​Islam et islamisme : entre foi individuelle et dérive politique collective


Par Mounir Zouiten * et Mehdi Lahlou **
Mercredi 17 Décembre 2014

​Islam et islamisme : entre foi individuelle et dérive politique collective
La question de l’islamisme, très prégnante dans toutes les sphères des sociétés arabes, interpelle aujourd’hui, plus que par le passé, les musulmans partout dans le monde. C’est une posture qui consiste à faire de la religion une sorte de plateforme idéologique et politique pour dominer la ‘’communauté des musulmans’’.  

L’islamisme, une 
posture politique

Enfant naturel du wahhabisme, importé sans contrainte d’Arabie Saoudite, l’islamisme s’enracine progressivement parmi nous et parmi de très nombreux autres peuples arabes et africains, très souvent par conviction intéressée, parfois par mimétisme, désormais davantage par une espèce de contrainte sociale diffuse partout, dans les écoles, les médias de toutes sortes, publics autant que privés. ‘’Parce qu’il n’est plus possible de faire autrement’’ dans la psyché et le comportement de milliers d’hommes et de femmes. Parce qu’ils sont pauvres, illettrés, marginalisés/brimés ou tout cela à la fois par le système politico-religieux dominant ou parce qu’ils en veulent à la planète entière d’être responsable de leur mal-vie, de leur déprime ou de leurs reculs matériel, politique et intellectuel…
Nous parlons ici de l’islamisme et non de l’islam – de ce nouveau ‘’isme’’, comme on parlait/on parle encore de communisme ou de libéralisme,… - en tant que religion monothéiste. Nous parlons de cette approche idéologico-comportementale qui met en avant les aspects visibles et parfois sectaires, en tout cas ségrégationnistes et exclusifs de la religiosité. 
Une telle approche est aussi aisée que confortable, parce qu’elle se limite à des apparences comportementales ou vestimentaires, à l’évocation de l’au-delà et à des slogans/messages subliminaux tendant à donner à ceux qu’elle embrigade un sentiment de paix intérieure et de satisfaction de soi et, très souvent également, de supériorité sur les autres, tous les autres (les autres nations, les autres religions, celles qui ne pensent pas et ne se comportent pas comme eux/nous). 

L’islam, une religion 
de la Raison

L’islam, lui, nous ont appris les grands penseurs de l’islam d’hier et d’aujourd’hui, a, par contre, toujours laissé une grande latitude à la Raison (avec un grand R (Al Akl) dans la conduite de la vie quotidienne des humains et dans leur réflexion et leur rapport à Dieu. C’est pour cela qu’il n’y a point d’intermédiaires en islam, ni de sacerdoce (La Rahbaniata Fi Al Islam). La relation y est directe entre Dieu et les croyants. L’islam a toujours incité le musulman à raisonner, à réfléchir, à philosopher, à se relever par la pensée, par la création, par la foi et par le travail (Ijtihad). Ibnou Rochd avait clairement souligné ‘’qu’en cas de contradiction entre la science rationnelle et la foi, il faut choisir la raison’’. Ibn Al Banna, père des ‘’Frères musulmans’’, soutenait à la fin du 19ième siècle ‘’qu’en cas de contradiction entre un ‘’Hadith’’ et la Faculté (au sens d’Ecole supérieure et donc de Science), il faut revenir à la Faculté’. C’est dans cet esprit qu’il faut considérer l’islam. Une religion qui n’a pas vocation à être figée dans une interprétation radicale et encore moins à se transformer en arme de guerre contre ceux et celles qui ne pensent pas et n’agissent pas comme vous. Les oulémas d’Al Azhar au Caire viennent d’interpeller, dans un communiqué de leur dernier congrès en décembre 2014, l’opinion publique arabe et internationale pour condamner énergiquement ceux qui instrumentalisent la religion musulmane pour des intérêts politiques.    

