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​Le fils du dernier cireur de chaussures de Sarajevo prolonge la vie d'un métier mourant


AFP
Mardi 3 Mars 2015

​Le fils du dernier cireur de chaussures de  Sarajevo prolonge la vie d'un métier mourant
De son défunt père, il ne lui reste que deux chapeaux, une paire de lunettes, des brosses en poils de cheval et surtout la célébrité que Cika Miso (Oncle Miso), le dernier cireur de chaussures de Sarajevo, avait soigneusement bâtie pendant plus de 60 ans.
Mais, Ramiz Pasic, 64 ans, ancien employé des services de voirie aujourd'hui à la retraite, tient beaucoup à une promesse faite à son père quelques mois avant son décès il y a un an.
"Ce serait dommage que cette place reste vide. On devrait faire perdurer la tradition. Peux-tu prendre un engagement?", m'avait alors dit mon père, raconte, ému, Ramiz.
Le vieux Miso, de son vrai nom Husein Hasani, décédé à l'âge de 83 ans, était lors de cette conversation encore en bonne santé, et Ramiz n'avait pas pris très au sérieux son "testament".
"Chaque jour il se rendait à pied à son travail. Il pouvait encore frapper très fort avec les brosses contre le petit coffret métallique posé devant ses pieds, pour signaler aux gens de passage que la +boutique+ était ouverte", se souvient cet homme au visage fatigué.
"Et la vitesse à laquelle il donnait un dernier coup de brosse aux chaussures cirées... Je ne vais jamais y arriver. On ne voyait pas ses mains", confie-t-il, fier de la virtuosité de son père.
Oncle Miso, un Rom du Kosovo venu à Sarajevo à 15 ans, peu après la Seconde Guerre mondiale, fut de son vivant une star de la capitale bosnienne. Un blagueur "capable de faire rire les plus tristes", assure son fils.
Le succès d'une "carrière" bâtie derrière son coffret à cirage est arrivé des décennies plus tard. Miso a gagné la sympathie des Sarajéviens notamment pendant la guerre intercommunautaire (1992-95) qui a déchiré les trois principales communautés de Bosnie (musulmane, serbe et croate) et fait environ 100.000 morts. Bravant les bombardements quotidiens, il venait prendre sa place au milieu des débris rue Tito, artère de la ville, là où Ramiz vient à son tour depuis son décès.
"Ici était le lieu de travail de l'Oncle Miso, le dernier cireur de chaussures des rues de Sarajevo", lit-on l'épitaphe gravée sur une plaque en pierre jaunâtre.
Au pied de la devanture d'un restaurant McDonald's, Ramiz imite son père, "tout en étant conscient que la barre a été placée très haut par le vieux".
"Allez-y messieurs! Nettoyage, cirage, polissage!", lance-t-il en frottant les brosses l'une contre l'autre. Il lève la main pour saluer un enfant, puis ôte son chapeau noir pour témoigner son respect à un monsieur de passage.
"Quand je prends ces brosses que mon père a utilisées pendant des années, j'ai l'impression de toucher ses mains. C'est toute ma fortune", dit Ramiz.
Veuf depuis sept mois, il vit dans un petit appartement du centre-ville, avec son fils.
L'hiver n'est pas clément et il fait froid dans la rue la plus fréquentée de Sarajevo, où le soleil ne pénètre jamais. Ramiz est vêtu d'un pantalon de ski datant de la période des Jeux olympiques d'hiver de Sarajevo de 1984.
La plupart des gens passent sans le remarquer. Il faut parfois attendre des heures pour avoir un client. Mais ils arrivent. Une fois le pied posé sur le coffret, la conversation commence, avec toujours un thème unique... Oncle Miso. Chacun a une anecdote à raconter.
"Il était plus qu'un simple cireur de chaussures. Avoir les chaussures propres c'est impératif, mais je venais ici surtout pour échanger quelques mots avec l'Oncle Miso, une vraie légende", dit Rusmir Tardagic, un homme d'affaires quinquagénaire.
"Quand on regarde Oncle Ramiz, on dirait son père", ajoute-t-il.
La plupart des clients sont toujours des personnes qui connaissaient Miso. "Ils posent parfois un sou sans même s'arrêter", dit Ramiz.
A sa maigre retraite mensuelle d'à peine 150 euros s'ajoute plus au moins la moitié de ce montant gagné dans la rue. Une grande partie lui sert à rembourser un crédit pris pour payer les funérailles de son épouse.
"Une promesse faite à son père est sacrée. Je viendrai ici tant que la santé me le permettra. Je mets mon âme dans ce métier. Vous savez, il y a bien pire dans la vie que de mourir sur cette chaise", lâche-t-il. 


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