérente face à ce phénomène.  « Il y a absence totale d’une position commune et cela est dû au fait que la scène syndicale nationale est truffée de pseudo-syndicalistes qui prêtent main forte au patronat », nous a-t-il révélé avant d’ajouter : « Pis, on souffre également de l’absence d’un interlocuteur parmi les patrons. Une grande partie d’entre eux ne sont pas représentés par la CGEM et sont peu regardants sur les dispositions du Code du travail».   
Pour notre source, la lutte contre les fermetures des  entreprises et les licenciements collectifs  passent, au-delà de la réforme des politiques économiques du gouvernement, par la refonte des textes de lois régissant ces deux aspects du Code du travail. « Les fermetures des  entreprises et le licenciement collectif  interviennent  souvent parce que les patrons savent pertinemment qu’ils ne risquent pas grand chose. Les conflits sociaux  soumis aux juges prennent des années avant d’être tranchés. Donc, il faut revoir le corpus juridique pour plus d’encadrement et de contrôle de ce phénomène », a-t-il conclu.    


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