L’instrumentalisation 
de la religion

Au Maroc, l’observateur, même le moins attentif, relève désormais partout, dans tous les espaces sociaux, publics et privés, une forte présence de symboles, cérémonials, discours et pratiques à connotation islamiste tendant à avoir prise sur toutes les manifestations de la vie, autant intime que sociale. Il y a une volonté chez les islamistes de vouloir tout régenter, tout déterminer, tout contrôler, d’où l’instrumentalisation de la religion à des fins de pouvoir. 
L’islamisation des consciences s’est produite sous l’effet du discours tantôt ‘’salafiste’’, tantôt ‘’takfiriste’’– qui a pris le relais, avec des moyens financiers importants venant de la péninsule arabique et de la puissance médiatique des paraboles (environ 500 chaînes TV de prêche), historiquement incomparable du discours communiste venu de l’ancienne URSS – qui a eu un effet d’attraction/d’intimidation sur les illettré(e)s et parfois les lettré(e)s aussi de la société musulmane. 
Nombreux sont ceux et celles, de tous les milieux, de toutes les couches sociales, qui prétendent aujourd’hui ‘’connaître’’ l’islam, qui le propagent dans le tissu social et l’inculquent chacun à sa façon à leurs concitoyens, pensant les mettre ou les remettre sur ‘’le droit chemin’’, en attendant rédemption et rétribution dans l’au-delà (Al Ajr Fi Al Jana). Lorsque cette démarche émane du ‘’petit peuple’’, pauvre et analphabète et très souvent soumis, on comprendrait et on lui tiendrait moins rigueur, même si des parades contre les dérives toujours possibles doivent être recherchées et trouvées. Le vrai problème se pose lorsque la propagation et l’endoctrinement islamistes viennent de personnes supposées averties et pondérées. 
L’état d’esprit d’une bonne partie des citoyens marocains est désormais caractérisé par un repli identitaire allant, parfois, jusqu’au plus petit détail de la vie familiale et sociale, privée et publique des individus. Les exemples sont bien nombreux et très divers. Les aspects les plus manifestes ont pour illustration la barbe hirsute chez les hommes et le port d’habits de ‘’type religieux’’ chez les hommes et les femmes, de même que la façon de se comporter avec son propre corps et les autres comme le refus de certains hommes de tendre la main aux femmes ou le fait pour ces dernières de refuser celle des hommes. Lorsque les hommes sont habillés à ‘’l’afghane’’, ils sont évidemment vite repérables. Ils le sont moins dans l’espace public lorsqu’ils sont normalement vêtus et ne portent pas la barbe. Il leur arrive, par effet de mode, de vouloir se confondre avec les modernes mal-rasés ! Les femmes sont évidemment les plus visibles dans le même espace, où les hommes ont désormais tendance à être à leur égard des agents de la ‘’bonne vertu’’, les rappelant à l’ordre à chaque ‘’déviation vestimentaire ou comportementale’’.
A ce propos, plus spécialement, le port du voile (ou du ‘’Niqab’’) est justifié, d’abord, par le fait d’être un ‘’acte de foi’’ et de spiritualité, une ‘’prescription divine’’, et donc, une obligation qui concernerait toutes les femmes croyantes. Et toutes doivent être croyantes, tout en exprimant leur nouvelle subordination par l’acceptation de la nécessité impérieuse où elles ont été mises de se protéger des ‘’regards de la convoitise’’ des hommes, considérés comme rien d’autre que des ‘’envies ambulantes’’. L’habit/Niqab matérialise, dans cet esprit, l’indication de la décence et de la pudeur des femmes et aussi leur ultime arme d’autodéfense dans un milieu prétendument peuplé de ‘’rapaces’’, où la loi ne semble être d’aucune espèce d’utilité. Son abandon engendrerait un malaise au sein du corps social. On en oublierait presque que, voici quelques décennies encore, nos mères et grand-mères portaient des ‘’djellabas’’ marocaines dont l’élégance des coutures et des couleurs le disputait à leur piété naturelle, sans qu’il y ait eu jamais besoin qu’elles se couvrent de la tête aux pieds de ces tissus, noirs ou marrons ou gris, venus de cieux sous lesquels l’histoire semble s’être figée.
L’idée que les femmes ne peuvent se montrer dans l’espace mixte que vêtues de voile paraît avoir pris comme un feu de paille. Sa pratique s’intègre, aujourd’hui, dans un processus socioreligieux, culturel et politique global. Il est devenu ce symbole qui atteste du besoin de retour sur soi, de la volonté de se positionner contre l’aliénation et les libertés, considérées comme étant excessives, régnant en Occident, notamment par rapport au corps des femmes exhibé ou à leurs droits civils, sociaux et politiques. Cette pratique, du voile intégral, exprimerait l’angoisse de la dissolution des mœurs, la peur de la négation des vertus élémentaires qui fondent la civilisation arabo-musulmane. Elle est en réalité l’expression de l’aliénation de la femme, de sa subordination et de son infériorité et, au final, de son exclusion de la sphère publique de débat et de production. C’est même là l’une des principales victoires des islamistes purs et durs jusqu’à aujourd’hui : l’intériorisation de la soumission par les femmes.  Notre société serait ainsi privée de la moitié de ses forces vives, ce qui n’est pas un moindre handicap dans notre compétition permanente vis-à-vis du reste du monde dont nous importons tout ce qui est déterminant (de la voiture au téléphone, au sucre ou aux médicaments….) pour notre existence matérielle et même religieuse, puisque sans avions fournis par les mécréants de chez Boeing ou Airbus, point de Hajj à la Mecque et pas, non plus, de web sites pour propager de par le monde les fatwas rétrogrades. 
On peine à dénoncer cette pratique. S’y opposer, c’est aller contre les commandements du Coran, sans que personne, y compris parmi les plus zélés, ait jamais signalé le moindre verset imposant le voile intégral ou la ‘’burka’’ ou encore leur couleur ou la façon de les porter aux femmes. Un grand cheikh d’Al Azhar avait clairement dit que le port du voile n’est pas, en islam, une obligation. Les réformateurs de l’islam le confirment aujourd’hui clairement dans leurs discours et écrits. En le portant, la femme nie, en fait, sa féminité, son individualité, cache son corps non seulement aux autres mais aussi à elle-même. Avec ce vêtement, elle se fond dans la masse et perd son entité en tant que femme et, in fine, en tant qu’être humain. 
L’époque contemporaine dicte et propose d’autres formes de défense, certainement pas en termes vestimentaires. Les moyens de défense devraient être plus sophistiqués. Les femmes musulmanes, comme les hommes musulmans, ont besoin surtout de moyens d’autodéfense, d’une bonne image de soi, d’armes en matière de responsabilité, d’intellect, bien enracinées et viscéralement structurées en elles/eux. Ils ont besoin aussi de lois bien faites et de pouvoirs publics forts, capables de les appliquer et de juges vertueux en mesure de sanctionner leur non-application. Dans les sociétés civilisées, c’est la loi démocratiquement discutée et adoptée qui protège, pas l’habit, quelles que soient son épaisseur et ses opacités, pas les postures. 
Le voile peut constituer aujourd’hui, par ailleurs, un vrai handicap pour les femmes, qui se voient parfois, même lorsqu’elles sont très brillantes, refuser des postes de travail ou des possibilités d’avancement dans un certain nombre d’entreprises nationales et internationales au Maroc, comme dans d’autres pays. Ces entreprises sont-elles discriminatoires ? Peut-être, mais toujours est-il que leur choix se porte sur les femmes sans apparence religieuse marquée. Et de fait, on n’a pas à faire montre de son appartenance religieuse dans des lieux où des personnes de toutes religions, et même sans religion, ont vocation à se retrouver en travaillant ensemble ou comme clients. 
Feu Mohammed V avait, bien avant l’Indépendance du pays, libéré ses filles et les Marocaines du voile, sans que la religiosité de la société en souffre outre mesure. 
Aussitôt après l’Indépendance, les femmes ont enlevé ‘’L’tam’’ et les filles la ‘’Djellaba’’. Et le Maroc avançait lentement vers une modernité émancipatrice. En Tunisie, le président visionnaire à ce propos, Bourguiba, en avait fait autant. Mais ça, c’était un autre siècle, un autre monde. Aujourd’hui, avec le voile généralisé et les barbes en bataille, on est entré de plain-pied dans l’ère du hooliganisme sur tous les terrains (sportifs ou politiques) et dans celle de Daech, soit celle de ces jeunes désœuvrés que nous envoyons détruire des civilisations millénaires en Syrie ou en Irak, en attendant un ‘’retour victorieux’’ au Maroc, en Arabie ou ailleurs. La Tunisie, qui avance aujourd’hui dans la construction de sa démocratie, le doit pour beaucoup à ses femmes compétentes, lettrées, libérées, mais combien respectées et respectables.

Manifestations islamiste 
dans l’espace éducatif 
et universitaire

Dans un autre espace social vital, celui de l’éducation nationale, les pratiques islamistes infiltrent les établissements scolaires et universitaires. L’idéologie politico-religieuse s’affiche ouvertement dans les écoles, collèges et lycées. Bon nombre de responsables administratifs et pédagogiques sont de plus en plus d’obédience islamiste radicale, dans la forme comme dans l’esprit. Il arrive que l’on impose même à des fillettes, encore gamines, de porter le foulard en classe. Il existe, par ailleurs, dans de nombreux établissements, un amalgame dans le contenu des cours. Il y a une dualité dans le contenu du module de l’éducation à la citoyenneté, puisée dans la double référence à la culture musulmane et à la culture universelle. L’élève se trouve alors tiraillé entre les valeurs inhérentes à ses croyances et les valeurs universelles. Cette coexistence d’un double référentiel a induit une dilution de la notion de citoyenneté en faveur de valeurs humaines restrictives fondées d’abord sur la culture religieuse. Cette dualité favorise le développement de différentes instrumentalisations idéologiques des principes et valeurs des droits humains, introduits dans les contenus des manuels scolaires, dans un contexte socioculturel marqué par la prééminence des pensées conservatrices, dans de larges couches de la population marocaine. 
La rupture constitue la condition primordiale de dépassement de l’opposition du spécifique et de l’universel et de réconciliation de l’apprenant avec la culture humaine. Lorsque les manuels se contredisent et s’opposent, ils déstabilisent l’élève. Et, de là, toute la société s’en trouve, à plus ou moins brève échéance, affectée.
Pour ce qui est des universités, celles-ci sont devenues également des lieux de ‘’propagande islamiste’’. Aujourd’hui, bon nombre de professeurs et d’étudiant(e)s ne font plus mystère de leur appartenance à l’idéologie islamiste, en classe, dans les amphithéâtres, comme dans les enceintes universitaires. Les étudiantes voilées représentent aujourd’hui une bonne moitié de l’ensemble des filles inscrites dans les universités, peut-être un peu plus. Les rencontres et conférences d’islamistes sur le campus y sont nombreuses… On avait, jusqu’à une date récente, l’habitude d’évoquer les étudiant(e)s islamistes dans l’enceinte universitaire et plus précisément au sein de l’organisation syndicale estudiantine, mais quasiment jamais d’enseignant(e)s islamistes. Aujourd’hui, ce sont ces derniers qui font le plus parler d’eux. On les voit se multiplier et s’organiser pour mieux faire passer leurs messages par l’entremise de la ‘’science’’ et de la ‘’recherche’’, non conventionnelle, comme certains le soutiennent à présent, surtout s’agissant de sciences sociales comme l’économie et la finance , puisque ‘’l’Economie islamique’’ est désormais ouvertement enseignée comme une discipline à part, là où il n’est question jusqu’à présent que de quelques préceptes portant sur la redistribution, tels Zakat ou l’héritage, ou sur la finance dite islamique. Mais un système financier, aussi performant et ‘’vertueux’’ soit-il, peut-il être intelligible s’il n’est pas accolé à un système de production dont il n’est question nulle part ?
En organisant des rencontres sur des thématiques d’ordre religieux, les groupes d’enseignants à référents islamistes, incarnent les ‘’modèles’’ à suivre pour les étudiant(e)s. Ils soumettent, pour accréditation, des programmes de diplômes (DUS, Licences professionnelles ou Masters spécialisés en ‘’Economie et finance islamiques’’). Parfois, les enseignements proposés sont payants. Cet état de fait est, de notre point de vue, une vraie dérive car l’université a pour vocation de dispenser des enseignements réservés aux sciences et d’organiser des manifestations à caractère strictement scientifique. L’amalgame est déroutant. 
A l’université, chercher à s’informer sur les religions et analyser l’évolution des phénomènes à caractère religieux pour en comprendre les motivations internes est un acte plus que louable, puisqu’il relève aussi de la Science (histoire, sociologie, anthropologie,…). C’est une nécessité intellectuelle. La position de repli et d’ignorance des doctrines religieuses conduit sans doute à une impasse. Mais l’université devrait rester en dehors des démarches prédicatrices des islamistes. Son espace public n’a pas besoin de voir se développer en son sein des discours à soubassement idéologique islamiste. On ne devrait pas tolérer et accueillir des événements dont c’est cela l’objectif. Il y a bien d’autres lieux où les prédicateurs font entendre leur voix. Pour les enseignements à caractère religieux, il y a aussi des universités spécialisées (Qaraouiyine et Dar Al Hadit Al Hassanya’’, notamment). Les enseignements dans les universités à caractère scientifique devraient se limiter à leur vocation, à savoir la transmission et l’acquisition de connaissances scientifiques. 

La posture de la finance 
sans usure 

En ce qui concerne la finance, suite au feu vert donné par le Conseil économique, social et de l’environnement à la création des ‘’banques islamiques’’, dites participatives, au Maroc, la loi est déjà prête pour autoriser leur fonctionnement avec des conditions qui les rendraient non concurrentes aux banques classiques. 
La création de ce type de banques est-t-elle nécessaire dans un pays qui ambitionne de devenir un pays émergent ? Peut-elle sortir les gens non bancarisés de leur paupérisation ? Ce qui est certain, c’est que cette création répond aux intérêts des fondateurs des banques islamiques, pour la plupart originaires des riches pays pétroliers du Golfe où ‘’l’argent’’ – pour parler trivialement - a une origine et donc aussi une signification différentes qu’il en a dans les pays où l’on ‘’travaille dur pour en gagner’’. En outre, ces mêmes banquiers, quand bien ils seraient nos ‘’frères en islam’’, ne seront ni moins affairistes ni moins mercantiles que leurs confrères qu’ils voudraient supplanter, même si leur discours n’arrête pas de puiser dans la morale et l’éthique. Si cela pouvait en être autrement, on l’aurait déjà remarqué dans l’aide au développement que les pétromonarchies accordent aux pays arabes moins nantis.
Or, les ressources immenses de ces monarchies et autres émirats sont plus investies dans des fonds de pension et autres groupes industriels et de services américains ou européens que dans le soutien à la ‘’Oumma islamique’’, combien dans le besoin. Du reste, a-t-on déjà vu des fonds qataris investir dans une équipe de football marocaine ou tunisienne ou égyptienne, alors qu’ils trustent à ‘’tour de bras’’ des équipes du gotha des championnats anglais, français ou espagnol, plus voyants à l’international et combien profitables, etc. ? Dans la même veine, les jeunes des banlieues de Rabat ou de Tunis seraient-ils moins pieux ou moins à plaindre que ceux des banlieues parisiennes, sur lesquels ‘’pleuvent’’ depuis quelques années des millions d’euro venus de l’Emirat du Qatar, soutien indéfectible, entre autres, des Frères musulmans ? 
Nonobstant, une partie des clients des ‘’banques islamiques’’ est convaincue religieusement par ‘’leurs bienfaits’’. Mais, une autre partie serait  plutôt mue par le désir de voir se développer sur le marché financier des produits bancaires concurrentiels aux banques ‘’classiques’’ (considérées à juste titre comme trop voraces dans notre pays). Mais, la ‘’Mourabaha’,’ par exemple, – pour ne pas parler de la ‘’Moucharaka’’ ou de la ‘’Moudaraba’’, autres  prêts ‘’spéculatifs’’-  produit phare de la finance islamique, remplaçant l’intérêt usuraire (Arriba), n’est rien d’autre qu’un crédit déguisé, d’ailleurs plus coûteux qu’un crédit conventionnel. Il ne peut et il ne pourra jamais y avoir de finance islamique, dans le sens de l’absence d’intérêt. Ce que l’islam, comme les autres religions monothéistes, condamne c’est l’intérêt d’usure, celui qui se pratique hors concurrence, hors la loi et dans le déséquilibre total entre le débiteur et son créancier. Evoquer un système financier sans intérêt relève de la pure chimère, puisque dans tout système marchand (et l’économie dite islamique ne remet pas en cause ni le système marchand ni l’économie libérale qui le fondent), toute chose a un coût et, donc, un prix. Et l’argent est une chose, une marchandise (même s’il est aussi beaucoup ‘’d’autres choses’’ à la fois, dont les tenants de la finance islamiste ne parlent jamais) qui doit avoir absolument un prix, et ce, quelle que soit l’appellation qu’on lui donne. Soutenir la possibilité de ‘’gratuité’’ à ce propos, ou même de partage ou de participation dans le cadre d’un ‘’échange équitable’’, entre des partenaires égaux relève du pur mensonge, de l’ignorance des bases mêmes de l’économie ou des deux à la fois.

En guise de conclusion 
Il est important de souligner au terme de ce texte que la tendance vers plus ‘’d’islamisme’’ est en totale contradiction avec l’orientation officielle que le Maroc dit avoir prise en matière de développement économique, social, humain et culturel depuis maintenant bien longtemps. Il est illusoire de croire que l’on peut aller vers la modernisation et la démocratisation de notre pays en ayant, en même temps, des pratiques et comportements qui ont effacé l’âge d’or de la civilisation du monde musulman à un moment où l’Europe somnolait dans son sous-développement. Si le développement est une affaire de changement des structures socioéconomiques, il est aussi, concomitamment, une affaire de changement de mentalité et d’adoption de nouvelles valeurs de travail, de solidarité non confessionnelle, et d’inclusion sociale plutôt que d’exclusion de l’autre, à commencer par la femme. 
La religiosité et la foi sont des dimensions intrinsèques à la nature humaine. L’Homme a besoin d’une spiritualité qui lui donne une satisfaction morale et une paix intérieure. Le mieux est de faire en sorte qu’elles se perpétuent dans le champ de l’intime. C’est le sens même de l’islam lorsqu’il affirme et consigne dans le texte coranique qu’il n’y a point de contrainte en matière de religion. La liberté impose la laïcité qui n’a rien à avoir avec l’athéisme évoqué souvent par les détracteurs antidémocrates.  
Nous n’avons franchement pas besoin de compliquer et de nous compliquer l’existence. Pour mieux coexister et pour un meilleur vivre-ensemble, nous avons plutôt besoin de consolider la cohésion sociale, le partage de valeurs d’humanisme et de progrès, ainsi que d’ouverture vers autrui. Nous avons plutôt besoin de mettre en exergue les moments phares de notre civilisation arabo-musulmane. 
Restons tout de même optimistes. Le pessimisme est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.

 * (PES, Université Mohammed V - Rabat) 
 ** (PES, INSEA -Rabat)


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